a) Reste, débris qui subsiste après une ruine, un changement de situation, ou au terme d'une évolution. −
[À propos d'un inanimé] Il [Jean] guide l'abbé jusqu'à l'ancien salon, son cabinet, qu'il a meublé avec les épaves de sa vie active : ses bibliothèques, son bureau, et, sur la cheminée, seul et nu, le douloureux « Esclave enchaîné » (Martin du G., J. Barois,1913, p. 533):3. ... j'ai calculé approximativement que, toutes nos dettes payées, il nous resterait un capital de cent vingt à cent cinquante mille francs. Il est difficile qu'une fortune qui s'élevait à cinq millions ne nous laisse pas au moins cette épave.
Feuillet, Le Roman d'un jeune homme pauvre,1858, pp. 20-21.
− [À propos d'une pers.] Elle [la reine] lui montra [à Méraut] le pauvre infirme, blotti dans ses jupes, leur chef-d'œuvre écroulé, ce débris, cette épave d'une grande race (A. Daudet, Rois en exil,1879, p. 460).L'aristocratie mondaine en France survit aux révolutions et subsiste par des noms de famille d'une belle sonorité que l'on a toujours plaisir à entendre... On trouve encore des épaves royales à Lausanne et à Lisbonne (Chardonne, Ciel,1959, p. 32).
− P. ext. [À propos d'un inanimé ou d'une pers.] Ce qui demeure, survit. Épave du bonheur. Elle partageait tout avec nous. (...). Elle savait toutes nos habitudes, elle avait connu toutes nos maîtresses. Elle était un morceau de notre vie, un meuble de notre appartement, une épave de notre jeunesse (Goncourt, Journal,1862, p. 1111).Les vestiges de la bourgeoisie. Qu'est-ce qu'une famille bourgeoise? (...) : c'est une famille riche, en ordre avec des domestiques... Chez nous, pas d'argent, pas d'ordre et pas de domestiques. (...) Mais les phrases et les principes tiennent bon. L'épave de la bourgeoisie! (Cocteau, Par. terr.,1938, I, 2, p. 193).Son collier, là-haut... L'envie le prit de tenir entre ses doigts cette épave du passé (Martin du G., Thib.,Épil., 1940, p. 907).
b) Personne qui, à la suite de malheurs, de revers, est diminuée physiquement ou moralement. (Quasi-) synon. déchet, loque.Cet absurde instinct vital qui rive encore à l'existence les plus misérables épaves humaines (Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1368).On y jugeait [à la correctionnelle] un pauvre bougre, une épave de la société. Il n'attirait plus la foule, il ne faisait pas attraction (Arnoux, Paris,1939, p. 14).♦ Emploi adj. Pourtant je me sens ce matin un peu moins épave; j'écris sans trop de peine trois lettres (Gide, Journal,1929, p. 908).
−
Souvent p. compar. ou p. métaph. Je reconnus des Anglaises. Car, de toutes les épaves, celles-là sont les plus ballottées. À tous les coins du monde, il en échoue, il en traîne dans toutes les villes où le monde a passé (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Épaves, 1881, p. 1219).Il était à peu près sans ressources, pour des années une épave qui surnage ou sombre au hasard du flot (Guéhenno, Jean-Jacques,1948, préf., p. 211):4. Ce fut sur elle [Noémie], pendant huit autres jours, une de ces tempêtes morales qui démâtent une âme de toute sa réflexion et la livrent en proie, douloureuse épave, au plus léger reflux des événements.
Bourget, L'Irréparable,1884, p. 122.