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LAISSÉES, subst. fém. plur.

LAISSÉES, subst. fém. plur.
VÉN. Synon. de laisses.Laissées de sanglier. (Dict. xixeet xxes.). La louve fait ordinairement ses laissées au milieu d'un chemin; elles sont plus molles [que celles du loup] et presque en plateaux (La Hêtraie, Chasse, vén., fauconn.,1945, p. 158).
Prononc. et Orth. : [lεse], [le-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Av. 1573 « fiente des bêtes noires » (Jodelle, Ode de la chasse ds Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 2, p. 309). Part. passé fém. plur. de laisser*; cf. laisse3étymol. et hist. II.

LAISSER1, verbe trans.

LAISSER1, verbe trans.
I. − Faire rester.
A. − Qqn/qqc. laisse qqn/qqc. (dans un lieu)
1. Quitter momentanément. Laisser qqn en chemin; laisser ses enfants, ses amis pour voyager; adieu, je vous laisse. Un matin de mai, les Chanteau, laissant au lycée Lazare, âgé alors de quatorze ans, partirent pour s'installer définitivement à Bonneville (Zola, Joie de vivre,1884, p. 822).J'ai des parents que j'ai laissés, il faut que j'aille les retrouver (Verlaine, Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 120).Je demeure seul en face d'une idée fixe que je laisse, que je reprends, que je retourne, résume, amplifie (Mauriac, Du côté Proust,1947, p. 138):
1. Il laissa, dans l'antichambre, sa gabardine gorgée d'eau, son feutre déformé, ses gants, son jonc à pomme d'or. Puis il gagna son cabinet de travail. Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 214.
2. Quitter délibérément et définitivement.
a) Qqn laisse qqc.Laisser son dessert; laisser son appartement, sa maison, son pays. Au premier beau jour de printemps, la mère a disparu avec l'enfant, laissant meubles et hardes (France, Bonnard,1881, p. 292).À chaque œuf que vous mangiez (...) votre bonne maman ne manquait pas de s'écrier (...) : « Eh! laisse le blanc, petiton : il n'y a que le jaune qui compte! » (Gide, Si le grain,1924, p. 384):
2. Nous sommes semblables à ces personnes dégoûtées qui tâtent d'une viande, puis la laissent, et portent incontinent la main sur une autre, qu'ils laissent encore, et ainsi ils ne prennent goût à rien. Du Bos, Journal,1928, p. 27.
[P. allus. littér. à l'inscription à la porte de l'enfer de Dante] Laissez toute espérance, vous qui entrez. « Vous qui passez le seuil, laissez y l'espérance. » ... l'enfer est partout où l'espoir n'entre pas (Dumas Père, Alchimiste,1839, III, 4, p. 233).Il y a dans le surréalisme (...) l'héritage de Rimbaud, justement, que Breton résume ainsi : « Devons-nous laisser là toute espérance? » (Camus, Homme rév.,1951, p. 119).
En partic.
Abandonner (une activité, une opinion); cesser de s'occuper de, de parler de. Synon. renoncer à.− Vous avez le front de votre père, lui dis-je − Laissez le front de mon père (Giraudoux, Siegfried et Lim.,1922, p. 162).Je laissai toute fierté vis-à-vis d'Albertine, je lui envoyai un télégramme désespéré lui demandant de revenir à n'importe quelles conditions (Proust, Fugit.,1922, p. 476).Laissons l'analyse intellectuelle, ne quittons pas le domaine propre de la création poétique (Bremond, Poés. pure,1926, p. 112):
3. − Tu disais à Marion qu'il avait emmené sa femme à Vienne. − C'est un détail, fit Albert avec impatience; laissons cela, veux-tu; j'ai besoin de travailler. Chardonne, Épithal.,1921, p. 262.
Abandonner (une direction). Virginie, laissant les guérets, avait dû se diriger vers le château (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 488).Nous laissions à notre droite derrière nous la Corse, toute blanche, toute radieuse, comme une mariée, dans la matinée carillonnante! (Claudel, Part. midi,1949, I, p. 1078):
4. À la patte d'oie, où trois allées s'écartent en éventail, M. de Remilleret laissa à droite l'allée de Bouchebrand, à gauche celle de Malvaux, et prit au centre celle qui monte vers Buzidan. Genevoix, Raboliot,1925, p. 186.
[Pour sommer qqn de se décider à qqc., de faire un choix] C'est à prendre ou à laisser. Il faut accepter la chose telle quelle, selon les conditions fixées, ou y renoncer. C'est à prendre ou à laisser, Monseigneur; je veux savoir si, tout de bon, vous m'obéirez désormais (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 279).Il fallait qu'on marche avec lui!... C'était à prendre ou à laisser! (Céline, Mort à crédit,1936, p. 512):
5. Quand je dis qu'elle propose... Je crois qu'il ne faut pas discuter : c'est à prendre ou à laisser. Voilà : elle règle naturellement toutes les dépenses de la maison, les voyages, les autos, enfin tout. Bourdet, Sexe faible,1931, I, p. 452.
P. ell. À prendre ou à laisser. Quatre-vingt mille francs comptant, et vous me laisserez les diamants (...). − Mais (...). − À prendre ou à laisser, reprit Gobseck en remettant l'écrin à la comtesse, j'ai trop de risques à courir (Balzac, Gobseck,1830, p. 414).Un certain style à l'emporte-pièce, la dure frappe impitoyable − vraiment à prendre ou à laisser − de profil de médaille (Gracq, Beau tén.,1945, p. 126).
Il y a à prendre et à laisser. Il y a de bons et de mauvais côtés, du vrai et du faux (dans une chose qui présente divers aspects contradictoires).
Loc. synon. fam. il y a à boire et à manger. Il condamne peut-être les méthodes en cours. − Il faut en prendre et en laisser (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 192):
6. Je suis loin de tout admettre sans distinction dans les tableaux d'Elstir. Il y a à prendre et à laisser. Mais ce n'est toujours pas sans talent. Et il faut avouer que ceux que j'ai achetés sont d'une beauté rare. Proust, Guermantes 2,1921, p. 501.
Emploi abs. [À l'impér., pour inciter qqn à ne plus s'occuper de qqc.] Ne pas intervenir (dans une situation). Synon. laisser tomber (v. laisser2).Laissez! Laissez donc! Je fis signe au garçon. Robert eut alors un geste étonnant : − Non, Monsieur, laissez : je peux bien vous offrir ça (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 209).Elle ne permettait pas à Henriette de laver la vaisselle : « Laissez, disait-elle, laissez, j'ai l'habitude... » (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 217):
7. (Elle se lève et il veut l'aider.) Laissez, mon fils, je ne suis pas infirme. Voyez ces mains qui sont encore fortes. Elles pourraient maintenir les jambes d'un homme. Camus, Malentendu,1944, I, 6, p. 140.
b) Qqn laisse qqn.Rompre avec. Synon. planter là, abandonner.Laisser sa famille, ses enfants, un ami. Cf. aussi laisser là (infra) et laisser tomber (v. laisser2).
En partic. Rompre avec (une femme) après un mariage ou après une liaison. Synon. lâcher (fam.), plaquer (pop.).Tu m'as aimée, un jour, et je m'en souviens. Il fallait me laisser comme les autres... comme Marie-Louise (Chardonne, Épithal.,1921, p. 310).
3. Mettre en dépôt, en garde. Synon. déposer.Laisser ses bagages à la consigne; laisser un enfant à la crèche, chez la gardienne, chez la nourrice. Faire la queue ennuyait les femmes : elles laissaient les pots, le laitier les emplissait, et elles venaient les chercher (Malraux, Espoir,1937, p. 537).
4. Oublier. Laisser son sac, ses gants, son parapluie chez qqn, dans le train. Il m'arrivait de laisser, par mégarde, sur ma table, au milieu d'autres lettres, une certaine qu'il n'eût pas fallu qu'elle vît (Proust, Guermantes 2,1921, p. 501).Grange cherchait ses lunettes. « Petit, j'ai dû les laisser à l'entrepôt » (Pourrat, Gaspard,1931, p. 21):
8. Sur la table, elle avait laissé son chapeau et son sac. Serge alla à la fenêtre et attendit que Marguerite apparût sur le trottoir. (...). − Tu as oublié ton sac, cria Serge, et il le lui lança. Nizan, Conspir.,1938, p. 215.
En partic. Ne pas remarquer, ne pas supprimer. Laisser des erreurs, des fautes, des répétitions. Le faussaire, en laissant l'adresse, a été d'une bêtise (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 399).En vingt ans... je n'ai jamais laissé une erreur dans un compte... ni dans une balance (Flers, Caillavet, M. Brotonneau,1923, III, 5, p. 22).
5. Perdre quelque part ou en quelque occasion ce qui nous appartient en propre (vie, santé, jeunesse) ou perdre des biens. (Y) laisser de l'argent, sa santé, sa fortune. Je suis sûr que si je quittais cette pauvre chambre, j'y laisserais le meilleur de moi-même (A. Daudet, Rois en exil,1879, p. 44).Jamais son fils ne se serait embarqué dans cette stupide exploitation des algues (...). Tant pis pour elle, si elle y avait laissé des sous! Lui, le pauvre garçon, y avait bien laissé de sa santé et de son avenir! (Zola, Joie de vivre,1884, p. 928).
Laisser sa vie au combat; y laisser la vie. Mourir. Non, je ne mourrai pas ainsi!... Je laisserai ma vie dans ma dernière morsure; mais elle sera mortelle (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 553).La mer est peuplée d'espèces assez voraces... pour faire disparaître promptement la dépouille des pauvres diables qui laissent leur vie dans les flots (Delacroix, Journal,1824, p. 110).
Au fig.
(Y) laisser la/sa peau, ses os (fam.), (y) laisser ses bottes (pop.). Mourir. Il n'entendait pas laisser ses bottes chez le mastroquet, à la fleur de l'âge (Zola, Assommoir,1877, p. 516).Tu travailles trop et c'est un sale climat. Tu finiras par y laisser la peau (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 44):
9. Piéchaud, l'aîné, avait failli laisser sa peau lors de l'arrestation d'un Polonais et sa joue droite portait la cicatrice d'une balle de revolver. Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 104.
(Y) laisser des plumes, des poils (fam.). (Y) perdre de l'argent; (en) éprouver quelque dommage ou désagrément. Laisser des plumes au jeu. Ne nous engageons pas à la légère dans une aventure où nous pouvons laisser des plumes (France, Île ping.,1908, p. 203):
10. En apprenant qu'il n'avait plus un franc et qu'il avait près d'un million de dettes, Saniette a eu une attaque. − Mais aussi pourquoi a-t-il joué? (...). De plus fins que lui y laissent leurs plumes... Proust, Prisonn.,1922, p. 324.
Y laisser sa dernière chemise. V. chemise ex. 2.
6. Faire subsister après soi.
a) Faire rester après son passage. Laisser une trace/des traces, une traînée; partir sans laisser d'adresse; fleuve qui laisse des alluvions; marée qui laisse des coquillages (en se retirant); liquide qui laisse un dépôt; eau qui s'évapore sans laisser de trace; boisson qui laisse un goût. Le coursier blanc comme lait (...) galopait, laissant derrière lui des tourbillons de poussière (Mérimée, Guzla,1827, p. 205).Quand il traversait les jardins, il voyait sur le sable des empreintes très fines comme en laissent les gazelles (Barrès, Jardin Oronte,1922, p. 16).Le vin coulait frais dans la gorge, vous laissait au palais une rustique et bonne âpreté (Genevoix, Raboliot,1925, p. 134):
11. Il s'appuya au dossier de sa chaise, et allongea sa jambe. (Son accident lui avait laissé au genou droit une raideur qui, certains jours, le faisait boiter légèrement.) Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 26.
P. anal. Laisser des regrets, un bon souvenir, une bonne/mauvaise réputation; laisser le souvenir d'un homme bon, doux, dévoué. Quand il sort, il laisse un froid, au milieu de nous... (Goncourt, Journal,1887, p. 729).Son ancien diocèse, où il avait laissé la réputation d'un brave homme inoffensif (Bernanos, Imposture,1927, p. 338).
Au fig. Avoir pour conséquence, être suivi d'(un effet durable). Coup qui laisse des marques, blessure qui laisse des cicatrices; maladie qui laisse des séquelles; souvenir qui laisse un goût d'amertume; voyage qui laisse des souvenirs agréables. Ils allèrent à Pompéi, à Salerne, à Paestum, belles visions trop courtes qui laissaient dans l'esprit de blanches et confuses images comme un rêve à demi oublié (Maurois, Ariel,1923, p. 257):
12. ... le poème de Dante, les romans de d'Annunzio sont une succession d'images, et laissent l'impression étrange d'une œuvre d'art non point faite (...) pour se dérouler dans le temps, mais pour s'étaler dans l'espace. Faure, Espr. formes,1927, p. 102.
b) Abandonner après sa mort.
Laisser une femme, des descendants, des héritiers. Si je mourais en laissant des enfants, il [Gobseck] serait leur tuteur (Balzac, Gobseck,1830, p. 420).Au bout d'un an, elle est morte, me laissant un enfant (Claudel, Violaine,1901, I, p. 591).
Laisser des manuscrits, une fortune, un héritage, un nom. Un médecin de Châlons (...) mort il y a une dizaine d'années en laissant une grande réputation dans les départements de l'est (Goncourt, Journal,1895, p. 846).Il n'a pas tardé à mourir en laissant quelque douze cents francs (Barrès, Cahiers, t. 7, 1908, p. 81).
7. Faire subsister à côté. Synon. ménager.Laisser une marge, un espace, un intervalle. La division claustrale qui divise le bâtiment en chambres d'égale grandeur, en ne leur laissant d'autre issue qu'un long corridor (Balzac, Gobseck,1830p. 384).Les grandes nébuleuses de l'hémisphère austral scintillaient comme des taches de phosphore, laissant entre elles des espaces vides, de grandes trouées noires (Loti, Mariage,1882, p. 149).Je me mis à écrire en lettres minuscules, sans laisser un espace blanc (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 68).
B. − Qqn/qqc. laisse qqn/qqc. + adj. attribut ou compl. circ. indiquant un état.
1. [Le suj. est une pers.] Faire rester (en abandonnant, en renonçant à, en se débarrassant de) dans tel état. Laisser (qqn) ahuri, interdit; laisser qqn à la porte, debout, dehors, dans le froid, dans le doute, dans l'embarras, dans l'erreur, dans la misère, sans le sou. Elle était partie en laissant l'enfant endormi (Zola, Joie de vivre,1884, p. 1066).On comprenait mal qu'elle laissât dans l'oisiveté un garçon de vingt ans (Radiguet, Bal,1923, p. 80):
13. Je m'apercevais que j'étais différent des autres, sans savoir si c'était en bien ou en mal, et cela m'effrayait. Enfin, j'étais surpris douloureusement de voir mes parents me laisser sans conseils et sans direction, comme s'ils ne découvraient aucun emploi qui me convînt. France, Vie fleur,1922, p. 431.
Laisser un travail inachevé, un crime impuni; laisser le champ libre (v. champ1III), la bride sur le cou (v. bride A 2 a) à qqn; laisser une terre en friche, un ouvrage en chantier, la porte/la fenêtre ouverte, la lumière allumée; laisser tout en désordre, à l'abandon; laisser les choses telles quelles, en l'état. Afin de n'avoir personne dans la maison qu'il (...) habitait, il s'en était fait le principal locataire et il en laissait toutes les chambres inoccupées (Balzac, Gobseck,1830, p. 437).Il laissa sa tête découverte par déférence (Proust, Temps retr.,1922, p. 861):
14. Elle s'éveillait de bonne heure, sautait à pieds nus sur le carrelage rugueux de sa chambre qu'elle laissait dans la poussière et sans entretien; elle se lavait en un cabinet obscur et très froid l'hiver. Jouve, Paulina,1925, p. 121.
Laisser qqn seul (souvent à l'impér.). Se retirer, quitter quelqu'un pour qu'il soit seul. Laisse-moi seul un moment et empêche qui que ce soit d'entrer ici. Ernest sortit (Balzac, Gobseck,1830p. 432).Je m'en allai, le laissant seul (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 265).
Laisser (qqn) tranquille, en paix (loc. fam.). Ne pas ou ne plus importuner. J'ai prié cet homme [le gardien du musée de Grenoble] de me laisser tranquille à cette fenêtre et d'aller... s'asseoir dans son fauteuil (Stendhal, Mém. touriste, t. 2, 1838, p. 198).Mon Dieu, si elle pouvait nous laisser tranquilles (Proust, Sodome,1922, p. 863):
15. − Est-ce qu'il est tué? Un grand « oui » de la tête, et (...) une sorte de plaisir, comme si maintenant tout était dit, comme si maintenant c'était fini, on allait le laisser en paix, et toujours : « Oui. Oui. Tu as trouvé. Tu sais ce que tu voulais. Maintenant laisse-moi en paix. » Montherl., Songe,1922, p. 163.
[P. ell. du compl. circ.] Laissez-moi donc! − Minet-chéri, si tu disais bonsoir gentiment à Mme Bruneau? − Elle dort à moitié, laissez-la, cette petite (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 74).Laissez-le, chère amie, il a tout l'air d'être enragé. D'ailleurs il n'a rien. Bella caressait le chien. Il était sur le flanc (Giraudoux, Bella,1926, p. 154):
16. − Laissez-moi. Je n'ai besoin de rien. C'est un peu de fièvre. La vieille demanda si elle voulait de la quinine : − Non, rien, rien que le repos, que me tourner contre le mur. Allez-vous en. Mauriac, Génitrix,1923, p. 341.
Laisser qqn pour mort. S'éloigner de quelqu'un en étant persuadé qu'il est mort (tué). Dantès tomba sur lui, le laissa pour mort. Remis des coups, Narracq se tint muet (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 91).
Laisser (qqn/qqc.) de côté. Ne pas s'occuper de (v. côté II C 2). Synon. laisser tomber (v. laisser2).Ils n'avaient guère de relations et c'étaient de ces gens qu'on laissait de côté, hors des grandes occasions (Proust, Sodome,1922, p. 676).
Laisser (qqn) derrière soi. Dépasser, distancer, et au fig. surpasser. Je pense encore pour le soyeux, pour l'incarnat vivant de la copie que vous en faites. Ah! vous laissez bien loin derrière vous Pisanello et Van Huysum, leur herbier minutieux et mort (Proust, Guermantes 1,1920, p. 214).Des milliers de mystiques ont puisé à sa flamme des ardeurs tellement passionnées qu'elles laissent loin derrière elles, en éclat et en pureté, les élans et les dévotions de n'importe quel amour humain (Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 329).
Laisser (qqn/qqc.) en plan (fam.), en rade (pop.), en carafe (pop.). Quitter brusquement; quitter définitivement. Synon. planter là.Je laissai en plan une marquise pour la gouvernante d'un chanoine (Toulet, Mar. Don Quichotte,1902, p. 70).
Laisser en blanc (un mot, un nom, une inscription). Réserver la place de (pour le préciser ultérieurement). La séance fut levée, après que chacun eut signé, sur le registre, la délibération, que le maître d'école avait préparée à l'avance, en laissant en blanc le résultat du vote (Zola, Terre,1887, p 163).
Laisser là (qqn/qqc.). Quitter brusquement; abandonner; cesser de s'occuper de. Laissons là les vains rêves; à part quelques moments de crise, toujours le choix des Ministres dépendra des intrigues de la Cour (Marat, Pamphlets, Suppl. Offrande à la Patrie, 1789, p. 47).Les habitans (...) devenaient tous comme insensés de désespoir; ils laissaient là femmes et enfans, et s'en allaient éperdus (Barante,Hist. duc. Bourg., t. 4,1821-24,p. 349).− (...) ma belle-mère m'avait adoptée (...). − Laissons-là mes parents, voulez-vous? coupa-t-il sèchement (Mauriac, Myst. Frontenac,1933, p. 30):
17. Puis un jour, laissant sa petite maison, emportant ses meubles et son mari dérisoire, elle déménagea et s'en fut habiter très loin de nous, tout là-haut, à Bel-Air. Colette, Mais. Cl.,1922, p. 78.
Laisser (une marchandise, et au fig. qqn) pour compte. V. compte II C 3 a et laissé-pour-compte.
2. [Le suj. désigne une chose; l'obj. désigne une pers. ou une partie de lui-même] Cela me laisse rêveur. Le gardien, que le costume hétéroclite de son professeur inattendu laissait encore incrédule et défiant (Vallès, Réfract.,1865, p. 70).L'émotion poignante de la confession de sa mère le laissa sans énergie pour se révolter (Maupass., Pierre et Jean,1888, p. 414):
18. Presque tous mes songes se déroulent dans un silence effrayant. Ceux où il y a du bruit, des paroles, des chants, sont rares : ils me laissent l'âme bouleversée pour plusieurs jours. Duhamel, Confess. min.,1920, p. 79.
Qqc. laisse qqn froid (fam.), indifférent. Ne pas toucher, ne pas intéresser. Ça me laisse froid. Rendre service au pays. Bien faire. Tout le reste leur est égal, les laisse froids (Barrès, Cahiers, t. 5, 1907, p. 159):
19. − Il est impossible (...) de mettre plus de bonne volonté (...) dans les efforts que je ne cesse d'accumuler pour me prendre aux choses de la vie. Impossible! Tout me laisse froide et complètement, désespérément indifférente. Je n'ai jamais réussi à avoir d'amour pour personne... Gobineau, Pléiades,1874, p. 191.
II. − Faire garder.
A. − Qqn/qqc. laisse qqn/qqc. à/pour qqn/qqc.
1. Remettre, confier. Laisser des consignes à ses subordonnés, un mot, un message, une carte (de visite) à qqn; laisser des arrhes à un fournisseur, des fonds à un notaire. Nous sortons tous les deux, laissant petit Pierre à sa grand'mère (Loti, Mon Frère Yves,1883, p. 421).Elle avait laissé les clefs aux Misard, en les chargeant de montrer la propriété, si des acquéreurs se présentaient (Zola, Bête hum.,1890, p. 121).Mme Caroline, laissant son propre ménage aux soins de l'unique bonne qui les servait (Zola, Argent,1891, p. 66):
20. Une après-midi, par un des derniers beaux jours de la saison, Claude avait emmené Christine, laissant le petit Jacques à la garde de la concierge, une vieille brave femme, comme ils faisaient d'ordinaire, quand ils sortaient ensemble. Zola, Œuvre,1886, p. 230.
Être laissé à soi-même. Synon. être abandonné, livré à soi-même.Palmerston laissé à lui-même effrayait l'Europe sans jamais la troubler (Maurois, Dialog. commandement,1924, p. 40).Le dîner pris, elles [des dames] nous laissèrent à nous- mêmes, et une tout autre conversation s'institue entre la pipe de Henley et toutes mes cigarettes (Valéry, Regards sur monde act.,1931, p. 101).
2. Céder. Laisser la/sa place, le passage, la parole à qqn; laisser à qqn le soin de, le temps de, l'honneur de, l'initiative de. Il [Dumas] me laisse les premiers numéros de son journal, qui est charmant (Delacroix, Journal,1832, p. 120).Un moment, elle le dévisagea, dans une révolte de tout son être, elle qui d'habitude s'abandonnait docilement, pour les questions d'affaires, lui laissant la signature des traités avec ses directeurs et ses amants (Zola, Nana,1880, p. 1344).
COMM. Consentir à vendre à bas prix, à un prix avantageux pour le client. Synon. solder.Laisser une marchandise à qqn à/pour x francs, à moitié prix, à bon compte, à bon prix. Ce Christ-là vaut cinquante mille francs; mais je le laisserai à trente mille (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Bar., 1887, p. 1303).Le billet était marqué 7 pesetas : on le laissa pour 12 (Montherl., Bestiaires,1926, p. 400):
21. On citait entre autres cinq pierres de prix qui valaient réellement plus de 40 000 francs, et que, dix jours avant la mort du prince, on avait laissées pour 35 000 francs, parce que, disait-on, on avait besoin d'argent. Stendhal, Chartreuse,1839, p. 402.
3. Garder, réserver. Laisser du gâteau à qqn/pour qqn. Il fallait émonder l'arbre, ne lui laisser que les maîtresses branches (Genevoix, Raboliot,1925, p. 138).
Loc. fig. Laisser à qqn du pain* sur la planche, une poire* pour la soif.
Loc. fam. Ne laisser à qqn que les yeux pour pleurer. On a sûrement tué quelqu'un aujourd'hui (...) le fils, notre cheval, le blé, maintenant les chèvres. Dites, vous nous laissez les yeux pour pleurer? (Giono, Gd troupeau,1931, p. 126).
En partic. Abandonner à quelqu'un (ce qui lui revient ou ce qui semble lui être propre). Laissons cela/ce genre de plaisanteries à d'autres; laissons ces méthodes, ces procédés aux charlatans. Il me fâche qu'on parle correctement dans le particulier. Il faut laisser cela aux conférenciers (France, Vie fleur,1922, p. 551):
22. Laissant à Hogarth ses idées morales et utilitaires que reprirent plus tard les Cruikshand; abandonnant, après de nombreux essais, à James Gillray, ses sujets politiques, il s'attaqua aux mœurs et les peignit en d'incomparables satires... Huysmans, Art mod.,1883, p. 225.
4. Accorder. Laisser le choix, la vie, la liberté à qqn. La possibilité ou l'attente d'être distrait commencent déjà à énerver le peu de force que me laisse le temps mal employé de la veille (Delacroix, Journal,1824, p. 67).L'asthme lui laissait du répit. Il sommeillait jusqu'au petit jour sans le secours d'aucun narcotique (Mauriac, Baiser Lépreux,1922, p. 176).
Laisser la paix à qqn. Loc. synon. laisser qqn en paix, tranquille; synon. fiche (fam.) ou foutre (vulg.) la paix à qqn. Qu'on me laisse la paix, à la fin! J'en ai assez des amours des autres! (Mauriac, Mal Aimés,1945, II, 2, p. 232).Folcoche me laisse une paix relative. Elle a compris la nécessité de changer encore une fois de politique (H. Bazin, Vipère,1948, p. 227).
5. En partic. Transmettre (un bien) par succession, par donation ou par disposition testamentaire. Synon. léguer.Laisser à ses enfants, à ses héritiers une maison, une propriété, des terres, une fortune, une rente, un héritage; laisser une somme à une œuvre, des legs à qqn. Mon testament est chez mon notaire. Il lui dit alors qu'il lui laissait en viager l'usufruit de sa fortune (France, Jocaste,1879, p. 65).Plus tard, ils pourraient l'adopter [la petite], par exemple, lui laisser leur bien, ça s'est vu (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 242):
23. Le roi d'Espagne Charles II, beau-frère de Louis XIV et de l'empereur Léopold, allait mourir sans enfant. Selon que Charles II laisserait sa succession à l'un ou à l'autre de ses neveux, le sort de l'Europe serait changé. Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 250.
P. anal. Transmettre à la postérité. [Il] mourut (...) dans la pauvreté la plus noire, nous laissant, en sus de caricatures politiques, d'illustrations de livres et d'études de mœurs, une série de planches gaillardes (Huysmans, Art mod.,1883, p. 226).
En partic. [À la Messe, dans la liturg. de la Communion, paroles du Christ dans l'Évangile, cf. St Jean, chap. 17, verset 27] Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. La première des trois prières d'avant la communion : « Seigneur Jésus-christ, qui avez dit à vos Apôtres : je vous laisse ma paix, je vous lègue ma paix » (Billy, Introïbo,1939, p. 153).
B. − Qqn/qqc. laisse qqc. à faire à qqn/à qqc.
1. Qqn laisse qqc. à + inf. + à qqn.Charger (quelqu'un) de (faire quelque chose). Vous détruisez l'œuvre des siècles, vous ne laissez rien à faire aux barbares (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 136).
Arch., littér. Laisser à + inf. à qqn.Vous voulez tout faire par vous-même, ne rien laisser à faire à Dieu (Du Bos,Journal,1927,p. 240).Laissons à faire à la mort; à quoi bon aider à son jeu? (Gide, Carnets Égypte,1939, p. 1062).
2. Qqn laisse (à qqn) à + penser/juger + complétive ou interr. indir.Réserver, abandonner (à quelqu'un) le soin de penser, de constater par lui-même, ne pas expliquer ce qui paraît suffisamment clair. Je vous laisse à penser, à juger ce que..., combien..., quel..., si... Je laisse à penser avec quel plaisir Mlle Louison entendit proclamer le nom du vainqueur (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 211).Il les eut toutes comme il voulut. Tant que, voulant avoir aussi celle du roi, c'est-à-dire sa maîtresse d'alors, il la fit marchander, dont le roi se fâcha et le mit en prison. S'il fit bien, c'est un point que je laisse à juger (Courier, Pamphlets pol., Disc. souscr., 1821, p. 82):
24. − Vous avez un fameux coup d'œil! s'exclama le révérend. Je vous laisse à penser quel fut le succès de notre retour. Frédie et moi, nous portions le renard attaché par les pattes à une grosse branche, comme les nègres quand ils ont tué un lion. H. Bazin, Vipère,1948, p. 69.
3. Qqn, qqc. laisse (à qqn) à + inf.
Emploi ell.
Laisser à penser. Donner matière à réflexion. Cela laisse à penser. Il néglige saint Thomas pour écrire un poème dont nous ne connaissons que le titre, mais qui laisse à penser : les Bains de Vénus (Mauriac, Vie Racine,1928, p. 48).
Laisser à entendre (v. entendre II A 1 b rem.).
Laisser à désirer (v. désirer II B 1).
Prononc. et Orth. : [lεse], [le-], (il) laisse [lεs], [lε:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Ne pas intervenir; se comporter de telle sorte qu'une pers., une chose, restent dans le même état. A. Laisser suivi d'un inf. formant une loc. verbale à valeur permissive. 1. avec un inf. de verbe intrans. a) laissier ca 881 (Eulalie, 28, ds. Henry Chrestomathie, p. 3 : a lui [Christus] nos laist venir); 2emoitié xes. (St Léger, éd. J. Linskill, 95 : En u monstier me laisse intrer); fin xes. (Passion, éd. D'Arco S. Avalle, 232 : Poisses laisarai l'en annar); mil. xies. (Alexis, éd. Chr. Storey, 79 : Drecent lur sigle, laisent curre par mer); 1376 cynégét. (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, 34, 2 : Se je lesse courre mes chiens au[s] biches); b) pronom. soi laissier ca 1160 soi laissier morir (Eneas, 6884 ds T.-L. s.v. morir); 1176-81 soi lessier cheöir [aux pieds de qqn] « se jeter aux pieds de qqn » (Chrétien de Troyes, Lion, éd. M. Roques, 6720); 2. avec un inf. de verbe trans. a) laissier mil. xies. (Alexis, 579 :... sil laissent metra an terre); b) soi laissier 1174-76 (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, 4068 ds T.-L. : a ces dous voleit qu'il se laissast jugier). B. Maintenir (qqn, qqc.) dans un état déterminé 1. fin xes. « laisser subsister, maintenir » (Passion, 64 : Pedra ssubr'altre non laiseront); 1160-74 (Wace, Rou, éd. J. Holden, II, 809); 2. 1176-81 « laisser la liberté, relâcher » (Chrétien de Troyes, Chevalier au Lion, 4332). C. 1160-74 trans. « permettre (qqc.) » (Wace, Rou, II, 1777). II. Mettre une distance entre qqc. et soi; ne pas garder avec soi. A. S'éloigner volontairement 1. a) de qqc., d'un lieu ca 881 (Eulalie, 24, Volt lo seule lazsier); 1155 (Wace, Brut, 13498 ds T.-L. : Celles laissent e abeïes [li bon moine]); b) p. ext. ca 1100 « (dans un parcours) passer devant un lieu sans y pénétrer, y aborder » (Roland, éd. J. Bédier, 2641 : Laisent Marbrise [nom d'un lieu imaginaire]); 2. d'une pers. a) 2emoitié xes. (St Léger, 127 : Domine Deu il lo laissat); b) mil. xieavec attribut du compl. d'obj. (Alexis, 470 : Ou [la maisun] tum laisas dolente ed eguarede). B. 1. Faire demeurer dans un lieu (qqn, qqc.) qu'on ne peut emmener avec soi ca 1100 une pers. (Roland, 3677); 2. ca 1170 une chose (Marie de France, Lais, Fresne, éd. J. Rychner, 306 : Le cofre fist of sei porter; Ne volt lessier ne ubliër). C. Céder 1. ca 1100 « léguer (un bien) » (Roland, 315); 2. 1160-74 « céder (des hommes à qqn pour qu'ils passent sous son obédience) » (Wace, Rou, III, 920 : Les païsanz a mei lessez). D. Perdre, se trouver séparé d'un bien personnel, d'une partie de soi-même 1. ca 1100 laissier sun tens « perdre la vie » (Roland, 1419); 2. 1616 « se trouver involontairement séparé de pers. ou de choses qui demeurent après soi » (D'aubigné, Tragiques, Princes ds Littré : Nous lairrons des enfants qui seront nez esclaves); 3. 1690 « faire demeurer une marque, une trace après soi » (Fur. : ce vin laisse un mauvais goust...; le gibier laisse quelques vestiges ou sentimens par où il passe) [cf. laisse étymol. et Hist. III]. III. Renoncer à, s'abstenir, négliger de; cesser. A. Renoncer à, s'abstenir de qqc. 2emoitié xes. (St Léger, 106; 148 : Quae tot ciel miel laisses por Deu). B. Abandonner, interrompre qqc. en cours fin xes. « interrompre un récit » (Passion, 278 : Lai dei venir o eu laisai); 1216 (Guillaume Le Clerc, Fergus, 4, 19 ds T.-L. : la chace ne laissera Dusqu'adonques que il avra Le cerf pris). C. Laisser de côté, omettre, négliger ca 1100 « laisser de côté, faire volontairement abstraction de » (Roland, 229 : Laissun les fols, as sages nus tenuns!); ca 1274 « oublier, omettre » (Adenet Le Roi Berte, éd. A. Henry, 2585). D. Manquer, s'abstenir, négliger, cesser de. 1. mil. xies. ne laissier ne + subj. « ne pas manquer de » (Alexis, 209); ca 1100 laissier que ne + subj. (Roland, 893); 1387-91 ne laissier de + inf. (Gaston Phébus, Chasse, éd. G. Tilander, 19, 38); ne pas laisser que de + inf. est condamné en 1687 par Th. Corneille, Rem. sur la langue fr. de M. de Vaugelas, t. 2, p. 906, au profit de ne pas laisser de + inf.; 2. 1119 intrans. « cesser » (Philippe de Thaon, Comput, 2018 ds T.-L.); spéc. « cesser de parler » ca 1200 laissier de [aucune rien] (Renaut de Montauban, 202, 35, ibid.) ca 1230 emploi abs. laissiés (Chevalier deux épées, 3408, ibid.). Du lat. laxare « détendre, relâcher, libérer (au propre et au fig.); lâcher, quitter, abandonner, céder, déguerpir »; à basse époque « permettre, laisser, accorder » (TTL, s.v., 1074, 42 sqq.) au Moy.-Age (v-vies. laxare + inf. « laisser (+ inf.) », v. Lofstedt, pp. 191-192; TLL s.v., 1074, 58-59; Nierm. L'a fr. possède à côté du paradigme répondant à laissier, un paradigme répondant à laiier (ind. prés. 3 laie; imp. 6 layevent (lorr.); parfait 3 laia, 6 laierent; impér. 5 laiés; inf. laiier; part. prés. laiant, passé laiié) dont H. Stimm ds Mél. Lommatzsch, 1975, pp. 371-383 a montré qu'il était uniquement pic. et lorr. (cf. encore dans les patois mod. de Picardie, Lorraine et Franche-Comté ds FEW t. 5, p. 225a). H. Stimm, notant que delaiier (v. délai) n'a pas la même répartition géogr., voudrait séparer les deux verbes. Délayer* représenterait un got. *bilaibjan « laisser » (cf. all. bleiben), avec romanisation du préf., d'où le franco-prov. balaiier « retarder »; laiier viendrait d'un frq. occ. *laibjan. Cependant les formes d'Italie du Nord lagare font difficulté. Il paraît donc préférable de ramener toutes ces formes à un type *laggare (en composition *delaggare, *relaggare) altération très anc. du lat. laxare d'apr. un gaul. *laggos « mou » (cf. EWFS2, s.v. délai).

LAISSER2, verbe (semi-)auxiliaire.

LAISSER2, verbe (semi-)auxiliaire.
I. − Qqn/qqc. laisse qqn/qqc. + inf.
A. − Permettre de, ne pas empêcher de.
1. [Le verbe à l'inf. est intrans. (ou pronom.)] Laisser s'échapper/échapper un animal; laisser qqn passer/passer qqn; s'effacer pour laisser passer qqn; laisser qqn entrer, sortir, partir, venir, parler, mourir, dormir, travailler. Les Josserand allèrent passer quinze jours chez un ami, près de Pontoise, en laissant se répandre la rumeur qu'ils partaient pour une ville d'eaux (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 259).Il (...) baignait l'horrible plaie en laissant couler dessus un petit filet d'eau claire (Maupass., Contes et nouv., t. 1, En mer, 1883, p. 97).C'était une personne d'ordre qui ne laissait rien traîner (Aymé, Jument,1933, p. 72):
1. Les mondains qui ne veulent pas laisser la politique s'introduire dans le monde sont aussi prévoyants que les militaires qui ne veulent pas laisser la politique pénétrer dans l'armée. Proust, Prisonn.,1922, p. 235.
SYNT. Laisser paraître (un sentiment); laisser faire le temps; laisser aller les choses; laisser passer les voitures; laisser passer l'heure, le temps, une occasion; laisser dormir, mûrir, venir qqc. (au fig.); laisser errer son regard, laisser son regard errer au loin; laisser éclater sa joie.
Loc. verb. en emploi intrans. ou abs.
Laisser dire. Ne pas se soucier de ce que disent les autres. On disait aussi : « Ce petit a la soif de s'instruire; il dévore le Larousse! » et je laissais dire (Sartre, Mots,1964, p. 56):
2. ... on célébrait le confort du « petit hôtel » comme si mon oncle en avait le seul occupant, et il laissait dire, sans opposer le démenti formel qu'il aurait dû. Proust, Sodome,1922, p. 1057.
Loc. proverbiale. Bien faire et laisser dire (v. faire1II A 5).
Laisser faire. Ne pas intervenir (dans une action humaine ou dans le cours des événements); ne pas se soucier de ce que font les autres. Ils (...) empoigneront, exigeront la flotte française (...). L'Allemagne laissant faire (Barrès, Cahiers, t. 2, 1900, p. 171):
3. Ne pouvant plus compter sur Jacques II, Louis XIV prit le parti de laisser faire, dans l'idée que l'usurpation de Guillaume d'Orange entraînerait une longue guerre civile et immobiliserait l'Angleterre et la Hollande à la fois. Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 246.
Laissez faire, laissez passer (écon.). Devise du libéralisme économique (attribuée à Gournay ou à d'Argenson) excluant toute entrave à la production et au commerce. La liberté, c'est la solution de tous les problèmes économiques et sociaux, laissez faire, laissez passer (Fondateurs 3eRépubl., Clemenceau, 1884, p. 272).Pour le gouvernement, laisser faire et laisser passer ce serait livrer la nation à des troubles irrémédiables, car sous le choc de la libération l'inflation serait déchaînée et l'on verrait crouler toutes les digues (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 180).Au fig. Allez! laissez passer, laissez faire; l'Amour Reconnaîtra les siens; il est aveugle et sourd (Laforgue, Poés.,1887, p. 193).
Laisser faire à qqn (vieilli). Bah! maman, laisse faire à papa, le bon Dieu l'a toujours protégé (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 102).Fais ton devoir en paix, et laisse faire aux dieux (Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1420):
4. Ici, le rayon de midi réapparaît. Il doit tomber à pic sur l'axe de la tuile. Et on laisse faire au soleil. Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 197.
Laisser tomber*, choir* (au fig.).
Laisser aller (v. aller1ex. 5 et I B 1 et laisser-aller).Je ne me soucie même pas de chercher des mots. Ça coule en moi, plus ou moins vite, je ne fixe rien, je laisse aller (Sartre, Nausée,1938, p. 21).Laisser aller les choses (v. chose1II A 1).Laisser tout aller. Négliger ses affaires. Elle laissait maintenant tout aller dans son ménage (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 75).
Laisser courir (v. courir I A 1 b β).
Laisser pisser* le mérinos.
Laisser courre (vén.). Découpler les chiens pour attaquer une bête de chasse. (Ds Baudr. Chasses 1834, Duchartre 1973). V. aussi laisser-courre.
Laisser arriver, laisser porter (mar.). Changer d'allure pour arriver vent arrière. Synon. laisser abattre. (Ds Bonn.-Paris 1859).Vent d'est. Dans la matinée, vers quatre heures, au lieu de courir en travers du détroit on laisse porter (Bellot, Voyage mers polaires,1863, p. 102).Le Pourquoi-Pas? est un rude bateau; petit à petit il gagne au vent lentement et à 4 h 30, avec un soupir de soulagement je « laisse arriver » dans le détroit de Magellan (Charcot, « Pourquoi-Pas? »1908-10, 1910, p. 364).
2. [Le verbe à l'inf. est trans.]
a) [Inf. trans. dir.] Laisser qqn reprendre ses esprits. Si vous avez confiance en ma tendresse, laissez-moi vous guider dans la vie (Balzac, Gobseck,1830, p. 380).Heureux d'avoir trouvé un confident à qui se plaindre, ne le laissant pas placer un mot, il se soulagea (Zola, Terre,1887, p. 297).Elle estimait qu'il n'aurait pas été séant de le laisser faire un pas de plus, sans le reconduire (Jouhandeau, M. Godeau,1926, p. 64):
5. D'abord, il laissa le cocher suivre la rue jusqu'au bout, sans l'arrêter; puis, il la lui fit redescendre, et cela à trois reprises. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 308.
Rem. Je le/lui laisse lire ce livre. Laisser + inf. + à peut introduire un compl. d'agent, mais peut aussi être considéré comme le suj. de la prop. infinitive. Pour la nuance de sens entre le laisser + inf. et lui laisser + inf., v. lui1, leur. « Est-ce qu'il n'y a pas qu'une maman qu'on peut aimer toute seule? » laissant faire à sa mère le complément du raisonnement (Goncourt, Journal, 1891, p. 124).
Loc. Laisser entendre, supposer que. Donner à penser que. Le concierge laissa même entendre que, s'il en poussait un quatrième, le propriétaire leur donnerait congé, car trop de famille dégradait un immeuble (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 360).Si un mot de moi pouvait laisser supposer que je ne resterais pas à la maison, son air inquiet donnait à penser que la joie qu'elle aurait à me voir sortir sans cesse, n'était peut-être pas très sincère (Proust, Prisonn.,1922, p. 129).
b) [Inf. trans. indir.] Laisser (qqn) parler de, rêver à. Marinette se passerait plutôt de pain que de m'en laisser manquer (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 78).
B. − Qqn/qqc. se laisse + inf.Consentir à, céder à, s'abandonner à.
1. [Se est suj. de l'inf., dans des tours pronom. à sens réfl.] Se laisser mourir de faim, se laisser glisser. Il eut un geste vague de protestation, en se laissant tomber sur une chaise (Zola, Joie de vivre,1884, p. 1037).
Au fig. Se laisser aller. S'abandonner; se négliger. Joseph se laissait aller, et commençait à devenir plus communicatif et plus animé qu'elle ne l'eût souhaité (Sand, Consuelo, t. 2, 1842-43, p. 312).J'ai tâché de le remonter, je lui ai dit : « Il ne faut pas se laisser aller (...) » (Proust, Guermantes 1,1920, p. 310):
6. ... avec ma redingote défraîchie et mes souliers à semelle de bois, je n'avais vraiment pas bonne mine (...); Scriassine arrivait d'Amérique où les femmes sont si soignées, il allait remarquer mes sabots. « Je n'aurais pas dû tant me laisser aller », pensai-je. Beauvoir, Mandarins,1954, p. 67.
Se laisser aller à. V. aller1ex. 33.
Fam. Se laisser vivre. Ne pas se faire de soucis. Volontiers il (...) flâne et se laisse vivre, et, à ce prix, il se résigne fort bien à n'avoir qu'un habit râpé (Taine, Philos. art, t. 1, 1865, p. 236).François retomba dans une fausse quiétude. (...) il continuait à se laisser vivre à la merci de la minute présente (Radiguet, Bal,1923, p. 159).
2. [Se est compl. d'obj. dir. de l'inf., dans des tours pronom. à sens passif] Se laisser battre, bercer, charmer, emporter, prendre, séduire, intimider, impressionner, tromper, toucher. J'ai fait amitié à un chat angora charmant qui me suivait et qui s'est laissé caresser (Delacroix, Journal,1853, p. 44).Laisse-toi soigner puisque tu es malade (Maupass., Pierre et Jean,1888, p. 377).De jeunes touffes de lilas se laissaient balancer par la brise (Proust, Guermantes 1,1920, p. 157):
7. Obéir n'est pas se laisser passivement conduire, ainsi qu'un aveugle suit son chien. Une vieille religieuse comme moi ne souhaite rien de plus que mourir dans l'obéissance, mais dans une obéissance active et consciente. Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 5etabl., 12, p. 1711.
Se laisser mener par le bout du nez. V. bout ex. 22.
Se laisser gagner à, prendre à. Je ne me laisserais pas prendre à ses flatteries (Dumas père, Halifax,1842, I, 11, p. 44).Il se laissa gagner à la gaieté commune (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 157).
Se laisser faire. Ne pas s'opposer à la volonté de quelqu'un, céder à ses désirs; ne pas réagir. Au plus vif de mon plaisir je me demande si l'incomparable causeur − et l'auditeur qui se laisse faire − ne pèchent pas également par insincérité (Proust, Past. et mél.,1919, p. 190).Ce qu'elle offrait d'un cœur impuissant, Dieu se prépare à le prendre, et pour de bon, si toutefois elle consent à se laisser faire (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 612):
8. ... le paysan Patience, naïf, madré, rusé, rossé, volé, se laissant faire, − sa femme baisée, ses champs pillés, se laissant faire, − (...) − forcé d'aller en guerre, recevant tous les coups, se laissant faire... Rolland, J.-Chr., Maison, 1909, p. 1072.
En partic., fam. Accepter ce qui est offert. Synon. se laisser tenter.On joue le Mystère de la Tour Eiffel à Tivoli... Allons, laissez-vous faire (Dabit, Hôtel,1929, p. 110).
Ne pas se laisser faire. Réagir, s'opposer, protester. Il ne se laisserait pas faire. Contre Volat, contre Bourrel, il se défendrait à force (Genevoix, Raboliot,1925, p. 107).Alors on songerait à marier Zaza. « Je ne me laisserai pas faire » me disait-elle (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 220).
Fam. Cela se laisse boire; cela se laisse manger; livre qui se laisse lire; film qui se laisse voir. Être bu, mangé, lu, vu avec un certain plaisir; ne pas être mauvais. − C'est du vin de Bracieux. − Il est bon. − I's' laisse boire, oui... (Genevoix, Raboliot,1925, p. 204).
3. [Se est compl. d'obj. indir. de l'inf.] Se laisser pousser la barbe, la moustache, les cheveux.
Se laisser dire que. Entendre dire que (mais sans avoir la preuve de l'assertion et sans y ajouter vraiment foi). À propos, je me suis laissé dire que la régence lui avait offert la couronne du pays en souveraineté (Fongeray, Soir. Neuilly, t. 1, 1827, p. 315).Je me suis laissé raconter à ce propos un fait assez piquant (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 463):
9. On m'a conté, ces jours-ci, la façon dont le gouvernement achète les savants. Cela n'est pas long. Je m'étais laissé dire que pour corrompre les hommes, il fallait des tâtonnements, des ménagements, un abouchement par des tiers, enfin un peu de temps et quelques façons. Goncourt, Journal,1860, p. 772.
S'en laisser accroire (v. accroire ex. 11), conter (v. conter B).
Loc. fig. Se laisser manger la laine sur le dos (v. laine A 3 b).
Rem. 1. La forme arch. du fut. je lairrai, tu lairras subsiste dans le refrain d'une vieille chanson française (chanson pop. du xviiies.) Compère Guilleri. Mon petit monsieur, écoute une chanson. Et elle fredonna imperceptiblement : Compère Guilleri, Te lairreras-tu mouri? (France, Pt Pierre, 1918, p. 105). 2. Le part. passé laissé s'accorde avec le compl. d'obj. dir. qui le précède lorsque ce dernier désigne la personne qui fait l'action exprimée par le verbe à l'inf.; sinon laissé reste invariable : Je les ai laissés partir. À combien d'autres espiègleries ne se fussent-elles pas laissé prendre (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 98). Les conclusions que nous avons déjà laissé entrevoir (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 8). Toutefois cette règle n'est pas toujours respectée. Je les ai laissé faire (cf. Grev. 1975, § 794). Je me suis souvent demandé par quel prodige la peinture était en avance, et comment il se faisait que la littérature se soit ainsi laissée distancer? (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1199). 3. Vieilli. Laissez que + subj. Permettez que. Laissez que je vous voie, que je vous contemple! (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 171). Étranger qui viendras, lorsque je serai morte, Contempler mon lac génevois, Laisse que ma ferveur dès à présent t'exhorte À bien aimer ce que je vois (Noailles, Forces étern., 1920, p. 97). « Au moins », supplia-t-elle, « laissez que je vous donne une couverture... » (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 557).
II. − Littér. Ne pas laisser de + inf.Ne pas cesser de, ne pas manquer de (sert à exprimer une affirmation renforcée, notamment dans un contexte d'opposition = néanmoins, pourtant, n'en... pas moins). Ce qu'il y a de certain, c'est que je ne laisserai jamais de m'employer, pour vous, à tout ce qui pourra vous être utile (Chateaubr., Corresp., t. 3, 1822, p. 156).La vie de la duchesse ne laissait pas d'ailleurs d'être très malheureuse (Proust, Temps retr.,1922, p. 1015):
10. J'étais bien décidé à ne pas souffler mot de mon histoire; mais la certitude que ma mère allait me demander des éclaircissements ne laissait pas de m'exaspérer. Duhamel, Confess. min.,1920, p. 30.
Vieilli et plus recherché. Ne pas laisser que de + inf.Même sens. Le contraste de ce ton crayeux avec la couleur brune et foncée des poutres, des toits et du balcon, ne laisse pas que de produire un bon effet (Gautier, Tra los montes,1843, p. 18).Les hommes de 1793 ne laissaient pas que d'avoir leur bon côté pour les Bourbons (Mmede Chateaubr., Mém. et lettres,1847, p. 58):
11. Margaritone, (...) nouvellement établi dans la ville (...) y remarqua [dans l'atelier d'un jeune peintre] une madone encore toute fraîche, qui, bien que sévère et rigide, grâce à une certaine exactitude dans les proportions et à un assez diabolique mélange d'ombres et de lumières, ne laissait pas que de prendre du relief et quelque air de vie. France, Île ping.,1908, p. 151.
Prononc. et Orth. Cf. laisser1. Étymol. et Hist. V. laisser1. Fréq. abs. littér. Laisser 1 et 2: 58 143. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 78 994, b) 85 901; xxes. : a) 84 016, b) 83 307. Bbg. Laisser 1 et 2. Bissell (C.H.). Faire, laisser, avoir and entendre with a dependent infinitive. Mod. Lang. J. 1944, t. 28, pp. 325-337. - Danell (K.J.). Rem. sur la constr. dite causative. Stockholm, 1979, 124 p. - Johansson (A.). Ét. syntaxique sur le verbe faire en fr. mod. In : [Mél. Wahlund (K.)]. Mâcon, 1896, pp. 102-103. - Kalepky (T.). Zwei Erklärungsbedürftige que im Neufranzösischen. Z. für fr. und engl. Unterricht. 1913, t. 12, p. 1. - Kayne (R.S.). Synt. du fr. Paris, 1977, pp. 196-224. - Langacker (R.W.). Les Verbes faire, laisser, voir, etc. Langages. Paris. 1966, t. 3, pp. 72-89. - Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp. 91-93. - Muller (Ch.). Les Verbes les plus fréq. du fr. Fr. Monde. 1974, no103, pp. 14-17.

Quelques définitions tirées au hasard dans le dictionnaire : 

·le trésor de la langue française, un dictionnaire français·