1. État affectif pouvant se manifester par une grande violence verbale ou physique, ou par un silence hargneux fait de colère, de ressentiment ou de haine, qui est généralement causé par un sentiment d'impuissance devant une situation frustrante. Synon. partiel colère, fureur, furie.Accès, crise, moment de rage; mouvement, transport de rage. La rage s'empare de tous les cœurs, les yeux roulent du sang, la main frémit sur l'épée (Chateaubr.,Martyrs, t. 1, 1810, p. 287).Sa rage redoubla. − Oh! Je me vengerai, s'écria-t-il en frappant la table du poing, je me vengerai! (Theuriet,Mariage Gérard, 1875, p. 107).V.
houle D 1 ex. de Roy:
2. Ma fureur s'exaspérait encore à me dire que cet amour, né de la veille, m'avait été arraché juste au moment où j'allais pouvoir le développer dans sa plénitude, à l'heure précise de l'action décisive. Il doit y avoir de cette rage-là chez le joueur qui, forcé de quitter la table, apprend la sortie du numéro sur lequel il voulait ponter et qui lui aurait ramené trente-six fois sa mise.
Bourget,Disciple, 1889, p. 179.
♦ [Constr. avec un compl. introd. par contre désignant l'objet et/ou la cause de ce sentiment] Je crains que la rage des Français contre l'Angleterre ne leur donne l'idée de saisir les paquebots qui vont de Douvres à Ostende (Staël,Lettres L. de Narbonne, 1793, p. 152).En même temps une colère le prenait, une rage contre leur impuissance (Genevoix,Raboliot, 1925, p. 60).
♦ [Constr. avec un compl. introd. par de désignant la cause de ce sentiment] Si Versailles ne se dépêche pas, nous verrons la rage de la défaite se tourner en massacres, fusillades et autres gentillesses de ces doux amis de l'humanité (Goncourt,Journal, 1871, p. 758).Une seconde fureur, plus violente que la première, m'emporte soudain: c'est la rage d'avoir été agi (Vailland,Drôle de jeu, 1945, p. 115).
♦ [Constr. avec une complét.] Rare. Une sourde rage qu'elle pût être gagnée si facilement étouffait en lui la compassion. « Peut-être ne s'arrêtera-t-elle pas... » se dit-il (Roy,Bonheur occas., 1945, p. 46).
− P. anal. [Chez l'animal] La rage du tigre, que rien ne fléchit, ni les bons ni les mauvais traitemens, et qui, gorgé de sang et de chairs, n'en est que plus ardent à déchirer tout ce qui lui présente l'image de la vie (Cabanis,Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 321).Le loup se débattait avec des élancements de rage et de douleur (Hugo,Han d'Isl., 1823, p. 294).
−
Au plur. ♦ [Plur. d'amplification] Rare. Je me sentais des rages à me jeter par la fenêtre (Maupass.,Une Vie, 1883, p. 171).
♦ Moments, causes de rage. Il réfléchit qu'on se moquerait de lui s'il mettait à nu ses rages et ses blessures (Champfl.,Avent. MlleMariette, 1853, p. 238).Toutes sortes de pensées, de souvenirs, de projets, d'amours secrètes, et de rages étouffées, qu'on remâche sempiternellement (Vailland,Drôle de jeu, 1945, p. 40).
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Locutions a) [Combiné avec une prép.] ♦ Vieilli. À la rage. Synon. à la folie.C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas. Mais je l'aime à la rage (Musset,Namouna, 1832, p. 418).Cette passion éclatait avec une violence aveugle; il aimait à la rage (Zola,Th. Raquin, 1867, p. 50).
♦ [Combiné avec avec]
Œdipe, les bras au corps, comme paralysé, tente avec rage de se rendre libre (Cocteau,Machine infern., 1934, ii, p. 81).C'est pourquoi il la frappait avec tant de rage: il avait honte d'elle, et peur d'elle (Montherl.,Demain, 1949, ii, 1, p. 720).V. adonner (s') ex. 8.
♦ [Combiné avec dans] Je les traitai toutes les deux sans ménagements, et dans ma rage, j'allai jusqu'à menacer mon rival (Restif de La Bret.,M. Nicolas, 1796, p. 184).Ce pathétique réveillait en sursaut, dans l'épouvante ou dans la rage, quelques-uns de mes meilleurs amis (Sartre,Mots, 1964, p. 162).
♦
De rage. [Combiné avec un verbe ou un adj. décrivant un état ou un comportement] De rage, il quitte le parti, et se fait libéral (Courier,Pamphlets pol., Livret de Paul-Louis, Vigneron, 1823, p. 169).Ceux-là mêmes qu'elle avait, les yeux étincelants de rage, souhaité déshonorer, tuer, faire condamner (...) elle ne leur voulait plus aucun mal (Proust,Fugit., 1922, p. 604).V.
hurler I B 1 ex. de Huysmans.
De rage de + inf.J'ai failli tuer trois facteurs, de rage de n'avoir rien de toi. J'attends, chaque matin (Mallarmé,Corresp., 1862, p. 43).♦ En rage. J'ai les nerfs agacés comme des fils de laiton. Je suis en rage sans savoir de quoi (Flaub.,Corresp., 1852, p. 383).Il bégaye si fort en rage qu'il explose de postillons (Céline,Mort à crédit, 1936, p. 386).
♦ Par rage (rare). Il monta se coucher, le ventre vide, par rage (Zola,Terre, 1887, p. 301).
b) [Combiné avec un verbe] ♦
[Avec avoir] Avoir une rage (+ adj.), (expr. quantifiante) + rage. Gérard eut une rage sourde, et se dit que, si sa maîtresse faisait un pas de plus vers la voiture, il se jetterait par la croisée avec l'espoir de se tuer et d'écraser en même temps son rival et Mariette (Champfl.,Avent. MlleMariette, 1853, p. 47).Avoir la rage au cœur, dans le cœur, dans l'âme, aux dents. Tu demandes pourquoi j'ai tant de rage au cœur Et sur un col flexible une tête indomptée; C'est que je suis issu de la race d'Antée (Nerval,Chimères, 1854, p. 699).♦ [Avec donner] Donner la rage. Tourbillon des pensées sans issue et sans terme, à donner la rage ou à rendre idiot (Amiel,Journal, 1866, p. 296).L'immense bêtise moderne me donne la rage (Flaub.,Corresp., 1872, p. 36).
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Faire rage Vx. Accomplir des méfaits ou des exploits. Il se promettait de faire rage contre les marauds qui attaqueraient Sigognac, cela n'étant pas dans son caractère de laisser ses amis en péril (Gautier,Fracasse, 1863, p. 214).Tu l'opprimes [le genre humain], César; Saint-Père, tu le pilles. Vos lansquenets font rage, et violent les filles (Hugo,Légende, t. 3, 1877, p. 401).Vieilli. Faire de violents efforts, beaucoup de désordre et de bruit. Cette cuisine effrayante, est jour et nuit pleine de vacarme (...). On a beau faire rage autour de lui, les hommes jurent, les femmes querellent, les enfants crient (Hugo,Rhin, 1842, p. 30).Il courut à pied jusque chez son pensionnaire (...) frappa sans l'éveiller, fit rage, et, en désespoir de cause, jeta la porte en dedans (About,Nez notaire, 1862, p. 195).♦ (Se) mettre en rage. Il se mit en rage contre la sottise de la domestique, qui était sortie en son absence et qui n'avait même pas été capable de donner des instructions pour qu'on fît attendre Christophe (Rolland,J.-Chr., Révolte, 1907, p. 565).Remettant ma copie in-extenso à Guillaume Apollinaire qui se bornait à y pratiquer des coupes sombres (ce qui avait le don de me mettre en rage!) (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 381).
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[Avec prendre] Prendre de la rage, une rage (+ adj.). Il surveilla Maria, elle s'en aperçut et en prit de la rage. Ils en vinrent aux coups (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 20).(Être) pris de rage. Je me trouvai dans un état comparable à celui d'un homme pris de rage contre une femme aimée de lui et qui, soudain, voit un hasard le priver de toute issue: mettons l'arrivée d'un visiteur (G. Bataille,Exp. int., 1943, p. 194).Se prendre de rage. Quand il pensait (...) que tout était fini, qu'on l'emportait dans la terre, il se prenait d'une rage farouche, noire, désespérée (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 194).Il se prit de rage lui aussi contre tant de malencontre. Il se retourna tout d'une pièce pour que sa mère ne vît pas ses premières larmes et il se jeta dans la porte ouverte (Drieu La Roch.,Rêv. bourg., 1937, p. 109).SYNT. Éprouver de la rage, une rage (+ syntagme déterm.); sentir de la rage; la rage dévore, étouffe, emporte, saisit qqn; la rage s'empare de qqn, monte en qqn (au cœur, à la gorge de qqn); qqn assouvit, passe sa rage sur qqc., s'emporte, s'exalte jusqu'à la rage; rage aveugle, blanche, contenue, folle, froide, furieuse, impuissante, intérieure, muette, rentrée, sombre, sourde; male rage; rage homicide, meurtrière; crever, crier, écumer, étouffer, frémir, grincer des dents, hurler, pleurer, serrer les poings, suffoquer, trépigner de rage; être blanc, blême, écarlate, fou, ivre, pâle, plein, vert de rage; cri, hurlement, larme de rage; colère, délire, désespoir, douleur, fiel, fureur, haine, jalousie, rancune, violence et rage.
2. P. méton. Accès de rage. Les rages d'un enfant. Soudain une rage me prenait, et m'emparant des pincettes, je fondais sur le monstre, le lardant de coups au flanc et au ventre (Lorrain,Sens. et souv., 1895, p. 116).Une rage terrible le secoua: il tremblait (Green,Moïra, 1950, p. 32):3. Et, tout d'un coup, comme ils passaient près d'un talus gazonné, dans un chemin désert, et qu'elle l'y entraînait, s'allongeant, le besoin monstrueux le reprit, il fut emporté par une rage, il chercha parmi l'herbe une arme, une pierre, pour lui en écraser la tête. D'une secousse, il s'était relevé, et il fuyait déjà, éperdu...
Zola,Bête hum., 1890, p. 281.
♦ [Combiné avec différents verbes] Avoir, prendre une rage, des rages; piquer une rage; jeter qqn dans les rages (+ adj.). Le mutisme obstiné de Désirée (...) son indifférence toujours croissante à soigner les plats, jetèrent Vatard dans des rages sourdes qui compromirent ses digestions (Huysmans,Sœurs Vatard, 1879, p. 198).Le peintre prit une rage. − Je ne sais pas, criait-il, ce que vous appelez l'intelligence (Duhamel,Désert Bièvres, 1937, p. 221).