1. [La relation a pour obj. de créer ou d'entretenir, etc. une communauté de nature affective et vertueuse] Une amitié désintéressée, avoir de l'amitié pour quelqu'un, une preuve d'amitié : 1. Aimer, sentir, c'est là cette ivresse vantée
Qu'aux célestes foyers déroba Prométhée.
Calliope jamais daigna-t-elle enflammer
Un cœur inaccessible à la douceur d'aimer?
Non; l'amour, l'amitié, la sublime harmonie,
Tous ces dons précieux n'ont qu'un même génie :
Même souffle anima le poète charmant,
L'ami religieux, et le parfait amant.
A. Chénier, Épîtres,1794, p. 183.
2. ... les passions proprement dites renferment toujours un desir. Dans la haine, est le desir de faire de la peine; dans l'amitié, le desir de faire plaisir : et ces desirs dépendent de la faculté que nous nommons volonté. Mais l'état doux ou pénible qu'éprouve l'homme qui aime ou hait un autre homme, est une véritable sensation interne.
A.-L.-C. Destutt de Tracy, Éléments d'idéologie, Idéologie proprement dite, 1801, p. 39.
3. L'amitié est une harmonie entre deux êtres qui ont les mêmes besoins. Ainsi elle est plus commune chez les faibles que chez les puissants; elle est plus grande d'un enfant à un enfant, que d'un enfant à un vieillard; elle est plus forte dans l'âge des passions que dans le premier âge; elle est plus constante dans l'âge viril que dans l'adolescence et la jeunesse, (...). L'amitié naît d'abord des besoins physiques, et elle peut subsister assez longtemps par les simples relations de plaisirs, de goûts, d'exercices, d'intérêts. Elle s'étend ensuite aux besoins intellectuels, et s'augmente par les lumières et les études des mêmes arts et des mêmes sciences; enfin elle devient vertu, parce qu'elle demande des sacrifices, de la reconnaissance et de l'indulgence, ...
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 309.
4. Mais comment accuser d'égoïsme celui de tous les écrivains [Montaigne] qui a le mieux parlé de l'amitié, parce qu'il a parlé de ce qu'il a senti? de toutes les passions, de tous les sentimens dont le cœur humain est susceptible, l'amitié est peut-être le seul qui exclue l'égoïsme. Aimer, c'est en quelque sorte déplacer son existence; c'est vivre dans un autre, pour un autre.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 5, 1814, p. 91.
5. Le phénomène de l'amitié s'explique toujours à mes yeux par une comparaison physique; il faut en quelque sorte que deux êtres aient le temps de s'attacher l'un l'autre par des accidents d'âme comme ces insectes qui ne tendent leurs toiles qu'après avoir été sonder chaque fois le terrain pour chaque fil qu'ils posent et encore y reviennent-ils à plusieurs reprises; mais il y a aussi, j'aime à le croire, certaines âmes qui se sentent et s'apprécient d'un seul jet.
H. de Balzac, Correspondance,1825, p. 266.
6. Je nie que la confusion soit possible entre l'amour, qui a l'individuation pour base, et l'amitié, forme de la sympathie, c'est-à-dire d'un fait, où le moi devient, en quelque sorte, le non-moi.
É. Pailleron, Le Monde où l'on s'ennuie,1869, III, 4, p. 148.
7. L'amitié est un pacte, où l'on fait la part des défauts et des qualités. On peut juger un ami et une amie, tenir compte de ce qu'ils ont de bon, négliger ce qu'ils ont de mauvais et apprécier exactement leur valeur, tout en s'abandonnant à une sympathie intime, profonde et charmante.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Lettre trouvée sur un noyé, 1884, p. 903.
8. Tout le monde sait que nous aimons qui nous ressemble, quiconque pense et sent comme nous. Mais le phénomène contraire ne se rencontre pas moins fréquemment. Il arrive très souvent que nous nous sentons portés vers des personnes qui ne nous ressemblent pas, précisément parce qu'elles ne nous ressemblent pas. Ces faits sont en apparence si contradictoires que, de tout temps, les moralistes ont hésité sur la vraie nature de l'amitié et l'ont dérivée tantôt de l'une et tantôt de l'autre cause. (...). Ce que prouve cette opposition des doctrines, c'est que l'une et l'autre amitié existent dans la nature. La dissemblance, comme la ressemblance, peut être une cause d'attrait mutuel.
É. Durkheim, De la Division du travail social,1893, pp. 17-18.
9. L'amitié, un oiseau d'amour qui a la queue coupée.
J. Renard, Journal,1896, p. 370.
10. La plupart des amitiés ne sont guère que des associations de complaisance mutuelle, pour parler de soi avec un autre.
R. Rolland, Jean-Christophe,L'Adolescent, 1905, p. 238.
11. La société des amis est toujours une société idéale. Elle est un échange continu. Tandis que dans nos rapports ordinaires avec les autres hommes nous ne parvenons le plus souvent à la cordialité qu'en lui sacrifiant l'ardeur de nos pensées, la seule amitié nous révèle une vie intense et, par un miracle, tendre et cordiale cependant. Un ami ouvre en nous les chambres fermées.
J. Guéhenno, Journal d'un homme de quarante ans,1934, p. 133.
12. Apprends à repousser l'amitié, ou plutôt le rêve de l'amitié. Désirer l'amitié est une grande faute. L'amitié doit être une joie gratuite comme celles que donne l'art, ou la vie. Il faut la refuser pour être digne de la recevoir : elle est de l'ordre de la grâce...
S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 72.
a) [La relation affective, même ardente, est gén. distincte en tant que telle des relations familiales ou amoureuses ou des simples relations mondaines] −
[Entre pers. de même sexe] :
13. Emma avoit pris pour Célanire la plus vive amitié; elle alloit sans cesse la voir dans son monastère, elle parloit souvent d'elle, et j'allois chez la princesse Emma avec plus d'assiduité que jamais...
Mmede Genlis, Les Chevaliers du Cygne,t. 1, 1795, p. 111.
14. ... sans nous en être aperçus, nous nous trouvâmes liés d'une solide amitié. J'avais déjà un ami d'un caractère tout semblable au mien. J'en eus un, dans Poret, d'un caractère opposé; mais c'est cette différence (qui n'est d'ailleurs que dans la forme) qui a rendu notre liaison si calme et si heureuse; des contrastes naissent les harmonies.
J. Michelet, Mémorial,1822, p. 214.
15. Après ce pacte, les deux amis échangèrent les manitous de l'amitié. Outougamiz donna à René le bois d'un élan, qui tombant chaque année, chaque année se relève avec une branche de plus, comme l'amitié qui doit s'accroître en vieillissant. René fit présent à Outougamiz d'une chaîne d'or.
F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 155.
16. Ces deux hommes venaient, je crois, d'épouser les deux sœurs, deux Nantaises fraîches et roses; ils s'aimaient beaucoup, une forte amitié de matelots; toujours de quart ensemble, toujours ivres ensemble, toujours se battant ensemble, l'un s'était marié pour faire comme l'autre, l'autre se jeta à l'eau pour sauver son ami ou faire comme lui, − se noyer.
E. Sue, Atar Gull,1831, p. 3.
17. Enfin, ils se comprenaient, ils étaient bâtis l'un pour l'autre. L'amitié avec un homme, c'est plus solide que l'amour avec une femme. Il faut dire une chose, Coupeau et Lantier se payaient ensemble des noces à tout casser.
É. Zola, L'Assommoir,1877, p. 618.
18. Blérot était mon ami d'enfance, mon plus cher camarade; nous n'avions rien de secret. Nous étions liés par une amitié profonde des cœurs et des esprits, une intimité fraternelle, une confiance absolue l'un dans l'autre. Il me disait ses plus délicates pensées, jusqu'à ces petites hontes de la conscience qu'on ose à peine s'avouer soi-même. J'en faisais autant pour lui.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Un Sage, 1883, p. 916.
19. Il est faux de prétendre que les petites brouilles entretiennent l'amitié. Christophe en voulait à Otto des injustices que Otto lui faisait commettre. Il essayait bien de se raisonner, il se reprochait son despotisme. Sa nature loyale et emportée, qui, pour la première fois, faisait l'épreuve de l'amour, s'y donnait tout entière et voulait qu'on se donnât tout entier. Il n'admettait pas le partage en amitié. Étant prêt à tout sacrifier à l'ami, il trouvait légitime, et même nécessaire, que l'ami lui sacrifiât tout.
R. Rolland, Jean-Christophe,Le Matin, 1904, p. 166.
20. J'avais été très lié avec Marcel Sembat jadis, avant, je crois, qu'il ne fût député. Puis il me sembla que nous n'avions plus aucune idée essentielle en commun et il me fut un mort, car l'amitié, c'est pour moi une collaboration, une affirmation à deux, une union de désirs et de préférences.
M. Barrès, Mes cahiers,t. 14, juill. 1922-avr. 1923, p. 127.
21. J'ai rencontré, je crois, un ami, j'ai eu la révélation de l'amitié. Cet aveu surprendrait beaucoup de mes anciens camarades, car je passe pour très fidèle à certaines sympathies de jeunesse. (...). Mais ce ne sont que des sympathies. Je comprends maintenant que l'amitié peut éclater entre deux êtres avec ce caractère de brusquerie, de violence, que les gens du monde ne reconnaissent volontiers qu'à la révélation de l'amour.
G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1210.
22. Ils ne s'égaraient même pas sur le sens de leur amitié, qui n'était qu'une complicité assez forte d'adolescents trop menacés pour ne pas éprouver le prix des liens d'équipe, trop solitaires pour ne pas s'efforcer de remplacer la réalité des compagnes nocturnes par les reflets de la camaraderie virile : ...
P. Nizan, La Conspiration,1938, p. 25.
−
[Entre pers. de sexe différent] :
23. Les pures amitiés durables avec les jeunes femmes ne sont possibles, je le vois, qu'à condition d'insensibilité fréquente, d'oubli de leur part et de détournement perpétuel de leur tendresse sur d'autres êtres qui ne sont pas nous. Puisqu'en restant attentives et vives, ces amitiés, au dire des conseillers rigides, ne sont jamais que prétendues innocentes, osons plus, osons mieux, ayons-les donc tout à fait coupables! » ...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, pp. 59-60.
24. ... je crus (...) longtemps que les transports et les jalousies de l'amour étaient inconciliables avec la divine sérénité de l'amitié, et, à l'époque où je connus Rollinat, je cherchais l'amitié sans l'amour comme un refuge et un sanctuaire où je pusse oublier l'existence de toute affection orageuse et navrante.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 94.
25. C'est une chose étrange que les femmes demandent à leur ami d'être un homme. Il n'y a pas d'exemple d'amitié entre une femme et un Abélard ou un impuissant.
E. et J. de Goncourt, Journal,août 1857, p. 396.
26. Vous m'aimez tellement que vous ne m'aimez plus du tout. Vous supposez m'aimer et c'est votre bonheur, c'est le bonheur que vous avez rêvé capricieusement pour vous, c'est vous-même que vous aimez uniquement en moi. Votre amitié ressemble à une escroquerie.
M. Jouhandeau, Monsieur Godeau intime,1926, p. 215.
27. ... ajoutant qu'il n'y avait pas de commune mesure entre ce que signifiait pour moi une amitié masculine et une amitié féminine, je marquais qu'à vrai dire à celle-ci je ne pouvais pas en toute conscience imputer le terme strict d'amitié : toutes les couleurs de la tendresse, du besoin d'actif dévouement, de l'intimité de l'échange, en un mot d'une atmosphère perpétuellement mouvante y jouent; ...
Ch. Du Bos, Journal,mai 1927, p. 269.
28. Désir d'atteindre la pureté d'une femme et de la toucher dans un monde où le fait que je suis un homme n'a plus à lui porter d'ombrage. N'ayant jamais accepté de moi que mon amitié, elle m'a appris à mettre tout mon cœur dans un échange de pensées et il me semble naturel maintenant que ma qualité intellectuelle s'affirme comme un gage éclatant de son influence sur moi. Elle est ma grande amie.
J. Bousquet, Traduit du silence,1935-1936, p. 36.
29. Il dit : − L'amitié n'est donc pas possible entre un homme jeune et une jeune femme? − Si, l'espèce d'impuissance qu'est cette amitié doit être possible dans certains cas. Par exemple, avec une très jeune fille. Quand j'avais dix-huit ans, je n'aurais rien désiré de plus que ce qui est; une amitié masculine, et, avec vous, c'eût été pour moi le rêve. Mais la femme que je suis, dont vous n'avez jamais ignoré l'âge, la solitude, le trouble, la détresse, le besoin d'amour, ayant en vous cet ami magnifique, comment voulez-vous qu'elle ne soit pas menée à l'aimer? Je vous ai offert mon amour. Vous l'avez repoussé. (...). À l'avenir, dans vos relations avec les femmes, ne soyez pas « trop gentil », Costals. Par pitié pour elles. Et puis, gravez dans votre tête cet axiome : « Pas d'amitié avec les jeunes filles. » Parce que chacune d'elles croira que vous la préférez.
H. de Montherlant, Les Jeunes filles,1936, pp. 971-972.
b) [La relation d'amitié peut s'établir à l'intérieur d'une relation d'affection familiale] −
[Entre époux] :
30. ... comme je te l'ai dit souvent, le temps arrivera, et il est peut-être déjà arrivé, où ton amour fini ne vaudra pas mon amitié constante. Cette idée est triste. Il est très vrai que j'aurais trouvé beaucoup de bonheur dans une union douce et fraternelle avec toi.
G. de Staël, Lettres de jeunesse,1791, p. 432.
31. Journée triste, mais importante. Données positives : 1. Ma femme ne m'aime plus guère, 2. Elle est venue ici par un reste d'amitié pour moi, mais elle aurait mieux aimé rester en Allemagne sans moi, ...
B. Constant, Journaux intimes,déc. 1815, p. 455.
32. En ce moment Louise regretta de n'avoir pas d'enfants, afin de se retrancher dans l'amour maternel et de s'y abriter contre les orages de la passion : à un autre homme que son mari, elle eût pu tout avouer, lui dire ses combats intérieurs, ses souffrances; mais il n'existait même pas assez d'amitié entre les deux époux pour que la femme pût se confier à son mari.
Champfleury, Les Bourgeois de Molinchart,1855, p. 186.
33. ... elle fonçait sur le pauvre Chourie encore tout moulu de plaisir, avec les imprécations ordinaires à l'épouse outragée. En présence de cette malchance, M. de la Vallée-Chourie désirait ardemment reconquérir l'amitié de sa femme, mais en même temps jugeait indélicat d'abandonner sa maîtresse...
R. Boylesve, La Leçon d'amour dans un parc,1902, p. 50.
34. ... considérons de plus près l'amitié entre époux. Quelle est la constitution et quelle est la justice politique qui y ressemble? C'est, dit-il, l'aristocratie, c'est-à-dire le gouvernement le plus parfait et le plus rare, où le meilleur gouverne, entendez le meilleur de chacun, et pour les actions auxquelles chacun est le plus propre.
Alain, Propos,1924, p. 600.
−
[Entre les autres membres d'une famille] :
35. ... on dit qu'un fils doit être l'ami de son père. Ce n'est point cette sorte d'intimité que la nature et l'éducation établissent entre eux. Le sentiment qui les unit est sans doute aussi tendre; mais il n'est pas le même. L'amitié suppose une égalité parfaite, des devoirs réciproques et rigoureusement semblables; elle s'offense de toute idée de subordination; or, on doit convenir que cette amitié-là, du moins, n'est point celle qui doit régner entre un père et ses enfants. Les mots consacrés par le vieil usage me paraissent bien mieux choisis : Amour paternel, piété filiale.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 2, 1812, p. 150.
36. Combien de sœurs ont vieilli jusqu'au tombeau, irréprochables dans l'amitié! Mais il y a une harmonie peut-être plus touchante et plus forte que la fraternelle et la sororale, c'est l'amitié réciproque d'un frère et d'une sœur. Dans celle de frère à frère ou de sœur à sœur, il y a consonnance, mais dans celle-ci il y a, de plus, de doux contrastes. L'amitié entre les frères a je ne sais quoi de brusque et de rude, d'emporté, d'incivil; il entre quelquefois dans celle des sœurs de la faiblesse, de la politique et même de la jalousie; mais l'amitié entre le frère et la sœur est une consonnance mutuelle de faiblesse et de protection, de grace et de vigueur, de confiance et de franchise.
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 319.
37. La pudeur du vétérinaire lui semblait dissimuler un mauvais mystère, impression d'autant plus désagréable qu'il avait une grande amitié pour sa belle-sœur Hélène, et même une secrète admiration.
M. Aymé, La Jument verte,1933, p. 68.
c) [La relation d'amitié peut s'établir à l'intérieur ou à la suite d'une relation amoureuse] :
38. Enfin si, comme je le désire ardemment, l'amitié peut remplacer l'amour entre Germaine et moi, ce n'est que si, nos liens ayant été brisés, nous nous rapprochons par la convenance de nos esprits et la renaissance de nos souvenirs.
B. Constant, Journaux intimes,févr. 1803, p. 35.
39. Après dix ans de séparation, un malheur commun réunit de nouveau deux personnes qui se haïssaient depuis long-temps pour s'être aimées quelques mois : Mmede Cénis devint l'amie de M. de Senneterre; et celle dont l'amour eut tant à se plaindre est aujourd'hui citée comme un modèle de la plus tendre et de la plus constante amitié. Je suis fâché que le cadre étroit où je suis resserré ne me permette pas de qartir de ce fait et d'une foule d'autres qui se présentent à-la-fois à mes yeux et à ma mémoire, pour venger les femmes du reproche injuste que leur font Plutarque et ses nombreux échos, de ne pas être susceptibles d'amitié.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 2, 1812, p. 247.
40. ... tant que je vous aimerai, et lorsque, devenue plus âgée, cet amour aura cessé, l'amitié qui lui succédera n'a point de visage et est toute incorporelle. Mais pour, dans ce moment, n'avoir que de l'amitié, je ne saurais, cela m'est impossible, et voilà pourquoi je ne puis plus vous voir, puisque vous rejetez mon hommage.
H. de Balzac, Correspondance,1822, p. 162.
41. Les liaisons entre les deux sexes produisent des amitiés d'un caractère particulier. Tout ce qui en amour survit aux sens peut s'appeler amitié. Chez les sauvages, l'amour n'est qu'un désir plus passager que l'amour chez la plupart des oiseaux. Mais à mesure que la culture de l'esprit fait des progrès, l'amour devient de plus en plus le lien d'une amitié vive et durable.
Ch.-V. Bonstetten, L'Homme du Midi et l'homme du Nord,1824, p. 124.
42. Tous les romans deviennent courts;
Et je ne puis long-temps encore
Prolonger celui des amours.
Heureux qui peut dans sa maîtresse
Trouver l'amitié d'une sœur!
Des plaisirs je te dois l'ivresse,
Et des tendres soins la douceur.
Des héros, des prétendus sages
Les longs romans, qui font pitié,
Ne vaudront jamais quelques pages
Du doux roman de l'amitié.
P.-J. de Béranger, Chansons,t. 1, Les Romans, 1829, p. 224.
43. ... quand on apporte dans une affection profonde quelque chose de plus que la flamme ondoyante du cœur, quand l'esprit et le caractère et les goûts et l'humeur, tout y va, ce n'est plus un paradoxe que l'amour et l'amitié commensaux du même logis.
M. de Guérin, Correspondance,1837, p. 270.
d) [La relation d'amitié nuance de son type d'affectivité des situations, des gestes, des sentiments] :
44. Car, dans ce siècle de lumières et de sensibilité, l'amitié se manifeste, et se prouve sur-tout par la multiplicité des lettres et des billets. Mais dans le siècle grossier où florissoient les chevaliers du Cygne, on ne prouvoit l'amitié que par des actions, par un dévouement sans bornes; on partageoit sa fortune avec son ami, on exposoit sa vie pour lui, on s'en tenoit là, et (puisqu'il faut trancher le mot) on ne s'écrivoit point.
Mmede Genlis, Les Chevaliers du Cygne,t. 1, 1795, p. 23.
45. Les deux amis arrivèrent chez eux sans avoir échangé une parole. En certaines circonstances de la vie, on ne peut que sentir son ami près de soi. La consolation parlée aigrit la plaie, elle en révèle la profondeur. Le vieux pianiste avait, comme vous le voyez, le génie de l'amitié, la délicatesse de ceux qui, ayant beaucoup souffert, savent les coutumes de la souffrance.
H. de Balzac, Le Cousin Pons,1847, p. 101.
46. Quand on le vit rester à Fayt, quand on apprit surtout qu'il était revenu à la foi, les camarades de Belgique lui marquèrent une amitié qui s'exprimait de plusieurs manières, en sourires, en paroles, en poignée de main, délicatement, fraternellement.
R. Bazin, Le Blé qui lève,1907, p. 335.
47. Mmede Fontanin buvait son thé à petites lampées, tenant la tasse tout près de son visage rieur, et, à travers la buée, elle faisait de petits signes d'amitié à Jacques. Son regard, à force de clarté et de tendresse, donnait une impression de lumière, de chaleur; ...
R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Pénitencier, 1922, p. 794.
48. Ah! qu'il était bon de sentir Grayson avec soi. Nombreux parmi eux étaient ceux qui naviguaient avec lui depuis plusieurs années. Pour l'un, c'étaient dix ans, pour un autre quatre. Ils le rencontraient dans la coursive, ils le heurtaient dans la chaufferie, et toujours un mot d'amitié, un sourire, et quelquefois une poignée de mains. Il connaissait son métier, il était toujours juste et impassible.
É. Peisson, Parti de Liverpool,1932, p. 213.
49. Le ton, sauf deux ou trois petites erreurs certainement inaperçues, continuait d'être parfait, plaisant, d'une semi-camaraderie respectueuse. Les yeux d'Anne se fixèrent sur les siens, pour la première fois, lui sembla-t-il, avec quelque chose imitant la sécurité d'une ancienne amitié, et dans cette amitié une nuance de plaisir, de confiance, de repos.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 134.
−
Loc. [Marquant le désintéressement] En signe d'amitié, par amitié : 50. Il avoit rencontré Vernyct sur la route, et, voyant emmener un homme par un piquet de gendarmes, il accourut, et, reconnoissant Vernyct, il lui serra la main en signe d'amitié, et pria les gendarmes de le laisser parler à son cousin.
H. de Balzac, Annette et le criminel,t. 3, 1824, p. 207.
51. Ma mère c'était pas tant par intérêt qu'elle lui faisait des remarques, c'était aussi par amitié.
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 53.
−
Proverbial. Les petits cadeaux entretiennent l'amitié : 52. Vous le voyez, ce ne sont de tous côtés que dons et félicitations; c'est bien, les petits cadeaux entretiennent l'amitié des familles comme celle des princes et des nations.
A. de Musset, Revue des Deux Mondes,31 déc. 1832, p. 99.
Rem. 1. Au plur., amitié désigne les relations amicales d'une pers. avec des pers. différentes, ou les marques d'amitié à l'intérieur d'une même relation (infra I B 1 rem.), ou, p. méton., ces pers. mêmes :
53. Ce bon cousin me dit des amitiés charmantes, des choses qui vont au cœur et ne peuvent passer sur les lèvres.
E. de Guérin, Journal,1835, p. 74.
54. Ovide a dit, avec raison : Heureux, tu compteras des amitiés sans nombre, Mais adieu les amis, si le temps devient sombre.
F. Ponsard, L'Honneur et l'argent,1853, IV, 6, p. 111.
55. De douces et fraternelles amitiés m'entouraient déjà de sollicitudes et de dévouements dont je ne méconnaissais pas le prix : mais, par une combinaison sans doute fortuite de circonstances, aucun de mes anciens amis, homme ou femme, n'était précisément d'âge à me bien connaître et à me bien comprendre, ...
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 94.
56. Nous nous déshabillâmes. Elle déjà au lit, un mot d'elle, une petite amitié (une petite tape) me fit tout oublier. Le bonheur d'être presque appelé me remit et le malade baisa tendrement la malade au bord de son lit.
J. Michelet, Journal,août 1857, p. 339.
57. On le savait violent, mais aussi fidèle à ses amitiés que tenace dans ses haines ...
A. Maurois, La Vie de Disraëli,1927, p. 180.
58. Je lui ai connu des amitiés féminines, mais je crois tout intellectuelles, où il déployait une séduction incomparable. Comme tout artiste, il avait eu sa « muse juive ». Nous l'avions su captif d'une amitié singulière pour une « baragouine trilingue », ...
J.-É. Blanche, Mes modèles,1928, p. 24.
Rem. 2. L'adj. poss. exprime la (les) pers. qui aime(nt) (ex. 22, 26, 28, 30); le compl. d'un nom déterminé (prép. de) exprime la même relation (ex. 16, 33, 36, 42); un adj. jouant un rôle déterminatif distinctif (ex. 27, 29, 58) exprime génér. une relation d'amitié réciproque.
Rem. 3. La pers. qui est l'obj. de l'amitié s'exprime d'ordinaire par un compl. (prép. pour, ex. 13, 31, 37); pour peut être remplacé par avec qui exprime un lien plus intime (cf. lier amitié avec qqn, ex. 17, 23, 29); entre marque la réciprocité (ex. 25, 32, 34, 36).
−
P. anal. ♦ [La relation d'amitié a pour obj. d'établir une communion intime entre un être hum. et un être spirituel] (Quasi)-synon. plus fréq. amour.
♦
[Le « partenaire » est Dieu, obj. ou suj. de l'amitié, ou un autre être spirituel] :
59. Élisabeth qui avait déjà choisi la Sainte Vierge pour sa protectrice et son avocate suprême, avait aussi une vénération et, comme le dit un manuscrit, une amitié toute particulière pour Saint Jean l'Évangéliste, à cause de la pureté virginale dont cet apôtre était le type.
Ch. de Montalembert, Hist. de sainte Élisabeth de Hongrie,1836, p. 17.
60. Voyez Jésus avec son Jean bien-aimé, avec Marthe et Marie qu'il aimait. Quelle tendresse, quelle vie en eux jusqu'au Calvaire où il voulut les avoir! Sa sainte mère, Marie Madeleine, les autres femmes qu'il aimait et le disciple bien-aimé se tenaient au pied de la croix. Divin modèle d'amitié, d'union dans la douleur.
E. de Guérin, Lettres,1839, p. 323.
61. Ce qui reste d'obscur et d'incertain s'éclaircira, je l'espère, et bien plus heureusement. Car enfin, dans l'obscurité, vous n'êtes pas seule; vous avez la providence, la tendre et sainte amitié.
J. Michelet, Journal,1848, p. 608.
62. Pascal pourrait dire comme le calviniste Bunyan « cette nuit-là, le Christ fut un Christ précieux pour moi ». Entendez : à partir de cette nuit-là, où j'ai reçu enfin le signe attendu, où une bienheureuse expérience m'a rendu certain de l'amitié particulière que le Christ a pour moi.
H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,t. 4, 1920, p. 370.
63. Ainsi se comprend ce paradoxe qu'à la fin le saint enveloppe d'un universel amour d'amitié, et de piété, − incomparablement plus libre, mais plus tendre aussi et plus heureux que l'amour de concupiscence du voluptueux ou de l'avare − tout ce qui passe dans le temps, et toute la faiblesse et la beauté des choses, tout ce qu'il a quitté.
J. Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 82.
64. ... on a l'impression qu'il se tient un peu à l'écart de son œuvre, il se donne tout entier à la dernière, elle le révèle plus librement qu'aucune autre, (...) dans tout le plein de sa libre confiance, de sa libre amitié avec Dieu. Dieu seul peut comprendre Pierre Corneille, au moment où il écrit, Dieu seul peut comprendre sa jeunesse déçue, sa fougue, sa résignation à la paix, son dévouement, sa crainte. Tous les démons qu'il porte en lui, il les libère dans cette œuvre, qui, plus qu'aucune autre, est une offrande.
R. Brasillach, Pierre Corneille,1938, p. 212.
65. Mais ne pouvons-nous sauver du désespoir un être qui nous aime, tout en demeurant dans l'amitié de Dieu, tout en restant unis à Dieu étroitement? C'est horrible que de haïr, que de torturer une créature dont le seul crime est de ne pouvoir se passer de nous.
F. Mauriac, Asmodée,1938, II, 4, p. 73.
Rem. La prép. de exprime tantôt que Dieu est suj., tantôt qu'il est obj. de l'acte d'aimer (ex. 65); pour est rare dans ce dernier cas (ex. 62). Avec exprime une relation d'une particulière intimité (mystique, ex. 64 et supra rem. 3). En indique une amitié (entre 2 pers.) selon l'esprit de Dieu et en communion intime avec lui :
66. Votre lettre m'est un nouveau témoignage de la fidèle amitié en Dieu que vous portez à mon mari; cette amitié m'a toujours profondément touchée. J'ai éprouvé, en effet, beaucoup d'angoisse devant ce long et lointain séjour dans l'Afrique noire, qu'il a souhaité − mais si j'avais plus de foi je ne me tourmenterais pas ainsi. Tous ceux qui aiment André Gide, comme mérite d'être aimée cette âme très noble, doivent prier pour lui.
A. Gide, P. Claudel, Correspondance,lettre de MmeA. G. à P. C., 1899-1926, p. 244.
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[L'obj. de l'amitié est un être coll., les hommes vivant en société, la patrie, l'humanité] :
67. C'est une grande gloire pour nos vieilles communes de France, d'avoir trouvé les premières le vrai nom de la patrie. Dans leur simplicité pleine de sens et de profondeur, elles l'appelaient l'amitié. La patrie c'est bien en effet la grande amitié qui contient toutes les autres. J'aime la France, parce qu'elle est la France, et aussi parce que c'est le pays de ceux que j'aime et que j'ai aimés. La patrie, la grande amitié, où sont tous nos attachements, nous est d'abord révélée par eux; ...
J. Michelet, Le Peuple,1846, p. 271.
68. Je comprenais les hommes, comme je comprenais jadis mes problèmes, en vivant avec eux, en les aimant d'une amitié déférente et réservée, en pensant à eux la nuit.
J. Giraudoux, Simon le Pathétique,1926, p. 61.
69. Le problème n'est pas de supprimer l'intérêt privé, mais de le purifier et de l'anoblir; de le saisir dans des structures sociales ordonnées au bien commun, et aussi (et c'est le point capital), de le transformer intérieurement par le sens de la communion et de l'amitié fraternelle.
J. Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 201.
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[La relation d'amitié a pour obj. et parfois pour suj. un animal ou un élément naturel personnifié] :
70. ... on fait en secret des vœux pour que le vent contraire ne tombe pas si vite, pour que la nécessité vous laisse un jour encore savourer cette volupté intime qui attache l'homme à la terre. On fait amitié avec la côte, avec la petite lisière de gazon ou d'arbustes qui s'étend entre la mer et les rochers; ...
A. de Lamartine, Voyage en Orient,t. 2, 1835, p. 352.
71. Sans l'alliance du chien contre les bêtes féroces et celle de l'oiseau contre les serpents et les crocodiles (que l'oiseau tue dans l'œuf même), l'homme à coup sûr était perdu. L'utile amitié du cheval lui vint de même.
J. Michelet, L'Oiseau,1856, p. 297.
72. Justement, ses regards s'arrêtèrent, par une habitude invincible, sur une vigne qu'il possédait dans cet endroit (...). Partant pour ses tournées en forêt, il lui arrivait souvent de faire un détour, malgré lui, pour ainsi dire : une petite visite d'amitié qu'il lui rendait. Les années où la récolte était bonne, il aimait s'arrêter sous les cerisiers plantés en bordure, contemplant les pampres ensoleillés, la lourde opulence des grappes noires.
É. Moselly, Terres lorraines,1907, p. 283.
73. ... j'aimais les animaux, j'admirais leur sagesse et les interrogeais assez anxieusement durant le jour pour qu'ils vinssent, dans la nuit, m'enseigner la philosophie naturelle. Les oiseaux n'étaient point exceptés de mon amitié ni de ma vénération : j'aurais chéri Navarin comme un père, j'aurais comblé ce vieux Cacique de respects et d'égards, je me serais fait son disciple docile, s'il l'eût permis. Mais il ne me permettrait pas même de le contempler. (...) J'aurais voulu connaître la cause de cette inimitié.
A. France, Le Petit Pierre,1918, p. 43.
74. Il s'était pris d'amitié pour le lapin blanc apprivoisé du petit Pierre. Le lapin s'appelait Arthur. On voyait tout le jour Reynold auprès du feu ou sur le seuil de la cuisine avec Arthur dans ses bras. Il lui grattait le front, le caressait comme un chat, jouait avec lui, l'embrassait sur le museau, riait aux éclats. Et Arthur fronçait son nez mobile, et agitait ses immenses oreilles. Il y avait une vraie amitié entre ce gamin et cette bête.
M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 385.
2. [La relation d'amitié est une relation d'accueil, de bienveillance accordée ou reçue, de service; p. méton. acte de bienveillance] :
75. Je passai chez MmePoinsot (...). De là, chez M. Carré, qui me parla sur-le-champ de mon concours et me parut désirer m'avoir pour l'aider; ces perspectives ne m'ont pas quitté l'esprit depuis. J'allai ensuite chez MmeMillon qui me reçut avec bonté. Je trouvais partout de l'amitié et de la bienveillance, ce jour-là.
J. Michelet, Journal,1821, p. 154.
76. ... « Aussi, pourquoi n'avez-vous pas mieux employé vos amis? Pourquoi n'êtes-vous pas venu vous-même à moi? − Sire, tous ceux qui vous approchaient de fort près ne songeaient guère qu'à eux, leur amitié n'allait pas au delà de la bienveillance : parler, demander pour un autre s'appelait user son crédit, et on le réservait tout entier pour soi; ... »
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, 1823, p. 827.
77. Il accueillit avec grande amitié le Roi et ses oncles; il avait de bonnes raisons pour cela, car la France était le seul des grands royaumes de la chrétienté qui soutînt le pape d'Avignon. Outre les indulgences, il accorda au Roi, aux Princes, et même au sire de Coucy, la nomination à beaucoup de bénéfices; ...
P. de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 1, 1821-1824, p. 414.
78. Il m'a recherché ici, et offert tout ce que sa familiarité au divan et au sérail pouvait lui procurer pour moi : accès partout, amitié de quelques principaux officiers de la cour, facilités pour tout voir et tout connaître, qu'aucun voyageur chrétien n'a jamais pu obtenir, pas même les ambassadeurs. J'ai préparé avec son assistance une visite complète du sérail, ...
A. de Lamartine, Voyage en Orient,t. 2, 1835, p. 412.
79. Les sentiments de M. de Coantré à son hôpital peuvent être résumés ainsi : profonde amitié et parfait dévouement pour les blessés, parce que c'étaient des gens du peuple; haine pour les infirmières, le gestionnaire, les visiteurs, bref, pour tout ce qui appartenait à la classe aisée. Ce qui est étrange, c'est que, malgré tout ce qu'ils auraient pu penser de cet homme en bonne santé et à l'abri, titré, pauvre, follement incompétent, traité de haut par le personnel, et en somme assez ridicule, les soldats l'aimaient bien.
H. de Montherlant, Les Célibataires,1934, p. 764.
80. Ils s'installaient, l'un entrepreneur, l'autre filateur, l'autre métallurgiste. Ils avaient l'amitié des ministères et la considération des banques.
M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 466.
81. ... l'épicier d'Heuchin, M. Pamyre, qui est un brave homme (deux de ses fils sont prêtres), m'a tout de suite reçu avec beaucoup d'amitié. C'est d'ailleurs le fournisseur attitré de mes confrères. Il ne manquait jamais de m'offrir, dans son arrière-boutique, du vin de quinquina et des gâteaux secs.
G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1035.
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Locutions ♦
En toute amitié, par amitié pour : 82. ... il s'écrie : « C'en est trop! Ô noire ingratitude! Ô inhospitalière maison à laquelle j'ai tout sacrifié! » Et, là-dessus, c'est l'énuméré des inappréciables avantages auxquels il a renoncé par amitié pour moi et attachement à nos libérales institutions : un million de dot! (...) La royauté d'une peuplade nègre! Est-ce que je sais! ... confondu, j'offre timidement une augmentation de cent francs à titre de compensation. Il accepte.
G. Courteline, Messieurs-les-Ronds-de-Cuir,1893, 3etabl., III, p. 117.
83. Mais il est nécessaire que vous les lisiez pour comprendre toute la portée du conseil que je vous donne ici, en toute amitié : s'il n'y a rien dans tout ce que je vous ai écrit pour vous engager à m'aimer, persuadez-vous que cet homme n'était pas fait pour vous plaire et que vous devez chercher un ami parmi ceux qui lui ressemblent le moins.
J. Bousquet, Traduit du silence,1935-1936, p. 251.
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[Avec une nuance de plaisir] Faire à qqn l'amitié de + inf. : 84. Le hasard a voulu que je reçusse, la semaine dernière, trois invitations pour le même jour : le bonnetier me priait de lui faire l'amitié, le financier de lui faire le plaisir, et M. le prince de N. de lui faire l'honneur de venir passer la soirée chez lui. Je ne voulais pas refuser le premier; je désirais aller chez le second, et je ne pouvais me dispenser de me rendre à l'invitation du troisième.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 2, 1812, p. 203.
85. ... veuillez mettre en prison. Veuillez, c'est comme on dit : faites-moi l'amitié, obligez-moi de grâce, rendez-moi ce service, à la charge d'autant. Je suis votre serviteur, cela s'entend.
P.-L. Courier, Pamphlets politiques,Lettres au rédacteur du « Censeur », 1819-1820, p. 17.
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[Dans la langue de la conversation vive] Faites-moi l'amitié de croire que : 86. ... tu as connu Stanley, Timour, Gustave Adolphe et pas mal d'autres. Tous les gens qui font ces romans extraordinaires que tu lis le soir, en bavant, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une goutte de pétrole dans ta lampe, tous ces gens ont pioché le dictionnaire Larousse. Et tu me feras l'amitié de croire que je ne suis pas plus bête qu'un autre.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 101.
3. [La relation d'amitié est proche de la passion amoureuse dont elle exprime souvent l'aspect non physique] :
87. Il ignore que l'amitié peut être l'amour, l'entente la liaison, l'affinité la connivence. Il ne sait rien, il ne devine rien, de vous, de moi...
J. Giraudoux, Cantique des cantiques,1938, 4, p. 59.
a) [Entre pers. de sexe différent] :
88. ... lui, à l'aurore de sa vie, dans l'effervescence des passions, on le jette à dix-huit ans dans une solitude délicieuse, près d'une femme qui lui prodigue la plus tendre amitié, près d'une femme jeune et sensible, et qui l'a peut-être devancé dans un coupable amour. J'étois épouse et mère, Élise, et ni ce que je devois à mon époux, à mes enfans, ni respect humain, ni devoirs sacrés, rien ne m'a retenue; j'ai vu Frédéric, et j'ai été séduite.
MmeCottin, Claire d'Albe,1799, p. 175.
89. ... toute fille est déshonorée et probablement damnée qui se laisse parler d'amour ou d'amitié, peu importe le mot, pendant plus de quarante jours et qui ne demande pas à l'homme qui prétend l'aimer s'il a le projet de consacrer ses sentiments par le sacrement du mariage.
− Mais si l'homme qui éprouve de l'amitié pour la jeune fille est déjà marié?
− Alors, c'est l'affreux péché d'adultère qui fait la gloire suprême des jeunes gens et qui, en France, marque les rangs entre eux.
Stendhal, Lamiel,1842, p. 101.
90. ... je comprends que vous l'ayez aimée! d'arcy. − Ce mot ne peut s'appliquer qu'avec réserve à l'affection qui nous unit. J'eus pour elle une de ces amitiés d'enfance qui embaument toute une vie et servent de chemin couvert à l'amour, en permettant une grande familiarité.
E. Renan, Drames philosophiques,L'Abbesse de Jouarre, 1886, I, 5, p. 627.
91. Il n'y a pas de risque que nous nous aimions : nous sommes trop bons amis, pour cela. − Que vous êtes gentil! répondait-elle, en riant. Sa saine nature répugnait, autant que celle de Christophe, à l'amitié amoureuse, cette forme de sentiment chère aux âmes équivoques, qui biaisent toujours avec ce qu'elles sentent. Ils étaient de bons camarades.
R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 1041.
92. Christophe ouvre les yeux, retient son souffle, et, le cœur attendri, regarde auprès de lui le cher visage las de l'amie endormie, et sa pâleur d'amour... Leur amour n'était point une passion égoïste, C'était une amitié profonde, où le corps voulait aussi sa part.
R. Rolland, Jean-Christophe,Les Amies, 1910, p. 1173.
93. Le respect de Concha était celui d'une loyale vassale et non d'une maîtresse entretenue; (...) tout de suite elle fixa les limites de sa dépendance. Je connaissais enfin une nouvelle espèce d'amitié, qui n'est point basée sur des goûts communs, et une espèce de passion de laquelle le désir n'est qu'un des éléments. Un sentiment non explicable en mots humains,...
V. Larbaud, A. O. Barnabooth,1913, p. 355.
94. Jean et Florentine, était-ce possible que, se raillant continuellement l'un l'autre comme ils le faisaient, ils pussent être amis? Cela, parfois se voyait. Des êtres continuellement aux prises, se blessant à tour de rôle et incapables pourtant de vaincre une attraction physique ... Mais, à la réflexion, une amitié entre Florentine, qu'il savait fière, et Jean qu'il connaissait sarcastique et mordant, lui parut tout à fait impossible.
G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, pp. 359-360.
b) [Entre pers. de même sexe] :
95. Est-ce qu'elle ne marchait pas chaque jour sur des infamies plus grandes? Est-ce qu'elle ne coudoyait pas, chez les ministres, aux Tuileries, partout, des misérables comme elle, qui avaient sur leur chair des millions et qu'on adorait à deux genoux! Et elle songeait à l'amitié honteuse d'Adeline d'Espanet et de Suzanne Haffner, dont on souriait parfois aux lundis de l'impératrice.
É. Zola, La Curée,1872, p. 510.
96. Les marchands pauvres savaient cela et s'adressaient plus volontiers à celles qui couchaient ainsi sur la mousse près de leurs sanctuaires en plein vent; mais parfois, ceux-là mêmes ne se présentaient pas, et alors les pauvres filles unissaient leur misère deux à deux par des amitiés passionnées qui devenaient des amours presque conjugales, ménages où l'on partageait tout, jusqu'à la dernière loque de laine, et où d'alternatives complaisances consolaient des longues chastetés.
P. Louÿs, Aphrodite,1896, pp. 72-73.
97. Une bonne grosse fille réjouie, vigoureuse et indisciplinée comme moi, avec laquelle je m'entends très bien, autant que l'on peut s'entendre au Sacré-Cœur, où l'on n'admet pas − et on a bien raison − ce que l'on appelle « des amitiés particulières ».
Gyp, Souvenirs d'une petite fille,t. 2, 1928, p. 307.
98. ... je ne crois pas qu'il ait d'amis intimes. Je le lui ai demandé l'autre jour. Il ne m'a pas répondu directement mais m'a dit, en me pressant tendrement contre lui : − l'amitié, c'est l'antichambre de l'amour. Et, en effet, il me paraît aujourd'hui que cette grande amitié que j'avais hier encore pour Rosita et pour Yvonne n'était que provisoire et que mon premier véritable ami, c'est Robert.
A. Gide, L'École des femmes,1929, pp. 1266-1267.
99. ... Byron était un refoulé, qui préférait les adolescents aux femmes, comme il est visible par ses amitiés bizarres avec Eddington, Niccolo Giraud, lord Clare, etc. ...
H. de Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1447.
100. Si c'était moi qui dirigeais ce collège, je vous jure bien qu'il n'y aurait pas d'amitiés particulières. Mais vous, vous fermez les yeux, et puis, quand il vous plaît, vous les rouvrez.
H. de Montherlant, La Ville dont le prince est un enfant,1951, III, 3, p. 910.
101. Claudie se mit à rire : « Vernon obéit au doigt et à l'œil à sa femme afin de se faire pardonner ses amitiés masculines; parce qu'il est de la pédale comme personne; ...
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 250.
Rem. La prép. avec peut exprimer une relation particulièrement intime (ex. 99).