1. État de celui/ce qui est indifférent, fait d'être indifférent. Ce silence, qui m'affligeait de la part de mon père, le blessait probablement de la mienne. (...) ce que je prenais pour de l'indifférence était peut-être un ressentiment caché (Constant, « Cahier rouge »,1830, p. 90).Malgré ma mine tranquille, j'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence (France, Bonnard,1881, p. 419).Le jugement de nos contemporains sur Guillaume Tell [de Rossini] (...) c'est l'indifférence. L'indifférence absolue, sans phrases (P. Lalo, Mus.,1899, p. 116).La politesse, c'est l'indifférence organisée (Valéry, Tel quel II,1943, p. 51).V.
ataraxie ex. 3 :
1. Dieu m'était devenu indifférent. Lorsque vous m'aurez forcée à convenir que je le hais, en serez-vous plus avancé, imbécile? − Vous ne le haïssez plus, lui dis-je. La haine est indifférence et mépris. Et maintenant, vous voilà enfin face à face, lui et vous.
Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1160.
a) Indifférence + adj.−
[L'adj. exprime une qualité] C'est ici le lieu de honnir à jamais ces mangeurs stupides qui avalent avec une indifférence coupable les morceaux les plus distingués (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 147).V.
affiché ex. 10;
épicurien A 1 ex. de Bourget.
Il accepte avec une égale indifférence les ironiques compliments et les témoignages d'admiration sincère (Renard, Poil Carotte,1894, p. 57).Une pareille impassibilité torturait Judith, et, parfois, la rassurait. Une aussi monstrueuse indifférence n'était pas possible (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 120):2. ... il ne pouvait supporter cette insolente indifférence, cette façon de le réduire à l'état de machine, de le nier dès qu'il voulait parler en tant qu'individu et non transmettre des renseignements.
Malraux, Cond. hum.,1933, p. 238.
SYNT. Aimable, amère, amicale, apathique, apparente, belle, calme, charmante, complète, constante, dédaigneuse, feinte, fière, froide, grande, hautaine, implacable, incroyable, merveilleuse, morne, morose, paisible, placide, profonde, singulière, soudaine, souveraine, sublime, superbe, suprême, tiède, totale, tranquille, triste indifférence; indifférence absolue, affectée, bienveillante, compréhensive, ennuyée, entière, extrême, généreuse, glaciale, impassible, injurieuse, majestueuse, méprisante, miséricordieuse, polie, provocante, sceptique, silencieuse, stupide.
−
[L'adj. exprime une relation] Il s'indigne contre l'indifférence générale, contre la paix et la joie d'un monde insensible à sa peine (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 150):3. À ce terme se manifeste, avec ses conséquences immorales, la sympathie universelle, ou l'universelle indifférence du génie germanique. Viennent toute religion, toute philosophie, toute histoire, l'auteur du Faust, le Faust contemporain les réfléchira, les absorbera dans l'océan de sa poésie.
Michelet, Introd. Hist. univ.,1831, p. 429.
♦ En partic. [L'adj. précise le domaine auquel s'applique l'indifférence] Indifférence artistique, métaphysique, politique; indifférence religieuse (infra 2 a); indifférence sensuelle. Ce terrible passage de l'amour à l'indifférence conjugale (Balzac, Physiol. mar.,1826, p. 111).Alors la science ne ferait plus de progrès et s'arrêterait par indifférence intellectuelle, comme quand les corps minéraux saturés tombent en indifférence chimique et se cristallisent (C. Bernard, Introd. ét. méd. exp.,1865, p. 353).
b) Indifférence + compl. introd. par la prép. de.−
[Le compl. désigne celui qui éprouve l'indifférence] Indifférence du public; indifférence des égoïstes, des masses, des passants. Il n'y a point de blessure plus cruelle que celle qui est faite au cœur d'une mère par l'indifférence de ses enfants (Chênedollé, Journal,1833, p. 167).Ce peu de succès n'avait nullement découragé les inventeurs, et bien d'autres mécaniques avaient vu le jour, mais toutes s'étaient heurtées à l'indifférence des autorités et à l'hostilité du public (P. Rousseau, Hist. techn. et invent.,1967, p. 342):4. Je ne sais quelle indifférence de mourant m'est venue avant l'heure. Autrefois, un désir, une ambition, une espérance me sortaient un jour, violemment, de cet état d'âme. Aujourd'hui, je sens qu'il n'y a plus rien au monde que je me donnerais la peine de désirer, d'ambitionner, d'espérer, de rêver.
Goncourt, Journal,1874, p. 994.
♦
P. anal. [Correspond à indifférent I B] Tout nous quitte, hélas! et l'ingratitude des gens vient compléter l'indifférence des choses (Amiel, Journal,1866, p. 278).Au fond du champ, deux phares s'allumèrent dans l'indifférence de la nuit (Malraux, Espoir,1937, p. 813):5. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde.
Camus, Étranger,1942, p. 1209.
− [Le compl. désigne un trait du comportement de celui qui éprouve l'indifférence] Indifférence d'une caresse, d'un geste. Cette espérance seule peut le consoler de l'indifférence du billet qu'il reçoit (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 177).Et sans doute, l'aveu qu'elles me firent de l'indifférence de leurs gémissements sous les étreintes (...) pénétra mon esprit du goût de l'ironie (Léautaud, Essai sentimental.,1896, p. 23).
− [Le compl. désigne la cause de l'indifférence] Les sots s'aperçurent de son mépris pour eux, car les sots ont un tact singulier sur cet article, et rien ne les chagrine tant que l'indifférence du mépris (Chateaubr., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 82).Les temples, les arcs, les colisées de Rome morte, foulés aux pieds dans Rome vivante, avec l'indifférence de l'habitude ou la profanation de l'oubli (Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 69).
c) Indifférence + compl. introd. par d'autres prép.[Le compl. désigne l'objet de l'indifférence] −
Indifférence à + subst.Quiconque connaît l'indifférence que j'ai aux choses humaines, le peu de prix que j'attache à tout, saura ce qu'il a dû m'en coûter pour me plier à tant de contraintes (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 203).Je m'étonnai de son indifférence aux bosses, aux taches, aux assiettes cassées : elle ne se fâchait jamais (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 92).V.
bourgeois II B 1 ex. de Flaubert :
6. ... le plus dangereux effet de l'épuisement qui gagnait, peu à peu, tous ceux qui continuaient cette lutte contre le fléau, n'était pas dans cette indifférence aux événements extérieurs et aux émotions des autres, mais dans la négligence où ils se laissaient aller.
Camus, Peste,1947, p. 1374.
SYNT. Indifférence au bien et au mal, au juste et à l'injuste, à l'opinion publique, aux approbations, aux haines, aux outrages, aux tentations.
♦ Indifférence à l'égard de + subst. Comme toutes les fortes passions de l'homme, l'ambition nous entretient dans un singulier état d'indifférence à l'égard d'autrui (Bernanos, Imposture,1927, p. 387).Mes amis ne concevaient point cette indifférence à l'égard de l'avenir (Valéry, Variété V,1944, p. 96).V. froideur ex. 5.
♦ Indifférence à l'endroit de + subst. Il serait peut-être vain d'accuser les artistes d'indifférence à l'endroit de la seule « chose publique » qui compte : le domaine des idées et des pressentiments (Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 177).
− Indifférence de + subst. (vieilli).Indifférence des autres, de tout. Cette inquiétude qui finit par le dégoût ou du moins l'indifférence de la vie (Senancour, Rêveries,1799, p. 158).Il y a une chose que j'aime beaucoup en M. Leconte, c'est son indifférence du succès (Flaub., Corresp.,1853, p. 231).
− Indifférence devant + subst.Il y a quelque chose de primaire à s'étonner de l'indifférence des êtres devant la mort d'un de leurs proches (Montherl., Célibataires,1934, p. 909).
− Indifférence envers + subst.Je peux, dans mon surgissement du monde, me choisir comme regardant le regard de l'autre et bâtir ma subjectivité sur l'effondrement de celle de l'autre. C'est cette attitude que nous nommerons l'indifférence envers autrui (Sartre, Être et Néant,1943, p. 448).
−
Indifférence pour♦
+ subst. Il faudrait pouvoir unir les contraires, l'amour de la vertu avec l'indifférence pour l'opinion publique, le goût du travail avec l'indifférence pour la gloire, et le soin de sa santé avec l'indifférence pour la vie (Chamfort, Max. et pens.,1794, p. 29).Il était plein d'une indifférence dédaigneuse pour tout ce qui se passait (Nizan, Conspir.,1938, p. 247).SYNT. Indifférence pour le bien, la gloire, la patrie, la religion; indifférence pour la mort, pour la vie; indifférence pour les hommes, pour les choses; indifférence pour les arts, les études, les richesses, les sciences.
♦ + inf. (vieilli).Dans l'état de chute, l'homme n'a guère d'indifférence réelle, à aucun moment, pour faire le bien ou le mal; sa volonté est toujours fléchie et déterminée à l'un ou à l'autre (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 2, 1842, p. 104).
−
Indifférence sur + subst. (vieilli).Indifférence sur son sort, sur la politique, sur les plaisirs. L'indifférence du sage sur ce que les hommes inquiets ou prévenus appellent des malheurs et des biens (Senancour, Obermann, t. 1, 1840, p. 184):7. Tu as su (...) de quel malheur le ciel m'a frappé. Je n'ai plus d'enfant! Je n'ai plus rien dans l'avenir que vide et tristesse et indifférence sur moi-même.
Lamart., Corresp.,1833, p. 335.
− Indifférence vis-à-vis de + subst.Une atmosphère d'indifférence vis-à-vis des fins optimistes que l'homme prête à la vie et d'acceptation définitive de la cruauté de Dieu (Faure, Espr. formes,1927, p. 205).
d) Subst. + d'indifférence.Certains éléments du monde, les vivants, cherchent à persévérer dans leur être; ils s'efforcent de remonter le courant d'indifférence qui entraîne la matière inanimée (Maurois, Journal,1946, p. 14).Je l'aime autant que jamais et je souffre abominablement de ne pouvoir le lui laisser connaître; cette attitude qu'elle m'impose, ce masque d'indifférence qu'elle me force à revêtir, lui paraissent certainement plus sincères que ce que je ne pourrais que balbutier (Gide, Et nunc manet,1951, p. 1154).V.
filtrer ex. 12.
SYNT. Accent, air, geste, signe, sourire, ton d'indifférence; carcan, cuirasse, halo d'indifférence; état, fond, preuve, sentiment, symptôme d'indifférence; abîme, désert, mur d'indifférence.
e) Verbe + (de) l'indifférence.Ce soir-là, elle redoutait tellement une scène, qu'elle affecta l'indifférence (Zola, Nana,1880, p. 1304).Il écoutait en silence (...), profondément intéressé, bien qu'il jouât l'indifférence et affectât de s'étirer les bras en soupirant bruyamment (Courteline, Train 8 h 47,1888, 1repart., 5, p. 58):8. Les réticences de mon père m'étonnaient et me piquaient (...). Il aurait dû s'intéresser à mes efforts, à mes progrès, me parler amicalement des auteurs que j'étudiais : il ne me marquait que de l'indifférence et même une vague hostilité.
Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 175.
SYNT. Affronter, feindre, professer, simuler l'indifférence; reprocher à qqn son indifférence; concevoir, éprouver, inspirer, montrer (de) l'indifférence; se heurter à l'indifférence; demeurer, s'enfermer, mourir, sombrer, vieillir dans l'indifférence; se cuirasser d'indifférence; accuser qqn d'indifférence; souffrir de l'indifférence de qqn; témoigner de l'indifférence à qqn; accorder qqc. à qqn par indifférence; prendre qqc. pour de l'indifférence.
f) Loc. adv. − (Faire qqc.) avec indifférence. Accueillir, accepter, considérer, recevoir (qqc. ou qqn) avec indifférence. Comme je peux tout entendre avec indifférence, de même je peux tout ignorer sans peine (Cottin, C. d'Albe,1799, p. 198).La mêlée en était arrivée à ce point (...) où l'on marche avec indifférence sur des amas de blessés et de cadavres (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 430).
− Prendre, recevoir qqc. en (toute) indifférence. Cette certitude me consolait et me faisait prendre en patience et en indifférence l'intervalle que je croyais court entre le départ et la réunion (Lamart., Nouv. Confid.,1851, p. 14).
4. Spécialement a) CHIM. [Correspond à indifférent I C 3 a] Indifférence [du saccharose] vis-à-vis de la potasse ou de la soude (Rouberty, Sucr.,1922, p. 11).
b) LING. Position d'indifférence. ,,Position normale des organes vocaux pendant le silence`` (Mar. Lex. 1933, p. 99).
c) PHILOS. Liberté d'indifférence. Faculté de se décider en l'absence de tout mobile ou motif capable de terminer la volonté (d'apr. Goblot 1920). Les théories antagonistes dites du déterminisme et de la liberté d'indifférence sont toutes deux fausses et fondées sur une erreur commune (Renouvier, Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p. xxxiv).La prétendue liberté d'indifférence qui n'est que l'impossible indétermination du contenu du choix par rapport au contenu des motifs (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 177).
d) PHYSIQUE : 13. ... l'inertie de la matière consiste dans l'indifférence au repos et au mouvement; de sorte que ce qu'on nomme la mobilité des corps ne doit pas être regardé comme une qualité spéciale, mais seulement comme une conséquence du principe de l'inertie de la matière.
Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 187.