1. [En parlant d'une pers.] Faculté de ressentir profondément des impressions, d'éprouver des sentiments, de vivre une vie affective intense. Sensibilité aiguë, maladive, vive; sensibilité à fleur de peau, d'écorché (vif); extrême sensibilité; être dépourvu de sensibilité. Gautier expose la théorie, qui est la sienne, qu'un homme ne doit se montrer affecté de rien, que cela est honteux et dégradant, qu'il ne doit pas montrer de sensibilité, et surtout dans ses amours, − que la sensibilité est un côté inférieur en art et en littérature (Goncourt,Journal,1863, p. 1354).Gise avait du mal à dominer sa sensibilité. Pour un rien, maintenant, les larmes l'étouffaient (Martin du G.,Thib., Consult., 1928, p. 1087).Rem. Dans la distinction class. des trois facultés, la sensibilité s'oppose à l'intelligence et à la volonté: La faculté de penser se subdivise (...) en sensibilité proprement dite, en mémoire, en jugement et en volonté (Lamarck, Philos. zool., t. 2, 1809, p. 372).
♦
[En parlant d'un artiste] Faculté d'éprouver des sentiments et aptitude à les traduire, à les exprimer dans une création artistique. Sensibilité d'un écrivain, d'un peintre; jouer d'un instrument avec sensibilité. Il y a de l'airain dans le style de Buffon. Rousseau avait une sensibilité bien plus fine et plus exquise. Ses descriptions sont moins pompeuses que celles de Buffon, mais elles ont plus de charme (Chênedollé,Journal,1815, p. 74).La sensibilité créatrice, dans ses formes les plus relevées et ses productions les plus rares, me paraît aussi capable d'un certain art que tout le pathétique et le dramatique de la vie ordinairement vécue (Valéry,Variété IV,1938, p. 217).[P. méton.;] [en parlant d'une œuvre] Qualité d'une œuvre où se manifestent et s'expriment avec force les sentiments de l'artiste. Page, musique pleine de sensibilité; œuvre d'une grande sensibilité. Quelques défauts dans le plan et dans la contexture de la pièce sont compensés par une sensibilité profonde, par des situations du plus grand intérêt et des beautés du premier ordre (Jouy,Hermite, t. 4, 1813, p. 365).J'ai lu avec un plaisir par moments très vif le Kyra Kyralina d'Istrati, de saveur si particulière, tout en faisant songer à certains récits des Mille et une nuits, ou à quelque roman picaresque; mais d'une sensibilité beaucoup plus chatoyante que Lesage ou Smollett (Gide,Journal,1940, p. 28).♦ En partic. Faculté d'éprouver de la sympathie, de la compassion, de l'amour. Sans être prodigue de son argent, il l'était de sa sensibilité; il avait facilement la larme à l'œil; et le spectacle d'une misère l'émouvait sincèrement, d'une façon qui ne manquait pas de toucher la victime (Rolland,J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 831).La citoyenne Rochemaure montra de la sensibilité; elle s'émut à l'idée des souffrances d'Évariste et de sa mère et rechercha les moyens de les adoucir (France,Dieux ont soif,1912, p. 95).
− [Constr. avec un compl. prép. introd. par pour (vieilli) ou par à, indiquant l'objet de la sensibilité] Aptitude à porter un intérêt profond à (quelqu'un/quelque chose), à être particulièrement touché par (quelqu'un /quelque chose). Sensibilité pour le malheur des autres. Il y a bien une sorte de sensibilité à l'esthétique de la construction philosophique comme il y a une sensibilité à l'élégance de la construction mathématique (Lacroix,Marxisme, existent., personn.,1949, p. 57).Quelle joie de lecture quand on reconnaît l'importance des choses insignifiantes! Quand on complète par des rêveries personnelles le souvenir « insignifiant » que nous confie l'écrivain! L'insignifiant devient alors le signe d'une extrême sensibilité pour des significations intimes qui établissent une communauté d'âme entre l'écrivain et son lecteur (Bachelard,Poét. espace,1957, p. 77).
− [Constr. avec un adj. indiquant le domaine dans lequel s'exerce la sensibilité] Sensibilité esthétique, musicale. C'est notre sensibilité verbale qui est brutalisée, émoussée, dégradée... Le langage s'use en nous. L'épithète est dépréciée. L'inflation de la publicité a fait tomber à rien la puissance des adjectifs les plus forts (Valéry,Variété III,1936, p. 283).L'aveugle est souvent doué d'une grande sensibilité artistique, le sourd, contraint à monologuer avec ses pensées, est volontiers dogmatique et autoritaire (Mounier,Traité caract.,1946, p. 221).
2. [Constr. avec un adj. ou un compl. prép. introd. par de désignant un groupe de pers., une époque] Manière particulière d'éprouver des sentiments caractéristiques, de réagir sur le plan affectif. Sensibilité allemande, française; sensibilité bourgeoise, populaire; sensibilité moderne, romantique; sensibilité d'artiste, d'enfant; sensibilité de bourgeois. Le socialisme, sous ses deux aspects, le réformiste et l'insurrectionnel, n'en reste pas moins un des visages permanents de la pensée et de la sensibilité contemporaines (J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 22):2. J'étais né doué d'une sensibilité féminine. Jusqu'à quinze ans je pleurais, je versais des fleuves de larmes par amitié, par sympathie, pour une froideur de ma mère, un chagrin d'un ami, je me prenais à tout et partout j'étais repoussé. Je me refermais comme une sensitive.
Vigny,Journal poète,1833, p. 986.
− P. méton., POL. Tendance à l'intérieur d'un parti, d'une organisation politique. Ce parti (...) est aussi un parti-patchwork où existent ce que l'on appelle pudiquement des « sensibilités » diverses. Autrement dit: des courants (Le Nouvel Observateur, 12 sept. 1981, p. 27, col. 1).