2. P. anal. [Attitude morale] Sur ses gardes, dans une attitude de méfiance et de vigilance. Aux aguets; être aux aguets, se tenir aux aguets : 18. La mère de la jeune femme qui se vante fort plaisamment d'avoir fait arrêter Pichegru a des soupçons sur ce qui se passe. Elle a entendu quelques mots, et cela lui a suffi pour se tenir aux aguets.
É.-J. Delécluze, Journal,1825, p. 153.
19. − Qu'est-ce qu'ils font donc? murmura Madame Boche, qui sortit de la loge pour voir, toujours méfiante et aux aguets.
É. Zola, L'Assommoir,1877, p. 520.
20. ... O nuit sans pitié! Ne pouvoir
Lui prendre un peu de calme, et l'avoir sur moi
Toute!
Englouti dans l'oubli, n'en pas boire une goutte!
Toujours être aux aguets! toujours être en éveil!
O vous tous, êtres! fils de l'ombre ou du soleil,
Qui que vous soyez, morts, vivants, oiseaux des
Grèves,
Esprits de l'air, esprits du jour, larves des rêves,
Faces de l'invisible, anges, spectres, venez,
Vous trouverez Satan les yeux ouverts.
V. Hugo, La Fin de Satan,Hors de la terre, 1885, p. 909.
21. Pour les femmes qui ne nous aiment pas, comme pour les « disparus », savoir qu'on n'a plus rien à espérer n'empêche pas de continuer à attendre. On vit aux aguets, aux écoutes; des mères dont le fils est parti en mer pour une exploration dangereuse se figurent à toute minute, et alors que la certitude qu'il a péri est acquise depuis longtemps, qu'il va entrer, miraculeusement sauvé, et bien portant.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 591.
22. Plusieurs jours avant la date, entre toutes glorieuse, que je connaissais bien, j'étais aux aguets, attentif à ne rien laisser échapper qui puisse éveiller l'attention et la mémoire de ceux dont j'escomptais la défaillance...
A. Camus, La Chute,1956, p. 1517.
23. Le langage de mes compagnons avait des tours mystérieux dont je comprenais le sens, les objets sans forme et sans vie se prêtaient eux-mêmes aux calculs de mon esprit... etc. » très mystérieuse splendeur de ce passage où l'être aux aguets épie l'invisible à travers le visible et croit percevoir et déchiffrer le message sans mots.
M.-J. Durry, Gérard de Nerval et le mythe,1956, p. 57.
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Aux aguets de + inanimé abstr. À l'affût de : 24. Prends garde à lui, baron, c'est un de ces êtres insupportables qui passent dans l'existence des autres comme un chien dans un jeu de quilles, en renversant de leur patte tous les arrangements de votre joie, de votre tristesse. Plus insupportables que le chien, et plus difficiles à chasser, ils sont aux aguets de tous les sentiments que vous pouvez avoir, de tous les projets que vous pouvez faire pour les déconcerter par un mot ou une plaisanterie...
F. Soulié, Les Mémoires du diable,t. 2, 1837, p. 38.
25. ... l'homme Caffiaux était louche, aux aguets de la victoire du plus fort, continuellement prêt à une trahison, se retournant avec l'aisance d'un gaillard qui n'aime point la défaite.
É. Zola, Travail,t. 2, 1901, p. 62.
26. Perchée dans son observatoire suspendu comme une sentinelle aux aguets du renouveau, elle les entendait maintenant revenir, les migrateurs, et passer sur sa forêt en grands froufrous d'ailes, en longue rumeur de marée montante, en tempête de cris d'appel, d'amour et d'espérance.
L. Pergaud, De Goupil à Margot,1910, pp. 104-105.
Rem. Bénac 1956 fait la distinction suiv. entre les 2 termes : ,,On est à l'affût pour épier l'occasion de faire ou de saisir quelque chose (...). On est aux aguets pour observer afin de surprendre ou d'éviter d'être surpris.`` Dans ces 3 ex., c'est donc affût qui semblerait convenir le mieux (supra ex. 9 où la distinction apparaît nettement). La véritable différence tient au milieu auquel appartiennent les 2 expres. : à l'affût désigne proprement la posture des chasseurs, aux aguets celle du guerrier.
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Spéc. [Gén. en parlant d'une femme] Attentif à plaire, à séduire : 27. Stépha rentra à Paris peu de jours après moi et vint souvent à la Nationale, lire Gœthe et Nietzsche. Les yeux et le sourire aux aguets, elle plaisait trop aux hommes et ils l'intéressaient trop pour qu'elle travaillât très assidûment. À peine installée, elle jetait son manteau sur ses épaules et s'en allait rejoindre dehors un de ses flirts : l'agrégatif d'allemand, l'étudiant prussien, le docteur roumain.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 284.
Rem. Sans doute y a-t-il rencontre paron. avec l'emploi corresp. du verbe aguicher*.
3. Au fig. [Appliqué à un inanimé abstr.] a) En éveil, vigilant (emploi rare au sing. ex. 29) : 28. On priait Dieu, on se demandait avec anxiété ce qu'allait faire l'archevêque; on interrogeait les sorts, comme on faisait autrefois les sorts homériques ou les sorts virgiliens, ce qui ne manque presque jamais de fournir une réponse à des imaginations aux aguets. « Dans cet effroi et cette attente, dit la relation, ... etc. »
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 99.
29. Au fond, je perçois chez cet homme, sous une apparence de bonne enfance et de rondeur endormie, l'éveil d'une attention toujours à l'aguet et qui note les paroles et qui prend la mesure des gens.
E. et J. de Goncourt, Journal,janv. 1877, p. 1167.
b) [En mauvaise part, avec intention de nuire ou d'attaquer] :
30. La contrariété qu'il éprouvait de la part des opinions intérieures et du mouvement des opinions extérieures le rendait irritable : de là la presse entravée, la garde nationale de Paris cassée, etc. Devais-je laisser périr la monarchie, afin d'acquérir le renom d'une modération hypocrite aux aguets? Je crus très sincèrement remplir un devoir en combattant à la tête de l'opposition, trop attentif au péril que je voyais d'un côté, pas assez frappé du danger contraire.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 301.
31. Aidez-moi. C'est une marque d'affection que je vous demande. Dès que je croirai possible, et sans inconvénient, de vous communiquer les bonnes feuilles, vous les aurez. En attendant, aidez-moi et aimez-moi. La haine est plus aux aguets que jamais; il faut la déjouer.
V. Hugo, Correspondance,1865, p. 507.
32. ... Mon Dieu! je donnerais mon souffle,
Pour épargner à ces yeux
Une laideur qu'ils doivent connaître,
Pour préserver ce doux corps
D'une maladie aux aguets;
Pour sauver cette âme si forte
D'une âpre nécessité,
− Moi qui suis le faible enfant
Que la douleur déconforte.
P.-J. Jouve, Tragiques,Livre de la grâce, 1922, p. 79.