1. [En parlant de certains animaux dont la consommation est frappée d'interdit] Spéc., RELIG. CATHOL., vx. Partie comestible des animaux autres que les animaux aquatiques (le poisson notamment) dont l'Église interdisait la consommation les jours d'abstinence, le vendredi en particulier. S'abst[enir] de manger de la chair certains jours, et se croi[re] par-là dispensés de toutes les vertus (Dupuis, Abr. de l'orig. de tous les cultes,1796, p. 550).−
P. allus. aux commandements de l'Église. Vendredi chair ne mangeras Ni jours défendus mêmement (Anc. Catéchismes des diocèses de France). Ce commandement de l'Église : « Vendredi chair ne mangeras, ni autre chose pareillement » (Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 46).Rem. L'oppos. entre chair d'animaux non aquatiques et chair de poisson est très ancienne. Elle correspond sans doute à la distinction entre animaux à sang chaud et animaux à sang froid. Primitivement, la prohibition portait essentiellement sur le sang, assimilé à la vie : ,,Vous ne mangerez du sang d'aucune chair car la vie de toute chair, c'est son sang, et quiconque en mangera sera supprimé`` (Le Lévitique, XVII, 14).
− P. métaph. Ni chair ni poisson. Sans caractère déterminé, d'une nature ambivalente. Ni chair ni poisson : un savant ou demi-savant qui (...) rabâche de tout, et qui ne sait pas une seule chose à fond (Sainte-Beuve, Pensées et maximes,1869, p. 99).
2. [En parlant de l'homme] a) Vieilli. Les sens. Mortifier sa chair : 28. Les ennemis de l'esprit sont d'opinion que la partie saine, bonne, innocente, inoffensive de l'homme, c'est la chair. La chair n'a d'elle-même aucun mauvais instinct, aucune tendance perverse. Se nourrir, se reproduire, se reposer, ce sont là ses fonctions : Dieu les lui a données et les lui rappelle sans cesse par les appétits. (...). Ce qui la corrompt, c'est l'esprit. (...). L'esprit est le père de la sottise, de l'hypocrisie, des exagérations dans tous les sens, et partant, des abus et des excès que l'on a coutume de reprocher à la chair, excellente personne, facile à entraîner à cause de son innocence même; et c'est pourquoi les hommes vraiment religieux et vraiment éclairés doivent défendre cette pauvre enfant en bannissant vivement les séductions de l'esprit.
Gobineau, Nouvelles asiatiques,La Danseuse de Shamakha, 1876, pp. 16-17.
29. Nul plus que moi n'est opposé à ceux qui ont prêché la réhabilitation de la chair, et je crois pourtant que le christianisme a eu tort de prêcher la lutte, la révolte des sens, la mortification. Cela a pu être bon pour l'éducation de l'humanité, mais il y a quelque chose de plus parfait encore. C'est qu'on ne pense plus à la chair, c'est qu'on vive si énergiquement de la vie de l'esprit que ces tentations des hommes grossiers n'aient plus de sens. (...). Aux yeux d'hommes grossiers, un homme qui jeûne, qui se flagelle, qui est chaste, qui passe sa vie sur une colonne, est l'idéal de la vertu. (...). Mais pour nous, un tel homme n'est pas vertueux : car, ces jouissances de la bouche et des sens n'étant rien pour nous, nous ne trouvons pas qu'il ait de mérite à s'en priver.
Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 403.
b) L'instinct sexuel, l'amour physique. La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres (Mallarmé, Poésies, Brise marine, 1898, p. 38):30. ... la femme, devenue la grande tentatrice, le piège du diable, a inspiré des désirs et des adorations d'autant plus ardentes et a tenu une bien autre place dans le monde. La malédiction jetée à la chair a dramatisé l'amour. Il y a eu des passions nouvelles : la haine paradoxale de la nature, l'amour de Dieu, la foi, la contrition. À côté de la débauche exaspérée par la terreur même de l'enfer, il y a eu la pureté, la chasteté chevaleresques; ...
Lemaitre, Les Contemporains,1885, p. 159.
31. L'amour, dans Phèdre exaspéré, n'est point du tout celui qui est si tendre en Bérénice. Seule, ici, la chair règne. Cette voix souveraine appelle impérieusement la possession du corps aimé et ne vise qu'un but : l'extrême accord des jouissances harmoniques. Les images les plus intenses sont alors maîtresses d'une vie, déchirent ses jours et ses nuits, ses devoirs et ses mensonges. La puissance de l'ardeur voluptueuse renaissante sans cesse et non assouvie agit à l'égal d'une lésion.
Valéry, Variété V,1944, p. 186.
32. Bien qu'ayant été, sans aucun doute, une jeune mariée heureuse, à peine distinguait-elle le vice de la sexualité : elle associa toujours étroitement l'idée de chair à celle de péché. Comme l'usage l'obligeait à excuser chez les hommes certaines incartades, elle concentra sur les femmes sa sévérité; entre les « honnêtes femmes » et les « noceuses », elle ne concevait guère d'intermédiaire. Les questions « physiques » lui répugnaient tant que jamais elle ne les aborda avec moi; ...
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 41.
SYNT. L'acte de chair : La mortelle dépression nerveuse qu'on éprouve après avoir consommé l'acte de chair avec quelqu'un qui ne vous fait pas envie (Montherlant, Les Jeunes filles, 1936, p. 1013); l'aiguillon de la chair : Les impulsions du vice (...) l'aiguillon de la chair (Montalembert, Hist. de Ste Élisabeth de Hongrie, 1836, p. 283); le démon/le péché de la chair : Pleins de vertus familiales (...) ceux pour qui le péché de la chair est le plus honteux de tous (R. Rolland, Jean-Christophe, L'Adolescent, 1905, p. 337); les choses de la chair :
33. Ne mêle pas l'esprit aux choses de la chair.
Sache, aux moments secrets où le corps est en fête,
Redescendre à l'obscur délire de la bête.
Tumultueux et sourd et fort comme la mer,
Laisse gronder tes sens en orgues de tempête,
Et que sous l'onde en feu de tes baisers halète
L'orgueilleuse impudeur de la beauté parfaite.
Ch. Guérin, Le Cœur solitaire,Mélancolies à Viollis, 1898, p. 100.
− P. allus. aux commandements de l'Église. L'œuvre de chair ne désireras / qu'en mariage seulement (Anc. Catéchismes des diocèses de France;cf. aussi Maupassant, Contes et nouvelles, t. 2, La Confession de Théodule Sabot, 1883, p. 43).
c) En partic. Ce qui, dans le corps humain ou dans le physique de tel individu, est spécialement enclin ou propice au plaisir amoureux. Chair nue, chair de femme : 34. Et le corps masculin? Germaine s'interroge. Exerce-t-il, sur elle du moins, un pouvoir analogue? Elle en aime la fermeté des chairs, les lignes décidées. Dans l'étreinte, il lui est agréable de sentir la vigueur des muscles qui la pressent. Mais tout cela reste une impression d'ensemble, et assez paisible. Les diverses régions de ce corps ne lui semblent ni belles ni émouvantes par elles-mêmes. Il n'y a guère dans la conformation virile qu'un détail qui la captive singulièrement, ...
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 120.
35. ... la victoire alors a le corps de nos femmes sous la pluie de l'amour. Voici la chair heureuse, luisante et chaude, grappe de septembre où le frelon grésille. Sur l'aire du ventre s'abattent les moissons de la vigne. Les vendanges flambent au sommet des seins ivres. Ô mon amour, le désir crève comme un fruit mûr, la gloire des corps ruisselle enfin.
Camus, L'État de siège,1948, p. 285.
Rem. gén. Chair comme charnel/le, draine de nombreuses réminiscences bibliques, notamment dans son accept. Il et jusque dans ses emplois les plus mod. L'influence considérable de la théol. cathol. sur ces mots s'explique par leur rattachement aux conceptions les plus fondamentales de la pensée humaine et leur rapp. synon. ou anton. avec d'autres termes du vocab. de base, ayant également une portée idéol., relig. − comme matière/matériel, esprit/spirituel, etc.