1. Sentiment de pénible humiliation qu'on éprouve en prenant conscience de son infériorité, de son imperfection (vis-à-vis de quelqu'un ou de quelque chose). Synon. confusion.La honte le retient. Être pris de honte (Ac.) : 6. Christophe vit rouge : il fut tout près d'appliquer son poing sur le mufle du grand-duc; mais il était écrasé par un chaos de sentiments contradictoires : la honte, la fureur, un reste de timidité, de loyalisme germanique, de respect traditionnel...
Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 497.
♦ Au plur., rare. Non, non, pas ce morceau-là... Vous savez que Monsieur aime la tête; il suce les petits os. Mouret, diminué, mangeant avec des hontes de pique-assiette (Zola, Conquête Plassans,1874, p. 1086).
− Demi-honte. Quand la femme avoue cette ignorance avec ces mines, ces sourires, ces demi-hontes, et ce petit air gauche (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 231).
a) [Dans un syntagme introd. par de] Causé par la honte. − Subst. + de (la) honte.Tremblement, rougeur, larmes de honte. J'ai pitié (...) du sourire qu'ils ont alors que le frisson de la honte leur passe dans le dos (Claudel, Tête d'Or,1901, 2epart., p. 224).Il eut une pensée rageuse (...) et il fut pris d'un vertige de honte (Aymé, Mais. basse,1934, p. 194).
− Verbe + de honte.Périr, rougir, sangloter de honte. Et l'invocation aux mânes de Caton! Il y avait là de quoi mourir de honte. Il aurait voulu renier ces phrases (Larbaud, F. Marquez,1911, p. 134).Je suis conscient de la noirceur de mon crime. Je n'entends d'ailleurs pas le tenir secret. Dussé-je en crever de honte, je le confesserai bien haut (Aymé, Cléramb.,1950, III, 2, p. 150).
− Adj. + de honte.Tous les enfants éclatèrent de rire; et certains se chargèrent de préciser l'allusion, en des commentaires aussi clairs qu'énergiques. Christophe se releva, rouge de honte (Rolland, J.-Chr., Aube, 1904, p. 46).
b) [Dans un syntagme verbal] −
Avoir (grand) honte (à + inf./de + inf.).Éprouver un sentiment de pénible humiliation en prenant conscience de son infériorité ou de son imperfection. Il a honte; n'avoir pas honte. Je souffre de n'avoir pu m'identifier en moi-même à la figure que je fais en ce monde. J'ai honte d'être quelque chose de moins que l'écrivain dont je fais les gestes (J. Bousquet, Trad. du silence,1935-36, p. 89).Camille resta stupide, rentrant chez lui, de ne trouver personne dans le lit conjugal, ni dans la chambre des enfants (...). Le lendemain matin, il eut grand-honte devant la vieille Marie qui venait ouvrir les persiennes (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1939, p. 133) :7. ... nous aussi, quand nous pensions aux déportés, nous avions honte : nous ne nous reprochions rien, mais nous n'avions pas assez souffert.
Beauvoir, Mandarins,1954, p. 70.
− Rare. Prendre honte. Même sens. Soudain le chasseur prend honte en se sentant bourreau (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1034).
− Arg. Chier la honte. Éprouver beaucoup de honte (supra B 1). Tu as été boire tout seul et un litre!!! Tu ne chies pas la honte!!! (Carabelli, [Lang. milit.]).
− Faire honte (à qqn). Être (pour quelqu'un) une raison de prendre conscience de son infériorité, de son imperfection, et d'éprouver ainsi un sentiment d'humiliation. V. A 2 faire honte.Cet écolier fait honte à tous les autres par son application (Ac. 1835-1935). Le voilà qui me cite les noms de vingt petits spectacles et d'autant de jardins (...) dont en effet je n'avais jamais entendu parler. Pendant qu'il pérorait en me faisant honte de mon ignorance, nous fûmes (...) poussés (Jouy, Hermite, t. 3, 1813, p. 258).En cinq jours les six mille ressortissants alliés avaient été évacués. Tant d'incurie française nous faisait honte auprès d'une organisation si bien entendue (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 374).
2. Sentiment pénible, gêne qu'on éprouve à l'idée d'enfreindre certaines convenances sociales, culturelles ou morales, ou à l'idée d'agir à l'encontre de sa dignité ou de la décence. Synon. confusion, pudeur, réserve.Je fis sa toilette mortuaire (...) j'enlevai ses vêtements trempés d'eau, découvrant un peu, avec honte, comme si j'eusse commis une profanation, ses épaules et sa poitrine, et ses longs bras aussi minces que des branches (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Miss Harriet, 1883, p. 878).Elle admirait Gomar. (...) elle s'asseyait sur ses genoux, l'embrassait sans honte, sur la bouche (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 44) :8. Sur les draps blancs, André aperçoit le corps de Denise, ce corps frêle, débarrassé du fardeau, redevenu tel qu'aux plus vivantes heures d'amour. Une réaction brutale ressuscite en lui la volonté. Subitement, il a honte...
Martin du G., Devenir,1909, p. 200.
− En partic. Fausse honte, mauvaise honte. Honte causée par un scrupule excessif à propos de quelque chose qui n'est guère blâmable. Éprouver une fausse honte. Manquer au devoir par fausse honte (Ac. 1935). Je ne sais plus trop ce qui me fit effacer ainsi mon nom. Dans mon premier récit, j'ai mis en avant la mauvaise honte (Gide, Si le grain,1924, p. 581).Dans mon portefeuille, il y a cette lettre d'Anny. Une fausse honte m'empêche de la relire (Sartre, Nausée,1938, p. 85).
−
Expressions ♦
[Avec un compl. indiquant la cause du sentiment] Avoir honte de/à + inf.Il a honte de se montrer (Ac. 1835-1935). Un léger frôlement de branches (...) m'indiqua bientôt que les deux petites filles arrivaient... Le Chinois qui les avait entendues aussi, se leva d'un bond (...). Soit pudeur, soit honte d'étaler au soleil d'aussi laides choses, il courut à ses vêtements (Loti, Mariage,1882, p. 51) :9. ... un jeune bandit que votre gouvernement envoyait aux bataillons d'Afrique, pour avoir fait, un soir, le guet (...), pendant que des amis à lui étranglaient une vieille dame. Il n'avait pas la moindre honte à raconter son histoire.
Tharaud, Dingley,1906, p. 38.
Avoir honte de + subst.Il a honte de nous; il a honte de sa conduite. Tous les plus gros Bulgares viennent perdre, dans une piscine carrée, nus absolument, un peu de leur graisse jaune (...). Ils en sortent pourpres, crachant de la sueur (...) et un garçon crasseux les soutient, les étrille devant les autres, sur l'étroit quai de pierre. Pas un n'a honte de sa graisse suante, de sa laideur! Ils les étalent cyniquement, bestialement (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 142) :10. ... il avait, la veille, écrasé à coups de talon une portée de petits chiots bâtards (...). Le soir, (...) il avait eu honte de sa férocité, et, pour se punir, il s'était imposé son châtiment coutumier : dix fois de suite une longue épingle dans la cuisse.
Daniel-Rops, Mort,1934, p. 14.
♦ [Avec un compl. introd. par pour désignant la pers. qui enfreint les convenances] Avoir honte (de qqc.) pour qqn. Demain matin, les Boches en prendront livraison quand ils en auront fini avec nous. Mathieu regarda les chasseurs : il avait honte pour les copains (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 165).
♦ Faire honte (à qqn) à + inf.Être (pour quelqu'un) un motif d'avoir honte (lorsqu'on fait telle ou telle action). Il nous fait honte à pleurer ainsi.
♦ [En apostrophe; s'emploie pour signifier à qqn qu'il devrait éprouver un sentiment de gêne (pour avoir fait ou pour faire telle ou telle action)] Tu n'as pas honte/vous n'avez pas honte (de + subst. ou inf.)? N'avez-vous point honte de manquer de parole, de vous comporter avec cette indécence? (Ac. 1835-1935). Vos violences, monsieur, j'en veux plus! (...) À faire les copains cocus et puis après à frapper sur leurs femmes!... Il est culotté ce saligaud-là! Vous avez donc pas honte? (Céline, Voyage,1932, p. 606).Espèce de vieille voleuse, vous n'avez pas honte! Des gens riches comme vous, voler le charbon du ravitaillement! (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 115).