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CREUSER, verbe trans.

CREUSER, verbe trans.
I.− Faire une cavité en enlevant de la matière.
A.− [Le compl. d'obj. désigne la chose dans laquelle on fait ou se fait une cavité]
1. Domaine phys.Une empreinte ineffaçable, semblable à la goutte d'eau forte qui creuse la planche de cuivre en y tombant (Chênedollé, Journal,1822, p. 114).[Il] se mit à creuser le schiste avec le crochet de la lampe (Zola, Germinal,1885, p. 1573):
1. ... j'ai fermé mes deux malles (...) pour m'accorder le plaisir de déjeuner tranquillement, creusant le pot de miel et la motte de beurre avec une gourmandise méthodique. Colette, L'Entrave,1913, p. 113.
Emploi abs. Le forgeron martelle; le mineur creuse (Alain, Propos,1931, p. 998).
Emploi pronom. à sens passif. Ce vieil arbre commence à se creuser (Ac.).
P. métaph. Des remords creusaient ma conscience véreuse (Frapié, Maternelle,1904, p. 265).Des chants de grenouilles creusaient les ténèbres jusqu'à l'invisible horizon (Malraux, Voie roy.,1930, p. 86):
2. Dieu doit, en quelque manière, afin de pénétrer définitivement en nous, nous creuser, nous évider, se faire une place. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 94.
P. méton. (hypallage), littér. [Le compl. d'obj. désigne la voix] Rendre semblable au son rendu par un objet, un espace creux. Il commence l'histoire (...) et avec une certaine passion qui creuse sa voix (H. Bazin, Huile sur feu,1954, p. 280).
Emploi pronom. à sens passif. Les accents de sa voix se creusaient, se corsaient (Arnoux, Zulma,1960, p. 52).
2. Au fig., domaine de l'activité intellectuelle
a) [Le compl. d'obj. désigne le siège de l'activité de l'esprit hum.; la pers. du suj. possesseur est exprimée par un réfl. en constr. indir.] Fam. Se creuser la tête, le cerveau. Réfléchir intensément. Je me creuse le cerveau pour sortir sans la blesser de la situation ridicule où elle m'a mis (Montherl., J. filles,1936, p. 982).
[Avec ell. de tête, cerveau] Ce pauvre papa (...) il ne s'était pas creusé (Aymé, Nain,1934, p. 269).
b) [Le compl. d'obj. désigne une manifestation de l'activité de l'esprit hum.] Examiner avec attention et intérêt en allant plus loin qu'un examen superficiel, approfondir. Creuser une idée, un problème :
3. ... elle prit (...) le billet de Raoul (...); après l'avoir relu attentivement, après avoir pressuré chaque mot et creusé chaque phrase pour en faire jaillir la lumière, Mademoiselle de La Seiglière le relut encore une fois; ... Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 286.
4. Pousser l'art jusqu'au sérieux, creuser, fouiller une étude, une composition, était impossible à ce garçon [Anatole] dont la cervelle légère était toujours pleine d'idées volantes. Goncourt, Manette Salomon,1867, p. 46.
[Le compl. d'obj. désigne une pers.] Mon père s'arrête. Son regard me creuse (H. Bazin, Huile sur feu,1954p. 180).
Emploi abs. M. de Tocqueville qui n'avait guère jamais lu un livre qu'en creusant et en méditant, n'avait pas assez lu au hasard et en butinant (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 15, 1851-62, p. 95).
3. Domaine physiol.[Le compl. d'obj. désigne l'estomac, le ventre] Faire en sorte que l'estomac, le ventre, soit ou paraisse vide de nourriture. Une faim terrible lui creusait le ventre (Maupass., Bel-Ami,1885, p. 102).L'estomac creusé par la marche, j'entrais dans une pâtisserie, je mangeais une brioche (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 229).
Absol. Allons déjeuner, tout cela creuse (Anouilh, Répét.,1950, V, p. 121).
P. méton. (hypallage), littér.
Creuser qqn. Creuser l'estomac de quelqu'un. Comme elle avait grand'faim après cette course, elle mangea beaucoup, avec ce plaisir des gens que l'exercice a creusés (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Yvette, 1884, p. 541).
Creuser une faim. Creuser l'estomac de manière qu'on se sente affamé. La faim que midi creuse de ses douze coups répétés (A. Daudet, Contes lundi,1873, p. 188).L'odeur de l'étable erra dans l'air, creusant une faim douloureuse dans l'estomac vide de Michel (Colette, Duo,1934, p. 225).
B.− Faire en creusant.
1. [Le compl. d'obj. désigne une cavité] Il creusa un trou dans la neige et s'y blottit avec son chien, sous une couverture qu'il avait apportée (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, L'Auberge, 1886, p. 1080).Une taupe qui creuse patiemment son petit tunnel (Green, Journal,1934, p. 235).
Emploi pronom. à sens passif :
5. On entendait des coups terribles frappés contre les murailles du navire comme par des béliers énormes. Toujours les grands trous d'eau qui se creusaient, tout béants, partout; ... Loti, Mon frère Yves,1883, p. 136.
Emploi pronom. réfléchi. Le renard ne se creuse pas de domicile. Il trouve son temps mieux employé à la rapine qu'à la fouille (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 134).Le lent travail rotatoire d'un oursin pour se creuser un alvéole (Gide, Si le grain,1924, p. 436).
P. métaph. L'érudit exclusif et absorbé, qui creuse sa mine avec passion (Renan, Avenir sc.,1890, p. 115).L'abîme que creusent entre les hommes la santé et les infirmités (Mauriac, Journal 3,1940, p. 268).
Emploi pronom. à sens passif. Un abîme se creuse entre nous (Arnoux, Suite var.,1925, p. 172).
Expr. fig.
Creuser la tombe de (qqn). Être la cause de la mort (de quelqu'un). Celui dont l'épée au fourreau, toujours blême et glacée, a creusé maint tombeau (Quinet, Napoléon,1836, p. 268):
6. Je ne crois pas qu'il me reste un long temps à vivre : laissez-moi ces derniers jours! que je descende en paix dans le tombeau que vous m'avez creusé. Staël, Lettres inédites à L. de Narbonne,1792, p. 76.
Fam. Creuser sa tombe avec ses dents. Causer sa mort par ses excès de chère.
Creuser son sillon. Progresser continûment, avec persévérance.
2. [Le compl. d'obj. désigne une chose dont la cavité est la caractéristique essentielle] Creuser une pirogue dans un tronc d'arbre. Un homme (...) travaillait à creuser des sabots (Pourrat, Gaspard,1922, p. 31).
II.− P. ext. Rendre concave.
A.− [Le compl. d'obj. désigne la chose que l'on rend concave] Sa lourde tête creusait le traversin (Camus, Peste,1947, p. 1449):
7. ... pour ne pas travailler dans la terre ou dans la toile, elles ont préféré jaunir leur peau, creuser leur poitrine et déformer leur épaule droite : elles s'apprêtent bravement à passer trois ans dans une école normale... Colette, Claudine à l'école,1900, p. 195.
Emploi pronom. à sens passif. Le lépreux gémissait. (...) un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux vertèbres (Flaub., Trois contes,St Julien l'Hospitalier, 1877, p. 133).Un escalier vertigineux dont les marches commencent à se creuser au milieu sous tant de pieds (Verlaine, Œuvres compl.,t. 4, Mém. veuf, 1886, p. 202).
1. P. ext. Rendre ou faire paraître plus concave. Les phares de son automobile creusent les cassis de la route, accusent les bosses du macadam (Arnoux, Suite var.,1925, p. 87).Le temps creuse les traits de ce visage; deux sillons partent des ailes du nez et rejoignent les coins de la bouche (Maurois, Disraëli,1927, p. 212).
Emploi pronom. à sens passif. Le pli que j'ai au front se creuse chaque jour davantage (Renard, Journal,1894, p. 250).
Au fig. Rendre plus profond :
8. ... il n'est pas possible qu'un progrès intime ait pour résultat de creuser le déséquilibre qui déjà normalement est le mien, de me rendre plus insupportable encore le monde... Du Bos, Journal,1927, p. 241.
Emploi pronom. à sens passif. Un bonheur qui s'étend et se creuse sans fond (Noailles, Éblouiss.,1907, p. 369).
2. P. méton. (hypallage)
a) [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Accuser les creux du visage, Henri, pâle, exténué, creusé par les veilles (Sand, Meunier d'Angib.,1845, p. 133).
b) [Le compl. d'obj. désigne une étendue solide ou liquide] Faire en sorte qu'il y ait des concavités. Visage creusé par l'insomnie, la fatigue (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1118).Elle [la mer] obéit au vent qui, depuis trois jours, la soulève et la creuse (Colette, Pays. et portr.,1954, p. 100).
Emploi pronom. à sens passif. La mer se creusait tellement, que la frêle embarcation disparaissait à chaque instant (Sand, Indiana,1832, p. 266).Le pays se creuse et s'accidente légèrement (Gide, Retour Tchad,1928, p. 948).
Rare. [Le suj. désigne une concavité] Le pli profond qui creuse son front d'une tempe à l'autre, pareil à un sillon de charrue (Goncourt, Journal,1872, p. 879).
c) Situer dans une concavité. Des collines parallèles au milieu desquelles le chemin est creusé en tranchées (Barrès, Cahiers,t. 6, 1907-08, p. 170).
Spéc. Creuser les yeux. Faire en sorte que les yeux soient ou semblent très enfoncés dans les orbites. Yeux noirs creusés par les austérités, et entourés d'un cercle brun (Balzac, Curé vill.,1839, p. 42).
Emploi pronom. à sens passif. Les yeux [d'Hélène] s'étaient creusés, la bouche s'était tirée, le menton aminci (Bourget, Crime,1886, p. 295).
B.− [Le compl. d'obj. désigne une concavité] Il remarqua sur le visage de son voisin un sourire qui creusait des fossettes dans ses joues rondes (Green, Moïra,1950, p. 163).
Emploi pronom. à sens passif. Il y avait de voluptueuses mollesses dans l'attache des joues, aux deux coins de la bouche, où se creusaient de légères fossettes (Zola, M. Férat,1868, p. 9).
Rem. La plupart des dict. gén. enregistrent le subst. masc. creusoir. Outil servant à creuser la table d'un instrument de musique.
Prononc. et Orth. : [kʀøze], (je) creuse [kʀø:z]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1172 « rendre creux en vidant de sa substance » crosé (Chr. de Troie, Chevalier au Lion, éd. M. Roques, 437); 1685 au fig. « approfondir » (La Fontaine, Fables, XII, 23, 15 : creusant dans les sujets et fort d'expériences); 2. 1remoitié xiiies. « faire quelque chose en creusant » (Pean Gatineau, S. Martin, 5783 ds T.-L.); 1796 (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, p. 43 : Les vallées se creuserent); 3. verbe pronom. 1671 fig. (Mmede Sévigné, Lettres, éd. E. Regnier, II, p. 129 : ma tête et mon esprit se creusent). Dér. de creux*; dés. puis -er. Fréq. abs. littér. : 2 041. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 696, b) 3 723; xxes. : a) 2 813, b) 2 692.
DÉR. 1.
Creuseur, subst. masc.Celui qui creuse. Les assassins, creuseurs de fosses à la hâte (Hugo, Dieu,1885, p. 132).Les creuseurs de puits (Alain, Propos,1934, p. 1195). [kʀøzœ:ʀ]. 1reattest. xives. (Grandes Chroniques de France, IV, 3, P. Paris ds DG : les creuseurs qui minoient les murs); de creuser, suff. -eur2*. Fréq. abs. littér. : 3.
2.
Creusure, subst. fém.,technol. Creux. Dans le cas de creusure pratiquée dans une surface, on comprendra facilement que, une fois cette profondeur réglée par la longueur ou la course de l'outil, elle sera toujours la même dans le cours de ce travail (Nosban, Manuel menuisier,t. 2, 1857, p. 238) Dernière transcr. ds DG : kreú-zūr. 1resattest. 1547 « creux, cavité » (trad. de Vitruve, 136 ds Hug.); 1754 terme d'horlog. (Encyclop. t. 4); de creuser, suff. -ure*.
BBG. − André (P.). Le Vocab. du violoniste. Vie Lang. 1972, p. 685; 1973, p. 51. − Gottsch. Redens. 1930, p. 134. − Gougenheim (G.). Chercher et fouiller. In : [Mél. Harmer (L.C.)]. Sydney, 1970, p. 22. − Quem. 2es. t. 2 1971.

CREUSÉ, ÉE, part. passé et adj.

CREUSÉ, ÉE, part. passé et adj.
I.− Part. passé de creuser*.
II.− Emploi adj.
A.− [En parlant d'une partie du visage] Devenu (très) creux, d'une profondeur plus grande que la moyenne. Cf. creux I B 1.Orbites creusées. Les grands traits creusés de son visage (Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 155).Ses tempes creusées, ses joues rentrées montraient les formes intérieures du visage (Balzac, Lys,1836, p. 298).
P. ext. (hypallage). [En parlant des yeux] Qui sont ou semblent se trouver au fond d'orbites très creuses. Une femme très maigre, les yeux très creusés (Goncourt, Journal,1866, p. 260).
B.− P. méton.
1. [En parlant d'un visage] Qui présente des creux accusés. Son visage creusé, sa silhouette émaciée (Bourget, Disciple,1889, p. 188).
2. P. ext. (hypallage). [En parlant d'une pers.] Qui a le visage creusé :
... une jeune vierge promue à la dignité de Lorette, jouant avec les bijoux et les roses, et maintenant, flétrie et creusée, subissant sur la paille les conséquences de sa légèreté. Baudelaire, Salon,1846, p. 174.
Fréq. abs. littér. : 1 389. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 367, b) 2 270; xxes. : a) 1 767, b) 1 608. Bbg. Gohin 1903, p. 377.

CREUX, EUSE, adj. et subst. masc.

CREUX, EUSE, adj. et subst. masc.
I.− Emploi adj.
A.− [Creux qualifie l'intérieur du déterminé] Qui n'est pas plein.
1. Qui a une cavité. Arbre creux; charge* creuse; dent* creuse. Une pile creuse de corde roulée (Schwob, Monelle,1894, p. 54).Flûte creuse (Samain, Chariot,1900, p. 72):
1. ... des murs doubles, des murs qu'on croyait pleins et épais, et qui sont creux comme des armoires, avec une espèce de corridor noir, où on ne trouve rien que de la poussière... Colette, Claudine à l'école,1900, p. 79.
Au fig. Avoir le nez creux. Avoir le nez très fin, beaucoup de flair.
P. méton. [En parlant d'un son] Rendu par un objet, un espace creux. La sonorité creuse et sinistrement retentissante d'une maison déserte (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 181).
P. ext. [En parlant de la voix] Semblable au son rendu par un objet, un espace creux. Une voix creuse qui semblait le mugissement du vent dans une caverne (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Dimanches bourgeois Paris, 1880, p. 335).Grosse toux creuse (A. Daudet, Évangéliste,1883, p. 278):
2. Des gerbes de voix (...) fusaient avec les sons presque verts des harmonicas, avec les timbres pointus des cristaux qu'on brise. Appuyées sur le grondement contenu de l'orgue, étayées par des basses si creuses qu'elles semblaient comme descendues en elles-mêmes, comme souterraines, elles jaillissaient, scandant le verset De profundis clamavi ad te... Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 5.
[Avec ell. d'un déterminé] :
3. ... la sirène (...) crispant les nerfs, redescend au plus creux pour repartir sur son élan, pour atteindre de nouveau ces notes haut perchées, pire que tous les cris. H. Bazin, L'Huile sur le feu,1954, p. 212.
Emploi adv. Sonner creux. Sonner à la manière d'un objet, d'un espace creux (cf. infra II A 1, p. méton.). Les battements sonnant creux des marteaux sur les futailles vides (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 291).
Au fig. Manquer d'intérêt, de valeur :
4. C'est un grand malheur, quand on a de l'instruction, de l'imagination et du talent, de ne pas avoir le cœur plein. Car, sans cette dernière condition, si l'on se met à écrire, c'est la tête seule qui nous sert de guide, et ce que nous produisons sonne toujours creux, manque de solidité et ne dure pas. Delécluze, Journal,1827, p. 371.
2. Dépourvu de son contenu habituel, attendu.
a) [En parlant de choses]
Buisson* creux.
[En parlant de l'estomac, du ventre] Qui n'est pas rempli de nourriture. Avoir le ventre creux. Avoir faim :
5. ... il m'arriva bien des fois de rentrer chez moi sans avoir mangé, n'ayant pour me réconforter que l'espoir de trouver dans un placard un reste de pain et de fromage. (...) S'ils n'y étaient pas, je me couchais l'estomac creux... Billy, Introïbo,1939, p. 66.
[En parlant d'une durée] Pendant laquelle il ne se passe pas ou peu d'événements importants, pendant laquelle il n'y a pas ou peu d'activité. Heures creuses des repas :
6. ... la duchesse de Langeais menait cette vie creuse, exclusivement remplie par le bal, par les visites faites pour le bal, par des triomphes sans objet, par des passions éphémères, nées et mortes pendant une soirée. Balzac, La Duchesse de Langeais,1834, p. 234.
7. Comme le serpent de mer, Paris, port-de-mer, est encore un de ces sujets qui passent en première page, les jours creux, au mois d'août, quand les journaux n'ont rien à monter en vedette... Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 303.
b) [En parlant du siège de l'activité de l'esprit hum.] Dépourvu d'intelligence. Cerveau creux, cervelle creuse.
P. méton. (hypallage).
[En parlant d'une pers.] Je ne suis pas encore assez creux pour me faire écouter sans rien dire. (Sand, Elle et lui,1859, p. 133):
8. ... la torpeur morale, les habitudes infantiles, les raisonnements primaires et les préoccupations mesquines, tout cela est en somme assez normal chez une femme sans tempérament, sans curiosité, creuse et dont les seuls scrupules de conscience sont exclusivement d'ordre hygiénique. Cendrars, Les Confessions de Dan Yack,1929, p. 314.
[En parlant d'une manifestation de l'activité de l'esprit hum.] Vain. Les châteaux en Espagne des songeries creuses (Goncourt, Journal,1894, p. 682).Beaucoup de verbiage, une rhétorique bien creuse et bien essoufflée (Bremond, Hist. sent. relig.,t. 3, 1921, p. 572).
Emploi adv. Songer creux. Songer à des choses vaines, chimériques (cf. songe* creux). Il y a longtemps que Poil de Carotte, rêveur, observe la plus haute feuille du grand peuplier. Il songe creux et attend qu'elle remue (Renard, Poil Carotte,1894, p. 269).
c) [En parlant d'un ensemble de pers.] :
9. ... s'il se produisait un vide [dans l'alignement des Cahiers] Péguy ne disait pas : « Il y a un vide » il disait, comme au régiment : « Il y a une fille creuse »... Tharaud, Notre cher Péguy,1926, p. 216.
Classes creuses. Classes d'âge dont les effectifs sont anormalement bas. Les classes creuses de l'après-guerre.
3. Viande creuse. Aliment qui n'est pas consistant, qui ne nourrit pas. La tripe est une viande creuse qui ne soutient pas (Vallès, Réfract.,1865, p. 43).
P. métaph. ou au fig. Mon éloquence et ma réputation sont comme une omelette soufflée; un ouvrier grossier trouve que c'est viande creuse (Stendhal, L. Leuwen,t. 3, 1836, p. 278):
10. ... le renoncement, c'est très beau; n'empêche que si l'humanité ne vivait que de cette viande creuse, elle serait encore dans les cavernes, elle n'aurait rien conquis... Duhamel, Chronique des Pasquier,La Nuit de la Saint-Jean, 1935, p. 192.
Loc. Se repaître de viandes creuses. Se repaître de chimères.
B.− P. ext. [Creux qualifie la forme extérieure de l'obj.]
1. Concave. Assiette creuse. Sa joue était si creuse que l'on comptait ses dents (Gautier, Comédie mort,1838, p. 34).Stefany était grand et maigre; la poitrine creuse, les épaules pointues (Martin du G., Thib.,Été 1914, 1936, p. 392).Large jupe à plis creux (Beauvoir, Mém. j. fille rangée,1958, p. 152).
P. ext., vieilli ou littér. Profond. Tous deux entraient dans l'eau, qui n'était point creuse en cet endroit (Sand, Maîtres sonneurs,1853, p. 367).
[Avec ell. d'un déterminé] La plupart des châteaux de la Vallée-Noire (...) sont situés dans le plus creux des vallons, au lieu d'être placés sur les hauteurs (Sand, Beaux MM. Bois-Doré,t. 2, 1858, p. 41).
Au fig. Au plus creux de son sommeil (Bernanos, Crime,1935, p. 738).Il sourit à son fils, d'un sourire triste parti de l'intérieur, du plus creux de sa tendresse pour cette larve (H. Bazin, Huile sur feu,1954, p. 153).
En partic. [En parlant d'une partie du corps hum.] Deux rides creuses et méchantes se tordaient sur son visage, de part et d'autre de sa bouche (Duhamel, Maîtres,1937, p. 232).
Orbites creuses. Orbites qui sont ou qui semblent profondes, très concaves. Sa tête de mort [de Modigliani], ses beaux yeux fixes au fond de ses orbites creuses et bitumées (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 199).
2. P. méton.
a) [En parlant d'une étendue] Qui présente des concavités. Des bocages creux (Châteaubriant, Lourdines,1911, p. 14).
En partic. Mer creuse. Mer agitée. [Les] jeux turbulents de la mer creuse (Claudel, Tête d'Or,1890, p. 149).
b) Qui est situé dans une concavité. Au tournant creux du ruisseau (Gide, Nourr. terr.,1897, p. 205).Un chemin creux (...) bordé de ces arbres de coupe dont les puissantes racines ongulaires font corps avec le talus (Châteaubriant, Lourdines,1911p. 33).
Spéc. Yeux creux. Yeux qui sont ou qui semblent très enfoncés dans les orbites. Une famille dont les joues hâves et les yeux creux annoncent l'ardeur de la faim et de tous les besoins (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 376).
II.− Subst. masc.
A.− [Le creux concerne l'intérieur d'un obj.] Ce qui n'est pas plein.
1. [Le mot est suivi d'un compl. du nom qui indique sa situation] Cavité. À l'équinoxe d'automne (...) la marmotte se cache et s'endort dans le creux des rochers (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 376).Les vieillards causaient au creux des portes (Gide, Nourr. terr.,1897, p. 236).
Spéc. MAR. Creux d'un navire. ,,Hauteur prise à mi-longueur du navire, entre le pont supérieur et le fond de cale`` (Gruss 1952).
P. méton., emploi abs.
Sonner le creux. Sonner à la manière d'un objet, d'un espace creux (cf. supra I A 1 p. méton.). En vain il sonda la muraille avec l'espoir de l'entendre sonner le creux (Verne, 500 millions,1879, p. 233).
Au fig. Manquer d'intérêt, de valeur. L'absolu auquel je me sacrifiais me parut vide et absurde. Mon dieu philosophique sonna le creux (Estaunié, Empreinte,1896, p. 264).
Fam. Voix basse et profonde, semblable au son rendu par un objet, un espace creux :
11. ... Goujet (...) avait ramené le silence et le respect avec les Adieux d'Abd-El-Kader, qu'il grondait de sa voix de basse. Celui-là possédait un creux solide, par exemple!... Zola, L'Assommoir,1877, p. 587.
2. [Le mot est suivi ou non d'un compl. du nom] Manque d'une chose, d'un contenu habituel, attendu. Le navire se trouvait dans un creux de vent (Druon, Poisons couronne,1956, p. 30):
12. ... quand nous autres, gens du front, intoxiqués maintenant par la guerre, nous demeurons un certain temps dans une situation à peu près paisible, sans secousses violentes, nous nous sentons inquiets, inoccupés. Nous avons une impression de creux. Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1938, p. 208.
En partic.
Emploi abs. [Le mot peut être suivi d'un compl. circ. désignant l'estomac] Manque de nourriture dans l'estomac, le ventre; sensation de faim :
13. ... Loiseau annonça que décidément il se sentait un rude creux dans l'estomac. Tout le monde souffrait comme lui depuis longtemps, et le violent besoin de manger, augmentant toujours, avait tué les conversations. Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Boule de suif, 1880, p. 124.
[Le mot est suivi d'un compl. du nom ou d'un compl. circ.] Durée pendant laquelle il ne se passe pas ou peu d'événements importants, pendant laquelle il n'y a pas ou peu d'activité. Le creux de l'heure des repas; un creux dans la circulation.
[Le mot est suivi d'un compl. du nom qui désigne une manifestation de l'activité de l'esprit hum.] Manque de valeur, d'intérêt; vanité. Vrai Diogène, il [M. Pinault] voyait le creux d'une foule de conventions qui étaient des articles de foi pour mon excellent directeur (Renan, Souv. enfance,1883, p. 243).
B.− P. ext. [Le creux concerne la forme extérieure d'un obj.]
1. [Le mot est suivi d'un compl. du nom ou d'un adj. qui indique sa situation] Concavité. Creux poplité, creux de l'épaule. Antoine se glissa près d'elle, s'étendit sur la banquette et posa la nuque au creux de sa robe (Martin du G., Thib.,Belle sais., 1923, p. 1023).Je sentais, au creux des reins, le frisson de la peur (Sartre, Mots,1964, p. 160).
Emploi abs. En creux. En formant une concavité. Anton. en relief.Ses yeux (...) s'arrêtèrent un moment sur la place du lit où se marquait encore en creux l'empreinte de ses bras et de son dos (Bernanos, Joie,1929, p. 687):
14. La gravure en creux, qui se fait ordinairement sur cuivre ou sur acier, consiste à laisser intactes les parties claires du dessin et à ne fouiller dans la plaque de métal que les contours et les parties ombrées. Ch. Blanc, Grammaire des arts du dessin,1876, p. 617.
En partic. [Le mot est suivi d'un compl. du nom qui désigne une partie du corps hum.]
Creux de l'estomac. Concavité extérieure située sous le sternum, au niveau de l'estomac. L'insupportable oppression qu'elle sentit au creux de l'estomac (Barrès, Appel soldat,1900, p. 173).Pan, pan, aussi sec, mon poing dans chaque œil, et toc, mon gauche dans le creux de l'estomac (Queneau, Pierrot,1942, p. 19).
Creux de la main. Concavité formée par la paume de la main (à moitié) repliée. Boire dans le creux de sa main.
Tenir au creux de la main. Être petit, sans importance :
15. ... je préfère mille fois la petite étude de M. Vibert que nous avons vue à l'exposition des aquarellistes. Ce n'est rien si vous voulez, cela tiendrait dans le creux de la main, mais il y a de l'esprit jusqu'au bout des ongles: ... Proust, Le Côté de Guermantes 2,1921, p. 501.
Être dans le creux de la main (de qqn). Être à la disposition, à la portée (de quelqu'un). Toute la science humaine est à toi. Toute la pensée humaine est là, dans le creux de ta main (Psichari, Voy. centur.,1914, p. 140).
2. P. méton.
a) [Le mot est suivi d'un compl. du nom] Partie la plus profonde d'une concavité. Une petite ville gracieusement logée au creux d'une vallée bocagère (Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 131).Comment peut-on vivre dans la ville de sel, au creux de cette cuvette pleine de chaleur blanche (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1581).
P. métaph. ou au fig. Un oiseau au creux de l'orage (Bernanos, Joie,1929, p. 604).Au creux de la nuit tôt refermée (Gracq, Beau tén.,1945, p. 172):
16. la peste. − (...) Il me faut être le maître de tout ou je ne le suis de rien. Si tu m'échappes, la ville m'échappe. C'est la règle. Une vieille règle dont je ne sais d'où elle vient. diego. − Je le sais, moi! elle vient du creux des âges, elle est plus grande que toi, plus haute que tes gibets, c'est la règle de nature. Camus, L'État de siège,1948, p. 289.
En partic. Creux de la vague. La plus profonde incertitude, dépression. Être au creux de la vague. Nous sommes tous nés dans un creux de vague : qui sait l'horizon vrai? qui sait la terre? (Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 281).Il a la sensation de descendre au creux de la vague (Bernanos, MmeDargent,1922, p. 11).
b) MAR. [Le mot est suivi ou non d'un compl. du nom] Creux (de la mer). ,,Profondeur entre deux lames, mesurée de la crête à la base`` (Gruss 1952). ,,Une mer d'un mètre de creux`` (Gruss 1952).
c) Emploi abs., POT.
Ensemble des objets creux. Anton. platerie :
17. Le coulage (...) n'était employé d'abord que pour ce qu'on appelle le creux, c'est-à-dire les tasses, pots à sucre, etc. A. Brongniart, Traité des arts céramiques,1844, p. 150.
Moule creux. Mes précieux moules (ou creux) en soufre de couleur d'ardoise (Stendhal, H. Brulard,t. 1, 1836, p. 227).Le moulage à creux perdu (A. Brongniart, Traité des arts céramiques,1844p. 127).
Rem. On rencontre ds la docum. l'adv. creusement. D'une manière creuse (supra I A 2 b). Je m'en irais aux glaciers du Rhône; je parlerais la langue de Schiller à ma maîtresse, et je rêverais creusement la liberté germanique (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 116).
Prononc. et Orth. : [kʀø], fém. [-ø:z]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. I. Adj. 1. ca 1180 cruose « qui est vide, creusé à l'intérieur » (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Bisclavret, 93); p. ext. a) 1474 « qui a été vidé de sa substance » ici « qui ne possède rien » (G. Chastellain ds Heilemann Chastellain, p. 223); 1611 viande creuse « peu substantielle » (Cotgr.); 1669 drap creux « imparfait dans son tissage » (Règlement sur les manufactures, art. 41 ds Littré); b) xves. adv. songer creux (J. Coquillart, éd. M. J. Freeman, Blason des armes et des dames, 315); 1611 teste creuse (Cotgr.); c) 1669 « vide » (Pascal, Pensées, IV, 1 d'apr. DG : Que le cœur de l'homme est creux); 2. 1174-77 « qui présente une concavité » (Renart, éd. M. Roques, VII a, 5925 : jusqu'a l'entree d'un val crues); p. ext. 1269-78 « creusé par la maigreur » (J. de Meun, Rose, éd. Lecoy, 10136), exemple isolé; av. 1613 (Regnier, Epit. 3 ds DG : En mon lit malade, les yeux creux). II. Subst. 1. ca 1121 « cavité creusée, plus ou moins profonde » (Benoit, Voyage de St Brendan, éd. E. G. Waters, 637); fig. a) 1690 mus. (Fur. : avoir un beau creux de voix); b) av. 1697 au fig. « vide » (Bossuet, Lettre à M. Santeul ds DG : Je trouve un grand creux dans ces fictions de l'esprit humain); 2. 1549 le creux de l'œil (Est.); 1559 le creux de la main (Amyot, Crassus, 35 ds Littré); 1611 le creux de l'estomac (Cotgr.); 1690 mar. (Fur.). L'aire du mot en gallo-roman dans les parlers de l'Italie septentrionale et en rhétorom. rend vraisemblable l'orig. celtique d'un lat. *crosus. Fréq. abs. littér. : 3 023. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 890, b) 4 167; xxes. : a) 4 990, b) 5 156. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 76, 188, 283. − Grundt (L. O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen, 1972, p. 335; pp. 342-344. − Quem. Fichier (s.v. creusement).Sain. Arg. 1972 [1907], p. 61, 72, 81. − Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 102.

Quelques définitions tirées au hasard dans le dictionnaire : 

·le trésor de la langue française, un dictionnaire français·