a) Tendance poétique, et plus généralement artistique, privilégiant l'expression plus ou moins vive de la subjectivité ou de thèmes existentiels dans des formes exploitant les ressources du moyen d'expression utilisé par l'artiste (langage, peinture, etc.). ♦
[En poésie] Faire vrai n'est [pas] donné (...) à Hugo, que son talent porte au lyrisme (Balzac, Corresp., 1838, p. 475).Ils [les symbolistes] poursuivront cette révolution, entreprise par le romantisme, qui refit du français un langage apte au lyrisme (Béguin, Âme romant., 1939, p. 388):1. Le lyrisme est le genre de poésie qui suppose la voix en action, − la voix directement issue de, ou provoquée par, − les choses que l'on voit ou que l'on sent comme présentes.
Valéry, Litt., 1930, p. 25.
♦ [Dans d'autres formes artist.] Lyrisme musical, pictural. Rodin pratique une sorte de lyrisme sculptural, qui heurte quelquefois notre conception des formes objectives (Hourticq, Hist. art, Fr., 1914, p. 448).Le la b (...) chez Beethoven et dans la musique de son temps, exprime une effusion de la sensibilité, un degré de plus dans le lyrisme, après le sol majeur, où domine le sentiment contemplatif (Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p.176).
♦ P. anal. [Dans une démarche intellectuelle] Il n'y a probablement que deux méthodes de pensée, celle de La Palisse et celle de Don Quichotte. C'est l'équilibre de l'évidence et du lyrisme qui peut seul nous permettre d'accéder en même temps à l'émotion et à la clarté (Camus, Sisyphe, 1942, p. 16).
− Cette tendance telle qu'elle est illustrée dans une oeuvre, un mouvement artistique; ensemble des oeuvres ou des artistes illustrant cette tendance. Lyrisme impressionniste; lyrisme arabe, japonais. Ce matin un tonifiant article de Tancrède de Visan sur A. Gide et le lyrisme contemporain (Gide, Journal, 1910, p. 322).Cette cruelle raillerie envers soi-même (...), de très bonne heure, jette sa note discordante dans le lyrisme de Heine (Béguin, Âme romant., 1939, p. 325).Rousseau se confond avec sa légende. Pendant plus d'un siècle, et bien que le lyrisme romantique se réclame de lui, ses successeurs négligeront l'homme (Cocteau, Poés. crit. I, 1959, p. 282).
b) Contenu et forme d'une oeuvre (poétique ou artistique) caractéristique du lyrisme.
Œuvre pleine de lyrisme. Il y a des dialogues d'un lyrisme un peu ridicule, des phrases qui ne pouvaient venir que sous la plume d'un jeune écrivain ardent et naïf (Green, Journal, 1932, p. 97).[C'est] ce second Degas que les jeunes peintres aiment; ils y trouvent du lyrisme et comme l'expression rageuse du désespoir (Lhote, Peint. d'abord, 1942, p. 146).Le lyrisme quasi gionesque de ce passage (Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p. 72):2. ... on connaît le lyrisme facile qui procède de cette considération: le flux de l'espèce roule par dessus moi, et je ne suis qu'une apparition fugitive à sa surface.
Ricoeur, Philos. volonté, 1949, p. 410.
− Au plur., péj. Ce sera moderne, élégant, moral, et tout! Littéraire aussi, mais sans lyrismes, cuistreries, etc. (Verlaine, Corresp., t. 1, 1873, p. 126).
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Lyrisme de qqc.Traitement lyrique (d'un thème, d'un élément matériel d'une oeuvre). Ce qu'il [Bruant] a chanté devant les femmes de la société qui étaient là, non, c'est indicible! (...) ç'a été, en ce lyrisme de l'ignoble, des dénominations infâmes, des mots salissants, de l'argot purulent, des vocables de bas bordels et de maladreries vénériennes (Goncourt, Journal, 1892, p. 210).Ce lyrisme de la production et du rendement qui anime certaines oeuvres soviétiques (Mauriac, Baîllon dén., 1945, p. 446):3. Père et maître de la peinture française, il [Fouquet] en avait au plus haut point les vertus structurales, un peu sèches dit-on, parce que le lyrisme de la couleur y manque ou ne s'y révèle que peu à peu, pudiquement, à la manière d'une source qui se cache entre les herbes, et non à celle d'un torrent.
Faure, Hist. art, 1914, p. 483.
c) Disposition de caractère ou état passager provoquant chez l'artiste l'exaltation, l'effusion de sentiments. Il n'osait pas s'abandonner librement au flot de son lyrisme intérieur. Il avait besoin de le canaliser en des sujets précis (Rolland, J.-Chr., Foire 1908, p. 774).Pour la première fois, j'ai réussi à tenir en bride le lyrisme qui est mon grand ennemi; pour la première fois, j'ai réussi à créer des personnages objectifs et extérieurs (Claudel, Corresp.[avec Gide], 1910, p. 157).− [Personnifié] Le lyrisme est notre diable. Il se dresse, enroule et déroule ses volutes à face humaine (...), il dérange avec art les calculs du géomètre, les chiffres du mage, l'humble besogne de l'horloger (Cocteau, Foyer artistes, 1947, p. 87).