A.− [La conscience morale du point de vue de sa qualité, de ses différents degrés d'intensité appréciés relativement au système des valeurs morales communes à tous les membres du groupe] Conscience droite, intègre, délicate, scrupuleuse, timorée. Comme il n'était à la cour que depuis quelques heures, sa conscience de province était terriblement pointilleuse (Mérimée, Chronique du règne de Charles IX,1829, p. 108).Mon mari a beaucoup plus d'estime pour Michel Korsakof à cause de son caractère irréductible et pour sa conscience de granit (G. Leroux, Rouletabille chez le tsar,1912, p. 39).−
Conscience large. Conscience peu scrupuleuse. Synon. conscience facile, souple, élastique (fam.).Avoir la conscience large, facile, souple, élastique (fam.). Ne pas être scrupuleux et se juger avec une grande indulgence. Synon. ne pas avoir la conscience chatouilleuse (fam.).Il ne me plaît pas, comme à vous, de revenir sur des incidents oubliés. − C'est que vous avez la conscience facile (Estaunié, L'Empreinte,1896, p. 201):24. ... les idéalistes petits bourgeois n'ont pas toujours la conscience chatouilleuse; à l'occasion ils sont capables d'en encaisser gros sans broncher.
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 547.
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Homme de conscience. Homme de devoir. Être homme de conscience; avoir de la conscience. Avoir à conscience de + inf. Tenir pour une obligation de, se faire un devoir de. Faire preuve de conscience. Les hommes de conscience voulaient marcher avec la Constitution à laquelle on leur avait fait jurer d'être fidèles (Mmede Chateaubriand, Mémoires et lettres,1847, p. 59).♦ [Dans un sens anton.] Homme sans conscience; être sans conscience; faire qqc. sans conscience; manquer de conscience; ne pas avoir de conscience. Tu es donc sans conscience, puisque tu enseignes et démontres des choses que tu ne sais pas (Flaubert, Smarh,1839, p. 17).Votre conscience a besoin de trouver un écho dans une autre conscience. Vous tombez mal, Monsieur Ancelot, je n'ai pas de conscience (Aymé, Travelingue,1941, p. 939).
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Avec la conscience du devoir accompli. En jugeant avoir accompli son devoir conformément au système moral accepté : 25. ... mon pauvre homme voit la grande charrette de l'hôtel riverain s'enfoncer sous les arbres (...) et criant, sous le poids des malles et des valises, tandis que lui philosophe pensif, s'en retourne à la lueur des étoiles avec sa brouette vide. (...) mais il n'en vient pas moins là chaque jour, avec la conscience du devoir accompli, ...
Hugo, Le Rhin,1842, p. 290.
− P. méton. Personne douée d'une conscience morale particulièrement vive, à laquelle elle se conforme sans compromis. Conscience droite; (être) une haute conscience, une conscience pure; tenir qqn pour une conscience. Il faut, en ces heures périlleuses (...) la tranquille résolution des hautes consciences dans l'accomplissement du devoir (Clemenceau, L'Iniquité,1899, p. 441).Clemenceau, qu'il [Swann] déclarait maintenant avoir tenu toujours pour une conscience, un homme de fer (Proust, Le Côté de Guermantes 2,1921, p. 582).
B.− [La conscience morale du point de vue de son fonctionnement, en tant qu'entité personnelle, comme détachée de soi et personnifiée, que l'on interroge ou interpelle, qui réagit et juge, avec laquelle il faut transiger, auprès de laquelle on doit se justifier, qui manifeste son approbation ou sa désapprobation avant ou après l'accomplissement d'un acte...] Notre conscience est un juge infaillible, quand nous ne l'avons pas encore assassinée (Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 150).Si vous avez... dans votre passé... de ces... ces fautes qui troublent notre conscience... ne semblent pas... mériter de pardon... des fautes en apparence irréparables, (...) le pouvoir m'est donné de vous en absoudre (Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1520):26. ... au moment de contracter des devoirs envers cette dame, un scrupule de conscience m'est venu. Depuis le temps que j'ai perdu l'habitude de... de... de l'amour, enfin je ne savais plus si je serais encore capable de... de..., vous savez bien...
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, La Rouille, 1882, p. 795.
SYNT. Conscience bourrelée, inquiète; remords de conscience; être tourmenté par sa conscience; se faire un scrupule de conscience de qqc.; interroger sa conscience, tenir à l'approbation de sa conscience, prendre le chemin tracé par la conscience; composer, transiger, trouver des accommodements avec sa conscience; blesser, gêner la conscience de qqn; conscience qui reproche qqc. à qqn.
Rem. ,,La question de savoir si le jugement est antérieur ou postérieur au sentiment dans la conscience morale, est controversée : selon J. Lachelier, ,,le propre de la conscience est d'approuver ou de blâmer, la joie et la douleur ne venant qu'après le jugement moral``; selon M. Bernès, il faudrait au contraire la définir : « propriété qu'a l'esprit humain de sentir la valeur morale, et de rendre ce sentiment explicite au moyen de jugements normatifs» (Lalande 1968).
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Voix de la conscience. Injonction de la conscience relative à un acte futur. Être attentif à la voix de sa conscience, étouffer la voix de sa conscience. Il n'y a pas une voix qui vous crie [MgrSibour] que vous devez prêter à la critique, pas une voix, celle de votre conscience moins que les autres, qui vous avertisse en secret (E. Delacroix, Journal,t. 2, 1854, p. 143).Il [MrMachelin] se fit honte d'une pareille faiblesse, et écouta la voix de sa conscience. Lucien épouserait l'apprentie modiste comme son devoir l'obligeait (Aymé, Le Nain,1934, p. 79).Rem. ,,M. Bernès ajoute que l'expression classique « la voix de la conscience » est une image qui n'a rien d'essentiel. Elle n'exprime que le caractère immédiat et spontané de la conscience; mais elle en fait disparaître l'intériorité. Elle se rattache à la conception théologique d'un Dieu étranger qui se fait entendre dans l'âme, non à la donnée psychologique d'une vie intérieure qui est nous-mêmes. On peut remarquer d'autre part, en faveur de cette image, qu'elle correspond à un fait réel d'objectivation souvent observé en psychologie; par exemple dans les dédoublements de la conscience, l'inspiration artistique, etc.`` (Lalande, 1968).
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Crise, drame de conscience : 27. Le seigneur communiste, demeuré seul à l'écart du champ de bataille, se débattait dans une crise de conscience hésitant s'il marcherait contre le peuple.
Aymé, Le Puits des images,1932, p. 72.
− Affaire de conscience. Problème mettant en jeu la conscience morale parce qu'il implique, pour que soit préservée la paix de la conscience, le besoin et la nécessité, malgré certaines difficultés, de se conformer à une obligation morale. C'est (une) affaire de conscience; ce n'est pas une affaire de conscience; faire de qqc. une affaire de conscience. Il faut voir les choses comme elles sont. Quoi! d'être malade, ce n'est pas une affaire de conscience! (Bernanos, La Joie,1929, p. 578).
− (Faire qqc.) selon, suivant, contre sa conscience. Parler selon sa conscience. Agir contre sa conscience. [En parlant de qqc.] Être contre la conscience (de qqc). Je désapprouve toutes ces mesures; elles sont contre ma conscience, et je ne signerai pas (Scribe, Bertrand et Raton,1833, IV, 5, p. 199).Si les juges ont décidé selon leur conscience, on ne saurait leur en faire un reproche (Aymé, Vogue la galère,1944, p. 46).
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Avoir sa conscience pour soi. Avoir, quoi qu'il arrive, la certitude et la satisfaction d'agir − ou d'avoir agi − selon sa conscience. Il me reste ma conscience : 28. Il avait renoncé à beaucoup de choses, il n'écrivait plus, il ne s'amusait pas tous les jours mais ce qu'il avait gagné en échange, c'est qu'il avait sa conscience pour lui, et ça c'était énorme.
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 217.
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Bonne conscience. Conscience satisfaite de l'homme qui a le sentiment d'agir conformément aux valeurs morales et de n'avoir aucun reproche à se faire. Avoir bonne conscience : 29. Mystérieuse candeur, et inquiétante, mais d'une inquiétude charmante et qui est à la fausse, à la coupable sécurité du libertinage... la sécurité même, par l'effort incessant d'une bonne conscience...
Verlaine, Confessions,1895, p. 118.
♦ Synon. conscience satisfaite.La conscience satisfaite est triste, et l'accomplissement du devoir se complique d'un serrement de cœur (Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 408).
♦ [Souvent par dérision] « Convictions ». Mot qui permet de mettre, avec une bonne conscience, le ton de la force au service de l'incertitude (Valéry, Mauvaises pensées et autres,1942, p. 178).
♦ Péj. Se donner bonne conscience. Trouver les accommodements et l'indulgence nécessaires vis-à-vis de soi-même pour avoir à moindre frais le sentiment de s'acquitter de ses obligations morales et de n'avoir rien à se reprocher [Le suj. désigne qqc.] Donner bonne conscience (à qqn); s'acheter une bonne conscience. Jamais cet homme ne créera un vrai parti de gauche; il sert tout juste d'alibi aux gens qui veulent s'acheter une bonne conscience à bas prix... (S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 524).
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Mauvaise conscience. Conscience insatisfaite et culpabilisée de l'homme qui a le sentiment de n'avoir pas − ou d'avoir mal − respecté les valeurs morales. Avoir mauvaise conscience [Le suj. désigne qqn ou qqc.] Donner mauvaise conscience (à qqn). Ainsi risque-t-elle [la littérature], après avoir été au 18esiècle, la mauvaise conscience des privilégiés, de devenir, au 19esiècle, la bonne conscience d'une classe d'oppression (Sartre, Situations II,1948, p. 136).♦
Être la mauvaise conscience de qqn. Rappeler à qqn les raisons qu'il a d'avoir mauvaise conscience : 30. « Je le gêne, tu comprends. (...). Tu as vu le genre de gens qu'il fréquente? Nous sommes sa mauvaise conscience; il ne demande qu'à s'en débarrasser. »
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 401.
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(Avoir la) conscience nette, pure; être de conscience pure; conscience sans reproche; (avoir la) conscience tranquille; (faire qqc.) avec la conscience tranquille; avoir sa conscience en règle; se mettre en règle avec sa conscience; avoir la conscience en paix, en repos; assurer le repos de sa conscience; (faire qqc.) pour le repos de sa conscience, pour apaiser sa conscience. Rollin a répandu sur les crimes des hommes le calme d'une conscience sans reproche (Chateaubriand, Génie du christianisme,t. 2, 1803, p. 97).Elle qui n'avait jamais fait de mal, et dont la conscience était si pure! (Flaubert, Un Cœur simple,1877, p. 45).♦ P. iron. Le pauvre Bayvet se promenait tranquillement avec la conscience tranquille de ses cent mille livres de revenu (E. Delacroix, Journal,t. 2, 1853, p. 90).
♦ Par acquit de conscience; pour l'acquit de sa conscience (littér.); p. ell., par conscience. Pour s'acquitter d'une obligation et assurer, quoi qu'il arrive, la tranquillité de sa conscience, mais sans conviction et en se donnant le moins de peine possible. Elle les talocha [les deux enfants] encore par conscience (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, En famille, 1881, p. 358).Je cherchai plutôt par acquit de conscience qu'avec conviction s'il était possible, (...) de donner à mes attributions toute l'ampleur et toute l'autorité qui me paraissaient indispensables (Joffre, Mémoires,1916, p. 431).
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Loc. adv. En (toute) conscience. En toute honnêteté, en toute probité. Être tenu en conscience de + inf.; en bonne conscience, en toute tranquillité de conscience; en sûreté de conscience. Sans porter aucunement atteinte à la conscience morale. Mes devoirs sont remplis et je ne me crois plus engagé à rien en conscience (Chateaubriand, Correspondance gén.,t. 2, 1789-1824, p. 112):31. ... en demeurant irréprochable comme homme privé, on pourra, comme homme public, être en sûreté de conscience et d'honneur le dernier des misérables.
Lamennais, De la Religion,1repart., 1825, p. 45.
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En mon âme et conscience, dans ma conscience. Dans ma plus intime conviction. Par dérision. En mon âme et conscience (...) et la main sur le cœur, je te trouve moche (Aymé, Le Bœuf clandestin,1938, p. 131).♦
[Formule du serment que prononce le premier juré avant de faire connaître le verdict du jury] Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, la déclaration du jury est... Jurer qqc. sur son âme et conscience. Elle a repris son air affable quand je lui ai juré sur mon âme et conscience que, (...) le métier de farceur littéraire ne convenait nullement à mon caractère et à ma position (Janin, L'Âne mort et la femme guillotinée,1829, p. 5).−
[Loc. liées aux notions de faute et de remords en tant qu'ils sont ressentis par l'être humain comme ayant un caractère pesant et constituant une charge à porter] ♦
Fam. Avoir qqc. sur la conscience. Avoir un grave manquement à la morale à se reprocher. En avoir gros sur la conscience; se charger la conscience; mettre, laisser qqc. sur la conscience de qqn. Faire, laisser peser sur lui l'entière responsabilité de quelque chose. Observons les règles, afin de n'avoir aucun poids sur la conscience (A. Arnoux, Rêverie d'un policier amateur,1945, p. 46).P. métaph., pop. ou arg. Se mettre (un aliment) sur la conscience. Mettre (un aliment) dans son estomac, charger son estomac de (cet aliment), manger quelque chose. Se coller un cataplasme sur la conscience. Manger beaucoup. « Allons, colle-toi ça sur la conscience, lui dit la bonne femme en lui tendant un bol de bouillon » (Bruant, 1901, p. 207).♦ [Le suj. désigne un manquement aux valeurs morales ou le sentiment de culpabilité consécutif à ce manquement] Charger la conscience de qqn; peser sur/à la conscience de qqn; rester sur la conscience de qqn. Il y a un péché qui doit lourdement charger sa conscience (A. Dumas Père, Don Juan de Marana,1836, I, 4, p. 9).[Voiturier] sentait peser sur sa conscience trente cinq ans d'action anticléricale et progressiste (Aymé, La Vouivre,1943, p. 247).
♦ Dire tout ce qu'on a sur la conscience. Dire, avouer tout ce que l'on a à se reprocher. Décharger, soulager, libérer sa conscience.