GRIGNOTER, verbe trans.

GRIGNOTER, verbe trans.
A. −
1. Manger quelque chose en le croquant, en le rongeant petit à petit, du bout des dents. Les rats ont grignoté ce livre (Ac. 1932). On lui servait un bol de lait et un biscuit, qu'elle avait la coquetterie de grignoter sec, car elle avait gardé des dents de souris (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 905).Je faisais le tour de la société et distribuais à chacun un chocolat qu'il grignotait du bout des dents (Guéhenno, Journal « Révol. »,1937, p. 94) :
1. Il repensait à cette créature, à ses goûts bizarres, à sa manie de mordiller les oreilles, de boire des odeurs de toilette dans de petits verres, de grignoter des tartines de caviar et des dattes. Elle était si libertine et si étrange... Huysmans, En route, t. 2, 1895, p. 189.
SYNT. Grignoter des feuilles de salade, des radis; grignoter du pain, un quignon, des frites; grignoter des sucreries, un croissant, des biscuits; grignoter un fruit, une grappe de raisin (ou des raisins), des noisettes.
Emploi abs. Grignoter bribe par bribe; grignoter du bout des dents; grignoter et picorer. Il s'amuse à grignoter (Ac. 1835-1932) :
2. M. de Clergerie est un petit homme noir et tragique avec une tête de rat (...) il rumine le malheur de ses rivaux (...) il brigue un siège à l'Académie (...). Mais la pitié divine, qui de rien n'est absente, n'a pas voulu que le petit homme fît mieux que grignoter et ronger selon la loi de sa nature. Bernanos, Joie,1929, p. 535.
2. P. ext.
a) Manger très peu, sans appétit. C'était pourquoi M. de Kermaheuc grignotait sans faim, seul avec ces ombres, un pâté qui datait peut-être, lui aussi, du septennat (Vogüé, Morts,1899, p. 341).
Emploi abs. Et le petit garçon, assis dans son coin, ne faisait pas plus de bruit qu'une petite souris, grignotait, ne mangeait guère, et écoutait de toutes ses oreilles (Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 835).
b) Mordiller, mâchonner. J'étais satisfaite de le voir rabroué par un contrôleur pour avoir grignoté son billet après l'avoir plié en quatre, puis roulé (Giraudoux, Suzanne,1921, p. 33).
B. − Au fig.
1.
a) Ronger, dévorer, dégrader progressivement (jusqu'à l'anéantissement). Se laisser grignoter par qqc. À l'usine où pendant huit heures du jour des petits travaux idiots me grignotent la cervelle, je me suis aperçu que je n'étais pas plus inapte qu'un autre (Alain-Fournier, Corresp. [avec Rivière], 1905, p. 47) :
3. ... une observation impartiale des sociétés de fourmis et d'abeilles nous conduirait à reviser bon nombre d'opinions touchant la perfection de leurs instincts sociaux. Bon gré mal gré, nous devons nous résigner à voir le merveilleux de la nature peu à peu grignoté par la science. J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 98.
Emploi pronom. passif. En période d'essor (...) la forêt se grignote (Meynier, Paysages agraires,1958, p. 146).
b) Réduire peu à peu l'importance ou la valeur de (une somme d'argent, un bien). Grignoter un héritage, une dot, une pension. Ce n'est pas cet héritage, ce n'est pas cette poignée d'argent tout de suite grignotée, dévorée par les rapaces et les parasites (...) que les gens du clan Pasquier attendaient pour s'élever dans la lumière (Duhamel, Combat ombres,1939, p. 11) :
4. L'État continuait, il est vrai, de payer ses coupons, mais négligeait de les hausser à proportion de la débâcle du franc; ses rentes restées pareilles semblaient grignotées par un démon invisible. Estaunié, MmeClapain,1932, p. 6.
c) Couvrir progressivement (une distance, un espace). Elle [une voiturette] grignotait cependant le raidillon avec une allégresse sénile et trotte-menu et disparut bientôt (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 9).
2. Grignoter une personne (ou ses biens). S'en rendre peu à peu maître. Grignoter un ennemi, un adversaire, un partenaire, un concurrent. Elle a devant elle un monsieur de deux cents millions à grignoter (A. Daudet, Rois en exil,1879, p. 275) :
5. Les Noirs ont gagné du terrain [à New York]; peu à peu, ils grignotent les Blancs, comme l'océan ronge la falaise. Ils s'infiltrent rue par rue, bloc par bloc, maison par maison. Morand, Eau sous ponts,1954, p. 167.
Rem. Dupré 1972 indique ,,Je les grignote, est une expression qui est attribuée à Joffre, en octobre 1914, interrogé sur ses intentions au moment où la guerre de tranchées semblait succéder à la guerre de mouvement. « les » s'applique évidemment aux Allemands.``
3. Pop. Faire quelque petit profit dans une affaire. Il s'intéressait à une « filière » d'importation clandestine de l'or, dont il n'était pas le manitou, mais (...) un de ces innombrables intermédiaires qui grignotent le deux pour cent au passage (H. Bazin, Lève-toi,1952, p. 208).
Emploi abs. Il n'y a pas grand profit pour lui dans cette affaire, mais il y a de quoi grignoter; il y trouve à grignoter (Ac.1835-1932).
Prononc. et Orth. : [gʀiɳ ɔte], (il) grignote [gʀiɳ ɔt]. Ds Ac. dep. 1694. Fér. 1768 écrit grignotter. Étymol. et Hist. 1. a) 1535 grinoter abs. « manger (quelque chose) petit à petit, lentement, en rongeant » (Nicolas de Troyes, Le Grand Parangon, 6 ds Hug.); b) 1537 grignoter trans. « id. » (Bonaventure des Périers, Prognostication des Prognostications ds Œuvres, éd. L. Lacour, t. 1, p. 133); 2. a) 1690 « faire quelques petits profits dans une affaire » (Fur.); b) 1842 « s'approprier, gagner » (Reybaud, J. Paturot, p. 232). Dér. de grigner* (v. grignon); suff. -oter*. Fréq. abs. littér. : 151.

Quelques définitions tirées au hasard dans le dictionnaire : 

·le trésor de la langue française, un dictionnaire français·