b) [L'aventure appliquée à des pers. partic.] Une (des) aventure(s). Ce qui arrive (à qqn) n'importe quand, n'importe où, comme par hasard, généralement avec quelque aspect singulier, frappant : 12. ... j'ai toujours le malheur d'oublier qu'une lettre n'est pas un traité de morale, mais une conversation gaie et vive où l'on dit ce qui peut désennuyer et amuser le lecteur. Mais d'un autre côté, comme je suis peu versé dans le monde, et que la vie régulière et retirée du collège ne me met pas dans le cas d'éprouver ces accidents singuliers, ces aventures plaisantes qu'on rencontre si souvent dans la société, je ne puis guère vous faire part que des réflexions qui m'occupent.
M. de Guérin, Correspondance,1828, p. 13.
13. « ... j'ai cru qu'on pouvait définir l'aventure : un événement qui sort de l'ordinaire, sans être forcément extraordinaire. On parle de la magie des aventures. Cette expression vous semble-t-elle juste? Je voudrais vous poser une question, Monsieur. » (...). Il se penche vers moi et demande, les yeux mi-clos : « Vous avez eu beaucoup d'aventures, Monsieur? » Je réponds machinalement : « Quelques-unes » (...). Même si c'était vrai que je n'ai jamais eu d'aventures, qu'est-ce que ça pourrait bien me faire? D'abord, il me semble que c'est pure question de mots. Cette affaire de Meknès, par exemple, à laquelle je pensais tout à l'heure : un Marocain sauta sur moi et voulut me frapper d'un grand canif. Mais je lui lançai un coup de poing qui l'atteignit au-dessous de la tempe... Alors il se mit à crier en arabe et un tas de pouilleux apparurent qui nous poursuivirent jusqu'au souk Attarin. Eh bien, on peut appeler ça du nom qu'on voudra, mais, de toute façon, c'est un événement qui m'est arrivé. (...). Je n'ai pas eu d'aventures. Il m'est arrivé des histoires, des événements, des incidents, tout ce qu'on voudra. Mais pas des aventures. Ce n'est pas une question de mots; je commence à comprendre. (...). (...) : autrefois, à Londres, à Meknès, à Tokio j'ai connu des moments admirables, j'ai eu des aventures. C'est ça qu'on m'enlève à présent. Je viens d'apprendre, brusquement, sans raison apparente, que je me suis menti pendant dix ans. Les aventures sont dans les livres. Et naturellement, tout ce qu'on raconte dans les livres peut arriver pour de vrai, mais pas de la même manière. (...). (...) : pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter. C'est ce qui dupe les gens : un homme, c'est toujours un conteur d'histoires, il vit entouré de ses histoires et des histoires d'autrui, il voit tout ce qui lui arrive à travers elles; et il cherche à vivre sa vie comme s'il la racontait.
Sartre, La Nausée,1938, pp. 56-58.
14. Nous ne vivons vraiment que quelques heures de notre vie. Tout le reste, des milliers de jours, n'est que temps gâché, perdu, où nous sommes plus vécus que vivants. Ce sont mille aventures, mille tracas, mille anecdotes qui nous écartent de nous-mêmes, nous interdisent d'être nous-mêmes. Mais il est dans toute vie, et la plus humble, des heures d'une inexplicable harmonie où, par on ne sait quelle grâce, nous connaissons soudain, mais pour un seul instant seulement, ce que nous sommes, à la mesure du monde, à la mesure du ciel, à la mesure de Dieu.
Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 276.
SYNT. a) Aventure bizarre, étrange, personnelle, singulière, tragique; propre, sinistre, terrible aventure. b) Aventure de guerre, de voyage; dénouement, fin, récit, d'une (des) aventure(s). c) Connaître, conter, raconter une (des) aventure(s).
Rem. Aventure qui comporte dans cette accept. une nuance parfois péj., peut être synon. de désagrément, mésaventure (cf. supra assoc. fréq. avec des adj. de valeur dépréciative) :
15. ... la Présidente publia que c'était moi qui l'avais forcé à tirer vengeance d'un coup donné fort innocemment, et de là je fus regardée comme une femme d'un commerce dangereux. Six mois après cette aventure, mon malheur m'attira un autre désagrément encore plus sensible et plus fâcheux.
Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1771.
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Spéc., vieilli. Mal d'aventure. Nom vulgaire du panaris. ,,Les appellations populaires (...) comme mal d'aventure, pour panaris`` (Gourmont, Esthétique de la lang. fr.,1899, p. 36).Rem. Cette affection était autrefois considérée comme venant par hasard, « sans cause apparente » (cf. Ac. 1798).