1. Usage particulier d'une langue, manière de parler. Surveiller, observer son langage; tournure de langage; langage d'un écrivain. Et comment moi m'en aller? dit Julien d'un ton plaisant, et en affectant le langage créole. (Une des femmes de chambre de la maison était née à Saint-Domingue) (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 339).J'peux pas faire une reine jolie et poétique... C'est pas mon affaire!... R'gardez-moi un peu... Est-ce que vous voyez Esther avec mon pif?... Moi pas!... − Quel langage!... − dit Madame de Chalais, écœurée (Gyp, Souv. pte fille,1928, p. 167):6. ... on ne retrouvait pas dans le langage de Bergotte certain éclairage qui dans ses livres, comme dans ceux de quelques autres auteurs, modifie souvent dans la phrase écrite l'apparence des mots. (...) il y avait plus d'intonations, plus d'accent, dans ses livres que dans ses propos : accent indépendant de la beauté du style, que l'auteur lui-même n'a pas perçu sans doute, car il n'est pas séparable de sa personnalité la plus intime.
Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 553.
− En partic. Ensemble des règles de la grammaire, des règles concernant le lexique d'une langue donnée. Faute de langage; langage incorrect. Une conversation sans élégance, sans charme, et qui pourtant révèle, à travers les incorrections du langage, beaucoup d'esprit et d'immenses connaissances (Chênedollé, Journal,1823, p. 124).
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[Constr. avec un adj. spécifiant l'aspect formel de l'usage] Langage académique, ampoulé, archaïque, clair, expressif, figuré, métaphorique, pompeux, simple, soutenu. Pendant le temps que durèrent ses fonctions, il sut se composer un langage farci de lieux communs, semé d'axiomes et de calculs traduits en phrases arrondies qui doucement débitées sonnaient aux oreilles des gens superficiels comme de l'éloquence (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 50).Pourtant, Crusco savait parler d'amour; il avait quand il fallait, un langage fleuri de mots tendres, de paraboles et des plus gracieuses métaphores (Aymé, Rue sans nom,1930, p. 124):7. ... Rodolphe (...) était à ses pieds [d'une femme], enveloppant son invitation dans un discours aromatisé de tout le musc et de tout le benjoin d'une galanterie à 80 degrés Richelieu. La dame demeura confondue devant ce langage pailleté d'adjectifs éblouissants et de phrases contournées et régence au point de faire rougir le talon des souliers de Rodolphe, qui n'avait jamais été si gentilhomme vieux-Sèvres.
Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 161.
♦ Le beau langage. L'usage des personnes dont le statut est socialement valorisé. Péj. langue recherchée, affectée. Ils prenaient des leçons de beau langage et d'art de parler sans rien dire à l'Athénée ou à l'Académie française (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 242).Sous Louis XIV, Issoudun, à qui l'on dut Baron et Bourdaloue, était toujours citée comme une ville d'élégance, de beau langage et de bonne société (Balzac, La Rabouill.,1842, p. 359).Lord David (...) aimait l'éloquence et le beau langage. Il admirait fort ces boniments célèbres qu'on appelle les Oraisons funèbres de Bossuet (Hugo, Homme qui rit, t. 1, 1869, p. 190).
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[Constr. avec un adj. ou un compl. prép. de désignant une activité, un type d'usage, un groupe professionnel ou culturel, ou affectant un statut social à l'usage] Langage choisi, courant, noble, ordinaire, vulgaire; langage argotique, populaire, poissard; langage écrit, parlé; langage diplomatique; langage de la conversation; langage des marchands, du peuple; langage des coulisses, de la rue. Il [un vigneron] a une tête magnifique, distinguée; une pénétration, une fermeté, une éloquence extraordinaire par moments, et tout cela avec le langage paysan et des manières nobles comme ne les ont plus les grands seigneurs (Sand, Corresp., t. 3, 1849, p. 144).C'était un ancien commis voyageur, actuellement boursier, très bon enfant, patriote, ami des dames, et qui affectait le langage faubourien (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 9).Dans le Typhon, l'Olympe parlait le langage des halles (France, Génie lat.,1909, p. 44).Faut pas quoi? demanda Goigneux en feignant de n'avoir pas compris, car il supportait mal que Jourdan s'exprimât en argot ou même dans un langage un peu peuple (Aymé, Uranus,1948, p. 80):8. On assumait assez volontiers le rôle de démons littéraires tout occupés dans leurs ténèbres de tourmenter le langage commun, de torturer le vers, de lui arracher ses belles rimes ou ses majuscules initiales, de l'étirer jusqu'à des longueurs démesurées, de pervertir ses mœurs régulières, de l'enivrer de sonorités inattendues.
Valéry, Variété IV,1938, p. 14.
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Langage littéraire, poétique. Le langage littéraire − expression des désirs cachés, de la vie profonde − est la perversion du langage un peu plus même que l'érotisme n'est celle des fonctions sexuelles (G. Bataille, Exp. int.,1943, p. 230):9. ... ce qui, pour le poète moderne [Valéry], reste une simple possibilité ou une métaphore même est, aux yeux du philosophe romantique [Schubert], certitude absolue, intuition immédiate et vérifiée par l'adhésion intérieure. Pour lui, les objets ont davantage qu'une apparence de vie, qu'un dessein supposé : ils expriment en fait la même réalité indéfinissable qu'atteint le langage poétique.
Béguin, Âme romant.,1939, p. 111.
♦ Langage diplomatique (au fig.). Manière habile de s'exprimer, en cherchant à ne blesser personne. V. diplomatique 2ex. 2.
− [Constr. avec un adj. ou un compl. prép. de désignant une matière, un domaine, une science ou une technique] Langage administratif, juridique, philosophique, technique; langage du droit, de l'économie, des sciences. Il a présenté ce spirituel académicien [Fontenelle] comme celui qui, le premier, a introduit le langage scientifique, la langue théorique dans la littérature (Delécluze, Journal,1827, p. 397).Dépouiller l'héritage romantique du langage astrologique, magique et occulte, où la mode du temps l'avait enfermé (Béguin, Âme romant.,1939p. 128).Le tout exprimé dans le langage géométrique habituel des éléments, ce qui rend l'exposé particulièrement touffu et incommode (Bourbaki, Hist. math.,1960, p. 95).On peut traduire ces hypothèses en un langage mathématique assez précis pour pouvoir alors appliquer le théorème cité (Traité sociol.,1967, p. 130).
2. P. anal. Ensemble des moyens d'expression particuliers à un art, ou utilisés par un artiste pour créer une œuvre. Langage chromatique, musical. Les arts sont au-dessus de la pensée : leur langage ce sont les couleurs ou les formes, ou les sons (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 377).Nous pouvons joindre à ces trois pièces [de Debussy] comme participant du même esprit, quoique (...) seuls le langage harmonique et l'emploi de la pédale en assurent le caractère suggestif, la deuxième Image de la seconde série : Et la lune descend sur le temple qui fut (Cortot, Mus. fr. piano,1930, p. 29).Poser la question (...) de l'efficacité intellectuelle d'un langage qui n'utiliserait que les formes, ou le bruit, ou le geste, c'est poser la question de l'efficacité intellectuelle de l'art (Artaud, Théâtre et son double,1938, p. 83):10. La plastique est un langage plus encore qu'on ne le croit. Elle est une manière de parler parce qu'elle est une manière de penser. Elle peut exprimer des idées et des relations d'idées que le sculpteur ou le peintre serait tout à fait impuissant à traduire par des mots. (...). La grandeur d'un esprit n'est pas liée à ses facultés discursives, mais à son plus ou moins de force à exprimer, dans n'importe quel langage, ce qu'il conçoit. Et parce que Cézanne ne comprendrait pas toujours le langage de Hegel, je ne vois pas pourquoi Cézanne serait un moins grand esprit que Hegel, qui ne comprendrait pas mieux, j'imagine, le langage de Cézanne. La philosophie elle-même n'est qu'une manière de parler.
Faure, Espr. formes,1927, p. 137.