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[Sans compl.] :
16. ... le médecin avait dit à Stephen : « Votre parent ne passera pas la journée, vous le verrez mourir au soleil couchant. » Jusque-là, Stephen avait désiré sa mort, car, depuis quelques jours, le pauvre homme souffrait d'horribles tortures, et, si le jeune homme en eût eu la facilité, peut-être l'eût-il empoisonné pour terminer son agonie. Mais, en ce moment, cette séparation de la vie et du corps a quelque chose de terrible et d'imposant à quoi l'on ne saurait résister. (...) Stephen tenait les yeux fixés sur le soleil qui descendait derrière une maison en face, de temps en temps les reportait sur le mourant qui râlait; déjà ses pieds et ses mains étaient morts, sa voix était morte et son regard mort : ce râle semblait le reste de sa vie qui cherchait à se rapprocher de la bouche pour s'échapper dans un dernier souffle. (...) Ce fut seulement quatre heures après que ses yeux restèrent ouverts, que son cœur cessa de battre et le râle de se faire entendre.
− Allons, dit Stephen, il ne souffre plus!
Et longtemps il resta le regard attaché sur cette figure livide et inanimée.
− Tout est fini, répéta-t-il.
A. Karr, Sous les tilleuls,1832, pp. 127-128.
17. ... quant au fugitif, il resta couché, se débattant dans les convulsions de l'agonie. (...) Il venait d'expirer les poings fermés, la bouche contractée par la douleur, et les cheveux hérissés sous la sueur de l'agonie.
A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 456.
18. Ce fut son dernier moment lucide. Il s'affaissa sur lui-même et n'eut plus qu'une sorte de somnolence remuée par le souffle affaibli de sa respiration. Le docteur Lanère le regardait attentivement; il suivait sur son bras les dégradations du pouls.
− Voici l'agonie, me dit-il.
Quelquefois Sylvius rouvrait les yeux, mais il ne parlait plus.
− Avez-vous déjà vu mourir? me demanda le docteur Lanère.
− Souvent, répondis-je.
− C'est un bon spectacle, reprit-il, et je ne sais pas trop ce qu'on peut y voir d'effrayant.
M. Du Camp, Mémoires d'un suicidé,1853, p. 240.
19. Les gens comme moi, qui ont observé beaucoup d'agonies et qui réfléchissent, ne peuvent pas croire à une autre vie. Non, non, quand on voit chez des êtres intelligents s'en aller peu à peu l'esprit, la grâce, le sentiment, tout ce qui fait l'être humain, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus sur le lit de douleur qu'une pauvre brute stupide et vagissante, on a conscience d'assister à la dissolution lamentable d'une créature et non à son glorieux départ.
F. de Curel, La Nouvelle Idole,1899, I, 6, pp. 181-182.
20. Il n'y a aucun rapport entre la pensée de la mort et les convulsions de la chair et de l'âme qui se débat et meurt. Tout le langage humain, toute la sagesse humaine, n'est qu'un guignol de raides automates, auprès de l'éblouissement funèbre de la réalité, − ces misérables êtres de boue et de sang, dont tout le vain effort est de fixer une vie, qui pourrit, d'heure en heure. Christophe y pensait, jour et nuit. Les souvenirs de l'agonie le poursuivaient; il entendait l'horrible respiration.
R. Rolland, Jean-Christophe,Le Matin, 1904, p. 130.
21. J'étais seul dans cette grande chambre, seul avec elle, assistant au solennel envahissement de la mort, et j'écoutais en moi l'écho des battements inquiets de ce cœur qui ne voulait pas renoncer. Comme il luttait encore! J'avais été témoin déjà d'autres agonies, mais qui ne m'avaient point paru si pathétiques, soit qu'elles me semblassent plus conclusives et achever plus naturellement une vie, soit simplement que je les regardasse avec moins de fixité. Il était certain que maman ne reprendrait pas connaissance, de sorte que je ne me souciai pas d'appeler mes tantes auprès d'elle; j'étais jaloux de rester seul à la veiller. Marie et moi nous l'assistâmes dans ses derniers instants, et lorsqu'enfin son cœur cessa de battre, je sentis s'abîmer tout mon être dans un gouffre d'amour, de détresse et de liberté.
A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, pp. 611-612.
22. Des Cigales époumoné regarde le plafond avec exaltation; il a l'air parti. Kidnappé par cette expérience de l'agonie, il sue et crispe les doigts convulsivement. On dirait qu'il va mourir, ses yeux semblent montrer qu'il se trouve déjà bien loin. Non il ne mourra pas, non il ne mourra pas, des minutes passent navrantes mais peu à peu l'étouffement cesse, la carapace qui se rapetissait écrasant sa poitrine se dissout, il parvient de temps à autre à réussir une longue inspiration, des minutes passent encore, Des Cigales étendu tout de son long respire à peu près correctement, ...
R. Queneau, Loin de Rueil,1944, pp. 24-25.
23. ... en dépit ou à cause de son pathétique extrême qui se répercute jusque dans mes entrailles, l'agonie ruine toute pensée; un gros premier plan offusque la méditation; l'agonie n'est pas la fin, mais la lutte pour la fin, vers la fin; à cette lutte nous participons, aidant le moribond à lutter (comme dit Heidegger, nous n'assistons pas à la mort, nous assistons le mort), à moins que, frappés de stupeur, nous ne soyons résumés dans l'attente horrible que la mort vienne enfin rompre de son silence et de sa paix le tumulte de l'agonie : autre chose est le dernier acte, autre chose le dénouement.
P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 432.
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[Avec compl.] :
24. ... la femme naturelle (...) ne craint point la mort. Ce moment, si redouté, n'existe pas pour elle; elle n'en a point d'idée, son dernier moment est aussi serein que tous les autres; elle finit plutôt qu'elle ne meurt, mais elle se laisse aller sans se défendre; si elle a l'agonie du corps, elle n'a pas celle de l'esprit; elle est exempte des terreurs de tout genre qui, parmi nous, ne cessent d'assiéger les mourants.
P.-A. de Laclos, De l'Éducation des femmes,1803, p. 444.
25. Avant d'être fixé sur mon sort, la crainte m'est venue plus d'une fois de ne pas savoir mourir, le moment venu, (...). Les agonies de moines ou de religieuses ne sont pas toujours les plus résignées, affirme-t-on. Ce scrupule me laisse aujourd'hui en repos. J'entends bien qu'un homme sûr de lui-même, de son courage, puisse désirer faire de son agonie une chose parfaite, accomplie. Faute de mieux, la mienne sera ce qu'elle pourra, rien de plus. (...) l'agonie humaine est d'abord un acte d'amour.
G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1256.
Rem. 1. L'agonie est caractérisée par les signes cliniques suiv. : ralentissement de la circulation entraînant une irrigation cérébrale insuffisante et certaines perturbations de conscience, ou même le délire (quoique dans certains cas le malade reste en pleine possession de ses facultés mentales) (ex. 18, 19, 21); petitesse et intermittence du pouls (ex. 18); extinction graduelle de la chaleur animale depuis les extrémités jusqu'au tronc (ex. 16); trouble de la vue, aspect terne de la cornée (ex. 16, 22); abolition progressive du mouvement (ex. 17, 20, 22); altération profonde de la physionomie (ex. 16, 17); gargouillement des liquides dans l'œsophage; sécheresse et lividité des lèvres, de la langue, aphonie (ex. 16); râle trachéal (ex. 16); affaiblissement et arrêt de la respiration, puis du cœur après ultime amélioration trompeuse de l'état gén. (ex. 16, 18, 21, 22). 2. Qq. ex. stylistiquement intéressants de l'emploi plur. qui s'applique à des pers. (ex. 26) ou à des détails du corps humain (ex. 27) :
26. Nous retournons à l'hôpital à quatre heures, pour entendre la prière; et à cette voix grêle, virginale, aiguë et tout à la fois chantante de la novice à genoux, disant à Dieu les remerciements de toutes ces souffrances et de toutes ces agonies, qui se soulèvent sur leurs lits ou rampent jusqu'à l'autel, les larmes, par deux fois, nous montent aux yeux ...
E. et J. de Goncourt, Journal,déc. 1860, p. 861.
27. Le pâle émail des yeux usés
S'était fendu en agonies
Minuscules, mais infinies,
Sous les sourcils martyrisés.
Le front avait été l'éclair,
Avant que les pâles années
N'eussent rivé les destinées,
Sur ce bloc mort de morne chair.
É. Verhaeren, Les Villes tentaculaires,1895, pp. 182-183.
−
P. ext. [En parlant d'une collectivité humaine] :
28. Eh quoi! Lorsqu'un peuple est arrivé à ce point; lorsque, arraché à ses anciennes mœurs et à ses anciennes lois par une force invincible, et incertain de son existence, il endort sa lâche agonie dans les bras des jongleurs hypocrites qui le caressent pour hériter de ses dernières dépouilles; lorsque la société, si près de sa ruine, ne repose presque plus parmi les méchants que sur des intérêts, parmi les honnêtes gens que sur quelques règles de morale qui vont cesser d'exister, il sera interdit à l'homme fort qui trouve en lui, et dans l'impulsion qu'il est capable de donner aux autres, la garantie, la seule garantie des droits de l'espèce entière, ... il lui sera défendu de rassembler toutes ses facultés contre l'ascendant de la destruction, ...
Ch. Nodier, Jean Sbogar,1818, p. 167.
29. Ma vocation est définitivement pour l'hôpital où gît la vieille société. Elle fait semblant de vivre et n'en est pas moins à l'agonie. Quand elle sera expirée, elle se décomposera afin de se reproduire sous des formes nouvelles, mais il faut d'abord qu'elle succombe; la première nécessité pour les peuples, comme pour les hommes, est de mourir ...
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 243.