1. Aptitude, faculté supérieures de l'esprit portées au-delà du niveau commun (se manifestant dans des entreprises, des inventions, des créations jugées exceptionnelles ou extraordinaires). Génie admirable, élevé, étonnant, puissant; créations, découvertes du génie; avoir du génie. L'invention, cette première faculté de l'intelligence humaine, à laquelle on a donné le nom de génie (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 191).Le génie est l'instinct de tout voir et de tout comprendre, et le talent est le don de tout rendre et de tout exprimer (Chênedollé, Journal,1833, p. 162).Trois facultés (...) composent le génie : l'intelligence pour percevoir, l'imagination pour idéaliser, la volonté pour réaliser (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 73).Le génie, c'est d'avoir à la fois la faculté critique et les dons du simple. Le génie est enfant; le génie est peuple, le génie est simple (Renan, Avenir sc.,1890, p. 469).C'est le propre des grandes créations du génie humain qu'elles échappent aux intentions de leur auteur et qu'elles les débordent (Mauriac, Journal 2,1937, p. 173).Rimbaud satisfait exactement l'idée dramatique, fulgurante et courte, que les gens se font du génie (Cocteau, Poés. crit. I,1959, p. 82) :10. Je parlai (...) de la grandeur de Napoléon; je m'exaltai, je vantai son génie universel, qui devinait les lois en faisant les codes, et l'avenir en faisant des événements. J'appuyai avec insolence sur la supériorité de ce génie, comparée au médiocre talent des hommes de tactique et de manœuvre.
Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 186.
Rem. Génie, dans cet emploi, connote souvent l'idée du surhumain, d'un destin tragique ou dramatique (v. supra ex. de Cocteau). M. Tournier (Le Vent Paraclet, Paris, Gallimard, 1977, pp. 296-297) note, à ce propos : ,,Jean Cocteau (...) voulait que l'idée de génie fût humanisée, dédramatisée, replacée au niveau de tous les jours. « J'aime beaucoup, écrit-il [dans Le Foyer des artistes 1957], la façon désinvolte avec laquelle Stendhal emploie le mot génie. Il trouve du génie à une femme qui monte en voiture, à une femme qui sait sourire, à un joueur de cartes qui laisse gagner son adversaire. » Après Stendhal, on s'est fait une tout autre idée du génie. On l'a confisqué à tout un chacun pour l'accumuler sur la tête de quelques privilégiés qui s'appelaient Beethoven, Balzac, Victor Hugo, Wagner. Ces phares se dressaient au-dessus d'une foule stupide, stérile, antigéniale, le fameux « bourgeois » de Flaubert. Vision malheureuse, navrante et de surcroît mensongère. (...) tout le monde a du génie, lequel n'est pas un énorme et solitaire diamant, mais une poussière scintillante pulvérisée sur tous les hommes. C'est la chose la plus naturelle, la plus quotidienne``.
SYNT. Génie humain, génie de l'homme; génie audacieux, aventureux, créateur, entreprenant, exceptionnel, extraordinaire, fougueux, inquiet, inventif, profond, supérieur; empreinte, inspiration, instinct, intuition du génie; productions du génie; profondeur, rayonnement, supériorité du génie; admirer le génie; croire en son génie; être doué de génie, inspiré par le génie; manquer de génie; il y a du génie dans (qqc., qqn).
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[Suivi d'un n. de pers. introd. par de, ou d'un adj. dér. d'un n. de pers.] Le génie de Molière, de Voltaire, de Shakespeare; le génie mozartien; l'essence de l'art et du génie beethovenien. Ce qui est sans égal et sans pareil, c'est Werther : on voit là tout ce que le génie de Goethe pouvoit produire quand il étoit passionné (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 246).Ce ne sont pas les masses qui ont compris le marxisme, c'est le génie de Marx qui les a devinées (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 41) :11. ... c'est dans ce combat extraordinaire de la sonate op. 106, livré par le génie de Beethoven, par tout son être − (forces obscures et, à leur suite, raison puissante, et volonté qui les maîtrise et les organise) − qu'est gagnée, en janvier 1819, la première, l'éclatante victoire, qui lui rendra la pleine confiance dans sa force et lui donnera l'audace joyeuse du corps-à-corps avec la Messe et la Neuvième, − les deux Titans.
Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p. 214.
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[Suivi d'un compl. introd. par de désignant un art, une sc. ou la pers. qui l'exerce, ou de l'adj. dér.] Génie de la poésie; génie du poète, du musicien; génie comique, dramatique, épique, géométrique, mathématique, musical, philosophique, scientifique. Il jugeait le plus grand effort du génie oratoire, et il trouvait Cicéron bien supérieur à Bossuet (Chênedollé, Journal,1821, p. 109).Son incontestable génie littéraire [de Renan] masqua la débilité de sa pensée à une époque plus soucieuse d'être séduite que d'être conduite (Massis, Jugements,1923, p. 12) :12. Le génie poétique n'est pas le don verbal (le don verbal est nécessaire, quand il s'agit de mots, mais il égare souvent) : c'est la divination des ruines secrètement attendues, afin que tant de choses figées se défassent, se perdent, communiquent. Rien n'est plus rare. Cet instinct qui devine et le fait à coup sûr exige même, de qui le détient, le silence, la solitude : et plus il inspire, d'autant plus cruellement il isole.
G. Bataille, Exp. int.,1943, p. 229.
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Loc. proverbiale. Le génie est une longue patience. Par allus. Génie! Ô longue impatience! (Valéry, Charmes,1922, p. 144) :13. Il construit un livre comme un maçon fait un mur, en mettant des moellons l'un sur l'autre, sans se presser, indéfiniment. Vraiment cela est beau dans son genre, et c'est peut-être une des formes de la longue patience dont parle Buffon et qui serait du génie.
Lemaitre, Contemp.,1885, p. 268.
Rem. Littré attribue la phrase Le génie n'est autre chose qu'une grande aptitude à la patience à Buffon dans son Discours de réception à l'Académie, mais elle ne s'y trouve pas; Lal. 1968 mentionne une expr. légèrement différente rapportée par Hérault de Séchelles dans son Voyage à Montbard (p. 15) : M. de Buffon me dit (...) un de ces mots capables de produire un homme tout entier : le génie n'est qu'une plus grande aptitude à la patience.
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Loc. prép. De génie. [Correspond à génial] ♦
[En parlant d'une chose] Qui relève du génie, qui en est la marque, qui en a les caractères. Éclair, intuition, invention, œuvre de génie. Nos maîtres dans les écoles (...) nous ont-ils assez rebattu les oreilles avec le coup de génie d'Euclide sur le sujet des parallèles? (Nizan, Chiens garde,1932, p. 170).Lorsque Rabelais, dans Pantagruel, par un extraordinaire trait de génie inventif, imagine les « paroles gelées », il fait plus que préfigurer l'enregistrement du son (Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 40).[Avec un sens affaibli] Ingénieux, astucieux. Par une inspiration de génie, je portai la main à ma poche et en tirai mon discours pour le remettre au sténographe du Moniteur. Cette idée lumineuse me sauva (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 364) :14. ... je dessinais sur la table de la salle à manger (...). J'avais déjà tracé cinq ou six soldats, par ma méthode ordinaire que je pratiquais avec facilité. Tout à coup, dans un éclair de génie, j'eus l'idée de représenter les bras et les jambes, non plus par un seul trait, mais au moyen de deux lignes parallèles.
A. France, Pt Pierre,1918, p. 36.
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[En parlant d'une pers.] Qui a du génie. Artiste, musicien, peintre, poète, sculpteur de génie; inventeur de génie; gens de génie. Écrivains de génie qui créent leur langue comme leurs idées, tels sont Pascal, Bossuet, Corneille (Chênedollé, Journal,1823, p. 124).Être une honnête et prude femme pour le monde, et se faire courtisane pour son mari, c'est être une femme de génie, et il y en a peu (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 279).Une des fonctions essentielles des hommes de génie ou, plus simplement, des bons esprits, est de découvrir les mots nouveaux qui s'appliquent aux choses nouvelles (J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 150) :15. ... un maître inconnu, l'homme de génie qui peignit pour le Roi René le manuscrit du « Cœur d'Amour épris » avait, dans une suite de prodigieux chefs-d'œuvre, précisé les variations de la clarté et de l'ombre au gré des heures.
Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 147.