1. [En parlant d'une pers., des circonstances de sa vie, et p. méton. d'un aspect du comportement] Cœur malheureux; air, visage malheureux; âme, créature, enfance, mère malheureuse. Ce soir, soudain, je me sens très malheureux. Accablé par une tristesse dont il faut bien que je vienne à bout avec mes seules forces. Un chagrin que je comprends, que je connais, dont personne ne peut me guérir (J. Bousquet, Trad. du silence,1935-36, p. 113).Ma patrie est comme une barque Qu'abandonnèrent ses haleurs Et je ressemble à ce monarque Plus malheureux que le malheur (Aragon, Crève-cœur,1941, p. 56):4. Mais aussi, Violaine, je suis bien malheureux! Il est dur d'être un lépreux et de porter avec soi la plaie infâme de savoir que l'on ne guérira pas et que rien n'y fait, mais que chaque jour elle gagne et pénètre, et d'être seul et de supporter son propre poison, et de sentir tout vivant corrompre!
Claudel, Annonce,1912, prol., p. 22.
♦ Être malheureux avec qqn; être le plus malheureux des hommes; être malheureux en ménage. Par une méchanceté de femme, elle aurait voulu voir ce dernier malheureux en ménage (Zola, E. Rougon,1876, p. 319).Être malheureux par sa faute, pour qqn. Avec la sagesse des gens non amoureux, qui trouvent qu'un homme d'esprit ne devrait être malheureux que pour une personne qui en valût la peine (Proust, Swann,1913, p. 343).Être si malheureux que; être malheureux de + inf. À la descente du carrosse, M. d'Antilly (...) se jeta à ses pieds en lui disant qu'il était bien malheureux d'avoir vécu soixante-quinze ans pour voir ce qu'il allait voir (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 104).
♦ Rendre qqn malheureux; ce qui rend malheureux c'est de + inf. C'est peut-être la femme qui m'a le plus aimé, et c'est une de celles qui m'ont rendu le plus malheureux (Constant, Journaux,1804, p. 116).
− En partic., PHILOS. Conscience malheureuse. ,,État de la conscience de soi qui, dans la Phénoménologie de Hegel, culmine avec le déchirement chrétien`` (Legrand 1972). Au delà d'une coexistence analogue à celle du fini et de l'infini dans la « conscience malheureuse » (G. Vallin, La Perspective métaphysique,Paris, P.U.F., 1959, p. 127).
− Proverbes. Être malheureux comme un chien (qui se noie). Être malheureux comme une pierre, comme les pierres (les pierres étant foulées par les pieds de tout le monde. Littré). Être extrêmement malheureux. J'ai le cœur triste comme un lampion forain... Bah! J'irai passer la nuit dans le premier train; sûr d'aller, ma vie entière, malheureux comme les pierres (Laforgue, Complaintes,1885, p. 135).On n'est jamais aussi malheureux qu'on croit. On exagère son malheur. On ne connaît pas son bonheur. On n'est jamais aussi malheureux qu'on croit (Proust, Swann,1913p. 354).
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Exclamativement. Malheureux que je suis! Voilà la dixième que je vous écris, malheureuse que je suis de vous tant aimer (Staël, Lettres L. de Narbonne,1793, p. 126).♦ Pop. Ah! malheureux! (v. malheur B rem. malheur! Qu'elle est belle!). Nous avons entendu un Berrichon, venu pour la première fois à Paris, s'écrier à chaque objet qui excitait son admiration : « Ah! malheureux (7)! c'est-il beau! » (...) 7. C'est-à-dire : ,,Combien je m'estime malheureux (pauvre) devant une telle magnificence!`` (Larch.Suppl.1880).
− Emploi subst. On s'étonne que le malheur n'ennoblisse pas. C'est que, quant on pense à un malheureux, on pense à son malheur. Mais le malheureux ne pense pas à son malheur : Il a l'âme emplie de n'importe quel infime allègement qu'il puisse convoiter (Weil, Pesanteur,1943, p. 84).