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JUGE, subst. masc.

JUGE, subst. masc.
A. − Celui qui a autorité reconnue pour trancher un différend, qui est désigné pour juger. Comparaître devant le juge; décision des juges; juge compétent.
1. Celui qui est investi officiellement de l'autorité de rendre la justice, un jugement, de dire le droit. Juge administratif; juge à/de la Cour; juge militaire. Un juge amovible ou révocable est plus dangereux qu'un juge qui a acheté son emploi. Avoir acheté sa place est une chose moins corruptrice qu'avoir toujours à redouter de la perdre (Constant, Princ. pol.,1815, p. 155):
1. don pelage : Ne savez-vous pas que je suis un juge, obligé de donner à tout litige qu'on lui adresse une solution? Claudel, Soulier,1944, 1repart., 2ejournée, 2, p. 1002.
Expressions
Nul ne peut être juge en sa propre cause
P. métaph. Il fut un temps où la ligue civique faisait afficher sur tous les murs une sorte de maxime juridique. « On ne discute pas avec des bandits; on les juge. » J'ai pensé plus d'une fois à compléter cette affiche par une autre, qui aurait rappelé que « nul n'est juge en sa propre cause » (Alain, Propos,1921, p. 194).
Être juge et partie
Au fig. Être intéressé directement dans une affaire que l'on devrait considérer, apprécier avec impartialité et sérénité :
2. N'est-ce pas un crime que de donner le jour à de pauvres créatures condamnées par avance à de perpétuelles douleurs? Cependant ma conduite soulève de si graves questions que je ne puis les décider seule; je suis juge et partie. Balzac, Lys,1836, p. 199.
Collectivement. Synon. de tribunal.Renvoyer devant le juge, par-devant le juge (Ac.1798-1935).
Vx. Juge botté. ,,Se disait anciennement d'Un juge qui n'était pas gradué. On ne le dit plus que figurément et par dénigrement d'Un juge sans lumières et sans capacité; encore cette acception est-elle peu usitée`` (Ac. 1835, 1878).
Juges naturels. ,,Ceux que la loi assigne aux accusés, aux parties, suivant leur qualité et l'espèce de la cause`` (Ac. 1835-1935). Nul ne peut être distrait à ses juges naturels (Ac.1935) :
3. Je crois que la liberté d'un seul citoyen intéresse assez le corps social, pour que la cause de toute rigueur exercée contre lui doive être connue par ses juges naturels. Constant, Princ. pol.,1815, p. 72.
Juges ordinaires. ,,Juges de droit commun, à la différence des juges établis par des lois spéciales`` (Ac. 1935) :
4. ... il suffit d'un civil impliqué dans l'affaire pour entraîner tout soldat devant la justice civile, et la fille Pays livrée aux juges ordinaires implique la comparution d'Esterhazy et de du Paty au même tribunal. Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 54.
Juges de rigueur
,,Les juges qui doivent prononcer selon la rigueur de la loi; à la différence des arbitres, qui peuvent se décider d'après l'équité naturelle`` (Ac. 1835, 1878).
Vx. ,,Juges subalternes; à la différence des juges qui prononçaient en dernier ressort, et qui se permettaient quelquefois d'adoucir la rigueur de la loi`` (Ac. 1835, 1878).
a) DROIT
Absol. Magistrat chargé par l'autorité publique de rendre la justice dans les tribunaux de première ou grande instance (p. oppos. aux Conseillers des Cours). Juge au/du tribunal; juge suppléant. Monsieur le président, j'ai été nommé (...) juge de première instance par Bonaparte auquel j'ai prêté serment (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 145).
Juge(-)commissaire. ,,Juge chargé de surveiller la gestion des syndics et, d'une façon générale, toutes les opérations de la liquidation des biens`` (Lemeunier 1969). À mesure que la série de ces accusations se déroulait, je voyais la figure du juge-commissaire se rembrunir (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 449):
5. Après que les meubles et immeubles ont été estimés et vendus, s'il y a lieu, le juge commissaire renvoie les parties devant un notaire dont elles conviennent, ou nommé d'office, si les parties ne s'accordent pas sur le choix. Code civil,1804, art. 828, p. 151.
Juge consulaire. Magistrat des tribunaux de commerce, élu, et dont les fonctions sont gratuites. Synon. juges au tribunal de commerce.Un juge consulaire des plus estimés, un adjoint, un honorable commerçant ne descendrait pas à ces petitesses (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 116).
Juge d'instruction. Juge du tribunal de première ou grande instance, chargé de l'instruction préparatoire des affaires pénales. Il est probable qu'à ma sortie d'ici j'irai faire un tour en prison et dans le cabinet du juge d'instruction (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 307).Maigret, je vous présente mon vieil ami Alain de Folletier, juge d'instruction à la Roche-sur-Yon... (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 114).
Juge de paix. Magistrat dont la juridiction s'étendait, avant la création des tribunaux d'instance, sur un canton et qui avait des fonctions diverses, notamment de conciliateur, de juge unique dans les affaires peu importantes :
6. ... en province, pour violer le domicile du débiteur lui-même, l'huissier doit se faire assister du juge de paix. Or, le juge de paix, qui tient sous sa puissance les huissiers, est à peu près le maître d'accorder ou de refuser son concours. Balzac, Illus. perdues,1843, p. 623.
b) HISTOIRE
Franc*-Juge.
Grand-Juge. Synon. de Ministre de la Justice sous le premier Empire :
7. Signé Bonaparte, Premier Consul. Contre-signé, le Secrétaire d'État, Hugues B. Maret. Et scellé du sceau de l'État. Vu, le Grand-Juge [it. ds le texte], Ministre de la Justice, signé Regnier. Certifié : Le Grand-Juge [it. ds le texte], Ministre de la Justice, Regnier. Code civil,1804, p. 416.
Juge mage/maje. ,,Magistrat chargé de la justice de la ville, au Moyen-Âge, dans certaines régions : en Provence par exemple et dans les villes de consulat`` (Lep. 1948; ds Ac. 1835, 1878).
Juges ordinaires
,,Juges à qui appartenait naturellement la connaissance des affaires civiles ou criminelles; à la différence Des juges de privilège et de ceux qui étaient établis par commission. Il demanda son renvoi par-devant les juges ordinaires`` (Ac. 1835, 1878).
,,Ceux qui servaient toute l'année, à la différence de Ceux qui ne servaient que par semestre`` (Ac. 1835, 1878).
Juges royaux. Ceux qui rendaient la justice au nom du roi par opposition aux juges des seigneurs. Voir Marat, Pamphlets, Appel à la Nation, 1790, p. 135.
c) HIST. RELIG.
Les Juges. Chefs ayant reçu mission de gouverner Israël, de le conduire à la guerre, et de le sauver du péril, dans la période qui suivit la mort de Josué jusqu'à l'établissement de la royauté; p. méton. la période considérée. Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge (Hugo, Légende, t. 1, 1859, p. 34).Le contraste entre les horreurs des Juges ou l'ancien Mosaïsme (...) et l'Évangile est prodigieux (Amiel, Journal,1866, p. 237):
8. ... le législateur envoyé de Dieu, n'avait et ne réclamait d'autorité que sur les enfants d'Israël (...) il en était ainsi des juges, des pontifes, des rois et des conseils qui lui succédèrent... Lamennais, Indifférence, t. 2, 1817-23, p. 300.
Le livre des Juges ou les Juges. Livre de la Bible, dit historique, relatant les rapports d'Israël et de Yahvé, de Josué à Samuel inclus, et plus particulièrement les récits épiques des actions héroïques accomplies par les Juges :
9. ... on relève des traces d'additions qui semblent témoigner que le livre des Juges n'atteignit pas du premier coup sa forme définitive... Théol. cath.t. 8, 21925, p. 1833.
2. Personne à la décision de laquelle on s'en remet à l'avance pour trancher un différend, arbitrer un conflit, départager des concurrents, décider de quelque chose, émettre un jugement sur quelque chose ou quelqu'un. L'attitude énigmatique de son juge de thèse l'intriguait (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 443).Art. 8. − Chacune des deux chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection; elle peut seule recevoir leur démission (Doc. hist. contemp.,1946, p. 184).
Juge du concours. Personne chargée de prononcer dans un concours la valeur des concurrents (d'apr. Ac. 1878, 1935).
HIST. Juge de/du camp. Officier chargé de vérifier que les tournois, les combats judiciaires se déroulent selon les règles prévues et avec loyauté. Le sire de Harpedenne pour les Français, et le comte de Rutland pour les Anglais, étaient juges du camp (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 282):
10. ... le bruit des fanfares, qui annoncent que le temps désigné pour attendre Malek Adhel, vient d'expirer, et que les juges du camp ont levé les barrières : la gloire brille, les guerriers volent, et en ce jour de réunion, les Musulmans se mêlent aux Chrétiens, et le combat devient plus vif et plus acharné que la veille... Cottin, Mathilde, t. 2, 1805, p. 172.
P. métaph. L'archiviste, ce monsieur en lunettes, est, en définitive, le juge de camp, l'arbitre en dernier ressort (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 10, 1866, p. 355).
SPORTS
Arbitre choisi dans certains sports, ou commissaire adjoint à l'arbitre, chargé de vérifier certains coups, de contrôler les obstacles, de constater les fautes, les irrégularités, de faire appliquer la règle du jeu, le règlement. L'arbitre de chaise s'enquiert auprès du juge-arbitre de la décision à prendre (L'Auto,3 juin 1934, p. 4 ds Grubb, Fr. sp. neol., 1937, p. 46).Il était resté inconscient devant le compte de l'arbitre espagnol, qui a prononcé le « out » sans avoir consulté les autres juges (Le Matin,30 nov. 1981, p. 23):
11. Le juge à l'arrivée est la personne chargée de déclarer l'ordre d'arrivée des coureurs [cyclistes] au poteau et leurs distances respectives (...). Les décisions du juge à l'arrivée sont souveraines et sans appel. Baudry de Saunier, Cycl.,1892, pp. 399-400.
Juge de touche. Celui qui est chargé de vérifier les hors-jeu, le franchissement de la ligne de touche, dans certains sports d'équipe :
12. Deux juges de touche seront désignés. Ils auront pour mission de signaler, sous réserve de décision par l'arbitre, que le ballon est sorti du jeu et d'indiquer l'équipe à laquelle revient le coup de pied de coin, le coup de pied de but ou la rentrée de touche. Ils aideront l'arbitre à contrôler le jeu en application des lois (...). Les juges de touche seront munis de drapeaux fournis par le club sur le terrain duquel a lieu le match. J. Mercier, Football,1966, p. 21.
Juge de ligne (tennis). Celui qui est chargé de dire si, par rapport à la ligne qu'il observe spécialement, la balle est bonne ou mauvaise.
SYNT. Juge impartial, intègre; juges iniques; juges auditeurs; juges titulaires; élection des juges; conscience des juges; les juges décident, condamnent.
B. − P. anal.
1. Être surnaturel qui, après la mort, pèse les actions du défunt évaluées selon des principes supérieurs, les préceptes de la religion, et lui accorde la récompense suprême ou la punition éternelle. Juge des Enfers. Comme si la terre se fût ouverte pour laisser passer le grand juge des enfers (About, Roi mont.,1857, p. 275).Socrate : Salut à toi, Minos. Ceux qui ont été injustement condamnés par les vivants se présentent avec confiance devant ton tribunal, juge des morts (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 52):
13. Je parle pour ceux qui ne croient pas à l'existence d'un Juge unique, tout-puissant et infaillible qui (...) maintient la justice en ce monde et la complète ailleurs. Maeterl., Temple ensev.,1902, p. 1.
RELIG. CHRÉT. Juge suprême, Souverain Juge. Synon. de Dieu.Au décès des prêtres; on les enterroit le visage découvert : le peuple croyoit lire sur les traits de son pasteur l'arrêt du Souverain Juge (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 323).Vous avez oublié que Dieu est votre père avant d'être votre juge; et vous faites à votre père cette injure de méconnaître sa miséricorde! (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1262):
14. Dieu qui habite au plus haut des cieux, et qui n'en est pas moins présent partout, même au plus intime de notre être (...). Souverainement sage, saint, véridique. Juge suprême, qui récompense les bons et punit les méchants, sans acception de personnes. Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1027.
2. [En parlant d'un être humain]
a) Personne qui détient une autorité sur une autre personne par supériorité hiérarchique, morale, par prestige ou qui possède ou s'attribue une compétence. Seule l'Église enseignante est le juge qualifié du rapport des choses temporelles avec la fin dernière surnaturelle à laquelle elle doit nous conduire (R.P. Humbert Clérissac, Le Mystère de l'Église, 3eéd., Saint-Maximin, 1925ds Maritain, Primauté spirit., 1927, p. 44):
15. ... chez les Gaulois, et dans quelques cantons de l'Orient, les Romains avaient trouvé des religions d'un autre genre. Là, les prêtres étaient les juges de la morale : la vertu consistait dans l'obéissance à la volonté d'un dieu, dont ils se disaient les seuls interprètes. Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 81.
b) [Sans article] Personne capable d'apprécier sainement et impartialement les personnes, les faits, ou que l'on considère comme telle et au sentiment de laquelle on s'en remet. Laisser (qqn) juge; faire (qqn) juge de; être bon, mauvais juge. Je lui répondis que je le laissais absolument juge du moment où il conviendrait de commencer son mouvement offensif (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 289).Janine à Hubert : Mon cher oncle, je viens vous demander d'être juge entre maman et moi. Elle refuse de me confier le « journal » de grand-père (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 307):
16. − Ces mélodies étrangères vous plaisent-elles? demanda obligeamment la baronne à Marie. − Je suis trop ignorante pour les apprécier, madame, je ne connais un peu que notre vieille musique française. − Oh! fit inconsidérément Jacques, ma cousine est très bon juge; musicienne elle-même, j'ose dire qu'elle a des doigts de fée sur le piano. Vogüé, Morts,1899, p. 409.
Proverbe. De fou juge, briève sentence. ,,Les ignorants décident sans examiner`` (Ac. 1798-1878).
3. [Le mot juge désigne un inanimé, les sens, la conscience] Ce qui sert à apprécier, à juger. L'oreille est un juge difficile (Ac.1835-1935).Le zèle du croyant est seul juge de l'à-propos (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 358).Le beau est le juge du vrai (Alain, Beaux-arts,1920, p. 309):
17. La conscience des pairs est juge compétent, et cette conscience doit pouvoir prononcer en liberté sur le châtiment comme sur le crime. Constant, Princ. pol.,1815, p. 79.
REM. 1.
Judicaillon, subst. masc.,rare, péj. Petit juge obscur et peu capable, jugeant des affaires mineures. Les juges, qui avaient condamné Colomban étaient des juges mais de petits juges, vêtus d'une souquenille noire comme des balayeurs de sacristie, des pauvres diables de juges, des judicaillons faméliques. Au-dessus d'eux siégeaient de grands juges qui portaient sur leur robe rouge la simarre d'hermine. Ceux-là, renommés pour leur science et leur doctrine, composaient une cour dont le nom terrible exprimait la puissance (France, Île ping.,1908, p. 316).
2.
Judicateur, -trice, adj. et subst.a) Emploi adj., rare. Qui juge; qui porte des jugements sur les œuvres littéraires. J'avoue qu'il y a dans cette nécessité de critique à laquelle je me livre toujours à mon corps défendant et qui finit par devenir mon métier, une attitude sévère et judicatrice qui ne va pas de moi à vous (Sainte-Beuve, Corresp., t. 1, 1834, p. 424).b) Emploi subst., rare. Celui qui juge les œuvres littéraires. (Ds Littré Suppl. 1877).
Prononc. et Orth. : [ʒy:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1170 « celui auquel on attribue le soin d'arbitrer un différend, de résoudre une question » (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 85, 4); ca 1510 « arbitre d'un combat » (J. d'Auton, Chroniques, éd. R. De Maulde La Clavière, t. 3, p. 39); b) ca 1170 « chef politique et religieux des Hébreux » (Rois, ibid., p. 15, 15); c) 1356 vray juge (en parlant de Dieu) (Miracles ND par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, t. 3, 17, 1015); 2. 1174 « celui qui est chargé d'appliquer les lois civiles et pénales » (G. de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 2879); spéc. 1688 juge de paix (Miege, s.v. justice); 3. a) 1269-78 « celui qui est appelé à porter un jugement, à donner une opinion » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6170); b) 1564 juge de « capable d'apprécier, qualifié pour évaluer quelque chose » (Indice et recueil universel de tous les mots principaux de la Bible). Du lat. judicem, acc. de judex, -dicis « juge, arbitre ». Le développement phonét. de juge a suivi de celui de juger, cf. FEW t. 5, p. 55 et 56 a. Fréq. abs. littér. : 5 547. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 762, b) 6 573; xxes. : a) 9 414, b) 6 079. Bbg. Bos (A.). Juge. Romania. 1890, t. 19, p. 300. - Boulan 1934, p. 111. - Quem. DDL t. 5, 9.

JUGER, verbe trans.

JUGER, verbe trans.
A. − [L'accent est mis sur la fonction officielle du suj.] Régler un différend, prendre une décision qui engage autrui.
1. Rendre la justice, dire le droit, prendre une décision en qualité de juge. Le tribunal juge; juger un procès; juger contradictoirement. C'est lui [ce tribunal] qui jugeait toutes les contestations de terrain (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 272):
1. Les lois civiles qu'on propose aujourd'hui à tous les citoyens, qu'on discute devant tous les citoyens, sur lesquelles on consulte tous les citoyens, devenus tous juges les uns des autres, au civil et même au criminel, n'étoient alors connues [autrefois] que de ceux qui se dévouoient par de longues études à une pratique de toute la vie, et qui regardoient la fonction de juger les autres comme une profession pénible, à laquelle quelques-uns étoient condamnés pour l'utilité de tous, et non comme une jouissance que tous fussent appelés à partager. Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 156.
Juger une personne, juger qqn. Juger son procès, notamment au criminel. Enfin on amène devant son tribunal un fratricide; et comme il a tué son frère, il se trouble, et refuse de juger le criminel (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 145).La justice le recherche pour le juger et le fusiller, à la libération, il est venu se cacher ici (Aymé, Uranus,1948, p. 36):
2. La veille au soir, le président de la huitième chambre déclarait à MeLabori que le tribunal était hors d'état de juger l'accusé, et lui annonçait que le parquet demanderait la remise indéfinie de l'affaire. Dans ces conditions, la mise en liberté s'imposait. Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 213.
Juger par contumace*.
Emploi abs. V. ennoblissement A ex. de Bonald.
Proverbe, vieilli. Juger sur l'étiquette (du sac). ,,Porter son jugement sur quelque affaire, sur quelque personne, sans avoir examiné les pièces, les raisons`` (Ac. 1835, 1878).
[Dans un sens analogue] :
3. Les jeunes filles de Juvigny, qui jugent l'homme à l'enveloppe, riraient au nez de celui qui leur adresserait une pareille proposition. Aussi n'est-ce pas parmi elles que je veux chercher une femme. La femme que je rêve devra avoir un esprit moins superficiel; son regard intelligent devra percer mon écorce déplaisante pour découvrir en dessous les qualités sérieuses qui font l'homme vraiment fort. Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 102.
2. Prendre une décision en qualité d'arbitre choisi à l'avance; trancher un différend, un litige; faire un choix décisif, départager des concurrents, des adversaires en qualité d'arbitre. Établissons-nous des arbitres qui jugent nos prétentions, et pacifient nos discordes. Quand le fort s'élévera contre le faible, l'arbitre le réprimera (Volney, Ruines,1791, p. 50).Ces examens comportent une épreuve orale d'admissibilité et des épreuves d'admission écrites jugées par un jury national et spécialisé en fonction des études poursuivies (Encyclop. éduc.,1960, p. 275).
Emploi abs. :
4. En cas de difficultés ou contestations quelconques, les soussignés n'auront point recours aux tribunaux; ils s'en rapporteront à la décision de M. Simon, directeur de la Compagnie Usquin qu'ils nommeront arbitre et qui juge sans formalité de justice, sans prestation de serment, acceptant d'avance ses décisions quelles qu'elles soient, lesquelles ne seront susceptibles ni d'appel, ni de recours en cassation. Sa décision fera loi également pour tout cas qui n'est pas prévu par le présent accord. Doc. hist. contemp.,1850, p. 201.
Juger des/les coups. Apprécier l'habileté des joueurs que l'on regarde, d'après les coups qu'ils échangent. Moi! répondit Paulus, j'ignore les combats. − C'est un tort, compagnon, et quand on est de Rome, On sait juger des coups (Bouilhet, Melænis,1857, p. 79).Muet, les bras croisés, Tartarin juge les coups, critique tout haut (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 122):
5. La population s'assembla pour juger des coups avec l'intérêt extrême qu'une affaire de ce genre excite en chaque pays... Gobineau, Nouv. asiat.,1876, p. 265.
Au fig. Être spectateur muet des événements que l'on juge sans y prendre part. Le notaire s'était offert pour ouvrir le feu; le sous-préfet se chargeait d'élargir la brèche, et, par un dernier assaut, je me réservais d'entrer dans la place. Oscar était là pour juger des coups (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 324):
6. Je crois plus conforme aux vœux de la raison et de la nature, de conseiller aux hommes parvenus à la dernière saison de la vie de porter leurs réflexions au-dehors; ils n'ont plus ni profit ni plaisir à s'occuper d'eux-mêmes; mais ils peuvent encore s'amuser à regarder les autres : leurs actions n'ont plus d'autorité; mais leur expérience peut encore être utile : ce sont de vieux chevaliers, assis en dehors de la barrière, qui jugent d'autant mieux les coups, qu'ils ne sont plus capables d'en porter. Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 324.
B. − P. anal. [Le suj. désigne une puissance supérieure] Prendre une décision sur le sort de l'âme après la mort selon ses mérites. Juger les vivants et les morts. Laissons de côté la croix de Sérapis et le séjour aux enfers de ce dieu qui juge les âmes (Nerval, Filles feu,1854, p. 659).Lord Evandale, attentif et calme, ressemblait avec son pur profil au divin Osiris attendant l'âme pour la juger (Gautier, Rom. momie,1858, p. 182):
7. Minos, ne pouvant plus suffire Au fatigant métier d'entendre et de juger Chaque ombre descendue au ténébreux empire, Imagina, pour abréger, De faire faire une balance... Florian, Fables,1792, p. 121.
RELIG. CHRÉT. [Le suj. désigne Dieu] Pour cet homme soyez indulgent, sire comte : Celui qui juge, Dieu plus tard le jugera (Bornier, Fille Rol.,1875, I, 3, p. 21).Saint-Père, pense à nos frères qui vont mourir aujourd'hui dans le péché. Puis-je attendre à demain pour sauver leur âme? Dieu, avant de les juger, va-t-il attendre lui aussi (...)? (Salacrou, Terre ronde,1938, II, 2, p. 191).
C. −
1. PHILOS., LOG. ,,Affirmer ou nier l'existence d'une chose ou la réalité d'un rapport entre deux objets de pensée`` (Foulq.-St-Jean 1962). Lier deux termes et construire un rapport ce n'est point précisément croire, mais juger (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 99):
8. Juger c'est sentir des rapports entre nos idées; cela est vrai. Mais cette expression (...) ne dit pas d'une manière assez précise et assez exacte, ce que c'est réellement que l'opération de juger, que l'acte intellectuel appelé jugement. Juger n'est point sentir une idée nouvelle, c'est sentir qu'un être quel qu'il soit, ou plutôt l'idée que l'on en a (...) renferme une qualité, une propriété, une circonstance quelconque. Or cette qualité, cette propriété, cette circonstance quelconque, est elle-même une perception, une idée, puisque c'est une chose sentie. Juger, c'est donc sentir qu'une idée en renferme une autre. Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 25.
2. [L'objet est d'ordre esthétique] Avoir, émettre un avis, une opinion sur quelqu'un, sur quelque chose; donner un avis autorisé sur quelque chose :
9. La critique, en tant qu'elle ne se réduit pas à opiner selon son humeur et ses goûts, − c'est-à-dire à parler de soi en rêvant qu'elle parle d'une œuvre, − la critique, en tant qu'elle jugerait, consisterait dans une comparaison de ce que l'auteur a entendu faire avec ce qu'il a fait effectivement. Valéry, Tel quel I,1941, p. 21.
a) [Le compl. désigne une pers.] Juger un écrivain.
[Constr. dir.] Juger qqn.Monsieur de Meillan jugea les équilibristes avec le scepticisme d'un homme qui est depuis bien longtemps revenu des vanités de la barre fixe et des joies du trapèze (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 163).Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant (...), je voudrais, par exemple, le trouver aux prises avec le bœuf Stroganof (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 458):
10. Pour juger Renan, on s'en tient communément aux œuvres de sa vieillesse; ce sont les plus familières − celles qu'on lit encore. Mais pour connaître sa vraie nature, la saisir d'ensemble et dans sa pente, il faut interroger les confidences de sa jeunesse, ces innombrables cahiers, fragments, essais qu'il accumula entre sa vingtième et sa vingt-cinquième année, jusques et y compris l'Avenir de la science, fruit monstrueux de cette précoce débauche de l'esprit. Massis, Jugements,1923, p. 15.
[Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de qqn.Ils (...) donnèrent le désir au duc Charles de juger lui-même d'Émilia (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 41).V. ami ex. 141.
b) [Le compl. désigne qqc., une œuvre, une réalisation] Juger une peinture.
[Constr. dir.] Juger qqc.J'ai repris le livre, et c'est alors que j'ai pu juger cet admirable ouvrage que je relis tous les ans (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1679).Quand elle a disparu, on juge son café : − Tu parles d'une clarté! On voit l'suc' qui s'balade au fond du verre (Barbusse, Feu,1916, p. 84):
11. ... Pour critiquer une œuvre de littérature ou de peinture, il n'est pas nécessaire absolument d'être littérateur ou peintre; il suffit d'avoir de l'instruction et du goût. C'est une chose de sentiment et tout homme a son sentiment pour juger une œuvre d'art. Mais, pour les sciences, il n'en est plus ainsi; ce n'est plus une affaire de sentiment, il faut savoir les choses pour en parler. Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 252.
[Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de qqc.On ne juge pas d'une ville par ses égouts et d'une maison par ses latrines (Chamfort, Max. et pens.,1794, p. 46).S'agit-il de juger du mérite d'une découverte en mécanique ou en chimie, on s'adressera à l'Académie des Sciences, corps plus compétent que le public (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 415):
12. ... si j'allais entendre la Berma dans une pièce nouvelle, il ne me serait pas facile de juger de son art, de sa diction, puisque je ne pourrais pas faire le départ entre un texte que je ne connaîtrais pas d'avance et ce que lui ajouteraient des intonations et des gestes qui me sembleraient faire corps avec lui; tandis que les œuvres anciennes que je savais par cœur, m'apparaissaient comme de vastes espaces réservés et tout prêts où je pourrais apprécier en pleine liberté les inventions dont la Berma les couvrirait, comme à fresque, des perpétuelles trouvailles de son inspiration. Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 441.
3. [L'objet est d'ordre moral] Exprimer son opinion personnelle sur autrui, sur sa conduite; l'approuver, le blâmer ou le condamner en décidant du mérite de ses actes, de ses mobiles, de ses pensées. Juger les actes, la conduite; juger sur les apparences.
a) [Constr. dir.] Juger qqn.Commune erreur de juger les gens à son aune (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 242).Christophe travaillait à rapprocher les deux enfants (...). Il les aimait autant l'un que l'autre; mais il jugeait plus sévèrement Georges : il connaissait ses faiblesses, il idéalisait Aurora (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1570):
13. Chacun sait qu'il n'est qu'un assemblage fortuit, plus ou moins heureux, d'éléments provenant d'un même fond commun, que tous les autres recèlent en eux ses propres possibilités, ses propres velléités; de là vient que chacun juge les actions des autres comme il juge les siennes propres, de tout près, du dedans, avec toutes leurs innombrables nuances et leurs contradictions qui empêchent les classifications, les étiquetages grossiers; de là vient que personne ne peut jamais avoir de la conduite d'autrui cette vision panoramique qui seule permet la rancune ou le blâme... Sarraute, Ère soupçon,1956, p. 36.
Absol. Et puis pour vous aussi le jour se lèvera Où, comme vous jugez, le Seigneur jugera (Dumas père, Christine,1830, V, 6, p. 285).Aimant ton mari comme tu l'aimes, tu es mal placée pour juger (Curel, Nouv. idole,1899, I, 1, p. 165):
14. « Ne jugez pas ». Le Christ lui-même ne juge pas. Il est le jugement. L'innocence souffrante comme mesure. Jugement, perspective. En ce sens, tout jugement juge celui qui le porte. Ne pas juger. Ce n'est pas l'indifférence ou l'abstention, c'est le jugement transcendant, l'imitation du jugement divin qui ne nous est pas possible. S. Weil, Pesanteur,1943, p. 137.
[Le compl. désigne l'auteur du jugement] Se juger.Vous savez, madame, je me connais, je me juge à ma valeur! (Bernstein, Secret,1913, I, 6, p. 9).Qui se regarde se juge; qui se juge se sauve. Tout examen de conscience est ici enfermé (Alain, Propos,1921, p. 228).V. jugement ex. 48.
b) [Constr. attributive] Attribuer une qualité ou un défaut à quelqu'un; qualifier quelqu'un.
Juger qqn + attribut.Il avait pu apprécier les plus célèbres professeurs, et il les jugeait des ânes (Maupass., Pierre et Jean,1888, p. 319).
[Constr. pronom. réfl.] Se juger + attribut
[L'attribut est un adj.] Et l'âme d'Omer s'effraya d'être amoindrie par comparaison. Elle se jugea faible (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 11).Il resta, tout l'été, à Paris. Il se jugeait absurde; mais il n'avait plus goût à voyager (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1501):
15. Paul se jugeait discret, il n'était que cachottier. Ainsi divisait-il sa vie en cases : il croyait que lui seul pouvait passer de l'une à l'autre. Radiguet, Bal,1923, p. 24.
[L'attribut est un subst.] Il eut une révolte contre lui-même et contre les autres, se jugea un dépravé, un garçon sans cœur, sans noblesse (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 242).Marino (...) se jugeait un peu le patriarche et le père nourricier de ces terres perdues (Gracq, Syrtes,1951, p. 121).
c) [Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de + compl.Juger d'autrui par soi même :
16. Selon la méthode vulgaire de juger des autres par soi-même, ils [certains chrétiens] (...) sont alarmés dès qu'ils voient un homme qui ne se signe point... Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 21.
d) [Le suj. désigne qqc.] Permettre de juger, d'évaluer, de porter un jugement, une appréciation. Notre goût juge de ce que nous aimons, et notre jugement décide de ce qui convient (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 274).Le faux était pièce secrète lui-même. M. Cavaignac a patriotiquement omis d'en lire une partie. La pièce était destinée à convaincre ceux qui connaissaient déjà le dossier ultra-secret. Cela juge la valeur de ces papiers (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 129):
17. Elle se plaisait à tâter les esprits, à les piquer, à vous interpeller au souper, d'un bout de la table à l'autre, par quelque question provocante; la repartie qu'on y faisait vous jugeait sur l'heure. Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 4, 1862, p. 25.
4. P. ext. Se former une opinion, avoir un avis.
[Le compl. est une prop. complétive (infinitive ou conjonctive)] Avoir un avis, une opinion sur quelque chose; faire une estimation, un pronostic à partir d'éléments réels. Synon. penser.On peut juger si Julien était attentif; tout l'intéressait, et le fond des choses et la manière d'en plaisanter (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 254).Il s'arrêta (...) devant une petite fenêtre (...) et il jugea que le ciel serait favorable ce soir à la pêche aux écrevisses (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 143):
18. Auprès du comte se trouvait un homme vêtu de noir et cravaté de blanc, que Rocambole jugea être un médecin... Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 531.
[Constr. attributive] Juger + subst. + attribut du compl.Attribuer une qualité ou un défaut à quelque chose. Synon. estimer.
[Le compl. est un subst. et l'attribut un adj.] Le plan du grand Cointet était d'une simplicité formidable. Du premier abord, il jugea le collage en cuve impossible (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 744).Mon père, qui jugea cette jaquette encore trop neuve (Giraudoux, Intermezzo,1933, III, 3, p. 173):
19. ... M. de Norpois, qui, pour raison de santé, devait depuis longtemps venir faire à Paris une petite cure, aurait quitté Berlin où il ne jugeait plus sa présence utile. Proust, Fugit.,1922, p. 639.
[Le compl. et l'attribut sont des subst.] Frédéric jugea leur adieu une dernière moquerie (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 50).
[Le compl. est un inf. et l'attribut un adj.] Juger + adj. + de + inf.Estimer le bien-fondé d'une action exprimée par l'infinitif. Juger convenable, prudent, utile de. Si l'on juge important à l'éducation de l'enfant de lui donner des idées justes sur les différens objets de ses études (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 148).Redevenant riche et immensément riche après cette entreprise, je jugeai à propos de revenir aux États-Unis profiter des amnisties (Verlaine, Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 169):
20. ... elle a baissé les paupières, elle pense à ce qu'elle va me dire, à la façon dont elle commencera. Dois-je l'interroger à mon tour? Je ne crois pas qu'elle y tienne. Elle parlera quand elle jugera bon de le faire. Sartre, Nausée,1938, p. 179.
[Le compl. est précédé de la prép. de] Se faire une idée au sujet de quelque chose, évaluer quelque chose; s'imaginer. Juger de l'embarras, de l'étonnement, de la surprise. Je vous laisse à juger de mon désespoir (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 90).Elle donnait de légers coups sur les os pour juger de leur épaisseur, les retournait (Zola, Ventre Paris,1873, p. 669):
21. − Vous savez, continua Armand, combien Andrea est humble, doux, inoffensif, depuis sa conversion. Jugez de mon étonnement lorsqu'il est venu, ce matin, m'annoncer résolument qu'il se battait, et me prier de lui servir de témoin. Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 382.
Loc. (À) en juger par. Seigneur Aymar, croassa-t-il, sans indiscrétion, la mineure sur laquelle je vais instrumenter, si j'en juge par votre goût exquis, est belle, est-ce pas? (Borel, Champavert,1833, p. 112).Il était musicien, à en juger par la flûte dont un bout dépassait sa poche (France, Dieux ont soif,1912, p. 252).
SYNT. Juger exactement, favorablement, froidement, impartialement, sainement, sévèrement, sans indulgence; droit, faculté de juger; manière, moyen de juger; juger coupable; juger digne, indigne; juger (de) la valeur, (de) l'opportunité; capable, incapable de juger; difficile, facile, impossible de juger; mal juger; faire juger; prétendre juger; permettre de juger.
REM. 1.
Jugeant, -ante, part. prés. adj.Qui juge; qui porte des jugements. La manie jugeante est profondément enracinée dans le caractère national, tant notre vanité craintive a besoin de porter des idées toutes faites dans la conversation (Stendhal, Racine et Shakspeare, t. 1, 1825, p. 123).Cette ferme raison (...) se cassa sous ce nouveau heurt, laissa fuir toute faculté jugeante (Richepin, Aimé,1893, p. 277).Ici était le miracle, la promesse, l'imprévisible changement; non point la vie jugée, mais la vie jugeante (Alain, Propos,1924, p. 589).
2.
Judicatif, -ive, adj. et subst. masc.a) Emploi adj., philos., rare. Synon. de judicatoire.L'image, pour Spaier, n'a pas la même fonction que la perception. Elle fait preuve d'une mobilité, d'une transparence, d'une docilité grâce auxquelles on peut l'assimiler à la pensée judicative et discursive (Sartre, Imagination,1936, p. 114).Ce type d'existence [entre les assertions fausses du rêve et les certitudes de la veille] est évidemment celui des créations imaginaires. Faire de celles-ci des actes judicatifs, c'est leur donner trop. Mais c'est aussi ne pas leur donner assez (Sartre, Imagination,1936p. 137).b) Emploi adj. et subst. masc., gramm. (Mode) judicatif. Synon. vx de (mode) indicatif.Mode indicatif.(...) toutes les fois que ce mode se trouve dans le discours exprimé ou sous-entendu, il y a un jugement énoncé. Aussi l'a-t-on souvent nommé mode énonciatif, mode judicatif (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 48).
3.
Judicatoire, adj.,philos., rare. Qui concerne l'acte de juger; qui est relatif à l'acte de juger. La pensée judicatoire (titre de la première partie de La Pensée concrète de A. Spaier, 1927). La négation proprement dite m'est imputable, elle apparaîtrait seulement au niveau d'un acte judicatoire par lequel j'établirais une comparaison entre le résultat escompté et le résultat obtenu (Sartre, Être et Néant,1943, p. 40).Cette unité pré-judicatoire de la conscience de soi et de la conscience d'objet, qu'on pourrait presque appeler conscience organique (J. Vuillemin, Être et trav.,1949, p. 31).
4.
Jugeable, adj.Qui peut être jugé; sur lequel on peut porter un jugement. Il existe très peu d'hommes, et encore moins de femmes, qui soient, à cet égard, pleinement jugeables avant d'avoir achevé leur carrière objective (Comte, Catéch. posit.,1852, p. 179).
5.
Jugeailler, verbe trans.,rare, péj. Porter des jugements sans valeur, à tort et à travers sur quelque chose. Lui ai confié le manuscrit, à condition qu'il ne le communiquerait à personne. Je suis las de tous ces ineptes jugements. Publié, qu'ils me jugeaillent, peu m'importe! Ils auront acheté le droit de déraisonner sur mon livre (Barb. d'Aurev., Memor. 1,1837, p. 120).
Prononc. et Orth. : [ʒyʒe], (il) juge [ʒy:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 juger a mort « condamner à mort » (Roland, éd. J. Bédier, 1058); 2. a) 1269-78 « porter une appréciation sur les choses » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6169); ca 1450 « avoir, prononcer un avis sur quelqu'un ou quelque chose, porter un jugement sur » (Monstrelet, Chronique, éd. L. Douët-D'Arcq, t. 1, p. 61); ca 1485 « conjecturer » (Mystère du Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, t. 6, 44513); 1540 juger de « porter une appréciation, se faire une opinion sur quelqu'un ou quelque chose » (Nicolas Herberay des Essars, Le Premier Livre d'Amadis de Gaule, éd. H. Vaganay, p. 343); 1547 juger des coups (Noël du Fail, op. cit., p. 12); b) 1269-78 jugier aucun (devant adj.) « considérer comme » (J. de Meun, op. cit., 5829); 3. ca 1270 vén. juger une beste (La chasse du cerf, éd. G. Tilander, 220); 4. a) 1636 juger de qqc. « imaginer, se représenter » (Corneille, Cid, III, 4); b) 1656 jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence « id. » (Molière, Dépit amoureux, IV, 1); 5. 1564 « faire usage du discernement, avoir du bon sens » (Indice et recueil universel de tous les mots principaux de la Bible). Du lat. judicare « rendre un jugement, décider, apprécier ». Fréq. abs. littér. : 10 487. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 18 463, b) 11 986; xxes. : a) 13 923, b) 14 042.

JUGÉ, -ÉE, part. passé, adj. et subst.

JUGÉ, -ÉE, part. passé, adj. et subst.
I. − Part. passé de juger*.
II. − Emploi adj.
C'est un homme jugé (fam., péj.). ,,Homme dont on connaît le peu de mérite, le peu d'honnêteté`` (Ac. 1878-1935).
Bien jugé, mal appelé. [Formule figurant dans l'arrêt confirmant le jugement de la juridiction inférieure dont est fait appel]
Mal jugé, bien appelé. [Formule employée lorsque l'arrêt infirme le jugement frappé d'appel] Emploi subst. Mon cher Dutacq, Ce pauvre garçon n'est pas coupable, et il y a mal jugé, nous triompherons (Balzac, Corresp.,1839, p. 703).
Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Il a fallu distinguer l'erreur juridique, soumise à la censure du tribunal suprême, d'avec le mal jugé, soit en droit, soit en fait, qui échappe à cette censure (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 439).
(La) chose jugée. Ce qui est décidé par sentence judiciaire. M. Dufour commet la grave impertinence de s'inscrire en faux contre la chose jugée, qui m'est acquise tant qu'il n'y aura pas appel (Balzac, Corresp.,1836, p. 106).Que nous objecte-t-on? La chose jugée...? (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 209).On a préféré la loi et la chose jugée à M. Lescouvé. Ils ont préféré Dreyfus à tout (Barrès, Cahiers, t. 7, 1908, p. 107).
L'autorité de la chose jugée. Qualité que possède la sentence à partir du moment où elle est rendue par le fait qu'elle met fin au litige de façon irrévocable. La Chambre, de son autorité, impose à une circonscription un représentant qu'un arrêt ayant la force de chose jugée déclare criminel (Barrès, Cahiers, t. 11, 1918, p. 390):
1. L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. Code civil,1804, art. 1351, p. 245.
III. − Emploi subst. masc. en loc. adv. Au jugé. Par approximation, sans avoir la possibilité de voir, d'entendre :
2. Aussi, le premier coup de canon de l'ennemi n'avait-il surpris personne, et les batteries françaises (...) s'étaient-elles mises aussitôt à répondre, pour faire acte de présence, car elles tiraient simplement au jugé; dans le brouillard. Zola, Débâcle,1892, p. 207.
P. anal. Et depuis longtemps il avait pris l'habitude de ne plus travailler que de chic, de peindre au jugé avec l'acquis des souvenirs d'école (Goncourt, Man. Salomon,1867, p. 95).
Au juger (var. orth.). J'aperçois quelque chose qui file dans les roseaux; (...) je tire au juger; Agobar me rapporte une grosse poule d'eau (Dumas père, Chasse et amour,1825, 10, p. 47).Une charrette limonière, chargée de grosses pierres de taille et pesant au juger de cinquante à soixante quintaux (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 155):
3. Avenue de France, dans l'espoir d'un peu de tabac, des queues de cent quatorze obstinés devant un kiosque, de cent trois devant un autre. Je me suis amusé à les compter. (Au juger, j'aurais cru exagérer en supputant au-dessus de quatre-vingts.) Gide, Journal,1943, p. 183.
Prononc. et Orth. : [ʒyʒe]. Att. ds Ac. 1694-1878. Fréq. abs. littér. : 2 134. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 493, b) 2 421; xxes. : a) 2 933, b) 3 033.

Quelques définitions tirées au hasard dans le dictionnaire : 

·le trésor de la langue française, un dictionnaire français·