ABBAYE, subst. fém.

ABBAYE, subst. fém.
RELIG. Monastère placé sous la direction d'un abbé ou d'une abesse.
A.− La communauté religieuse d'hommes ou de femmes vivant dans le monastère :
1. Mais n'êtes-vous pas de la classe de ceux parmi lesquels on choisit les chefs d'abbayes, les prélats, les évêques? J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute-Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 3, 1801, p. 27.
2. Cette antique église, agrandie et embellie de siècle en siècle, où se trouvait la sépulture de l'apôtre des bourguignons, appartenait à une puissante abbaye qui avait joué un rôle important dans l'histoire de Bourgogne; ... P. de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois,t. 1, 1824, p. 118.
3. Voyez le père Étienne qui est cellérier de l'abbaye et hôtelier, il est aussi sacristain et sonneur de cloches; moi, je suis également premier chantre et professeur de plain-chant. J.-K. Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 308.
B.− Le bâtiment occupé actuellement ou autrefois par une communauté religieuse :
4. ... cette antique abbaye où vivent de saintes filles, ... B. de Krüdener, Valérie,préf. 1803, p. 125.
5. Les Brabançons étaient logés à Saint-Denis, et pillèrent cruellement la ville; les habitants se réfugièrent dans l'abbaye, et ces barbares eurent l'insolence de menacer le monastère du saint apôtre de la Gaule et de la sépulture royale; il fallut en fermer le pont-levis, et faire demander des hommes au roi pour le garder. P. de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois,t. 3, 1824, p. 182.
6. On continua donc à faire bonne chère tant qu'on put, et surtout dans les abbayes, couvents et moutiers, ... J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût,1825, p. 273.
7. Il a trouvé moyen, sans un sou, de relever l'abbaye de Solesmes, sans s'interrompre pour cela, et sans quitter une rude partie entre lui et tous les évêques de France au sujet de la liturgie ancienne qu'il a réussi à faire rétablir dans toute sa pureté, presque partout; ... Ph.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Correspondance générale,1862, p. 51.
8. Il faudrait, se disait-il, fonder une abbaye où l'on pourrait travailler dans une bonne bibliothèque, à l'aise; on y serait quelques-uns, avec une nourriture possible, du tabac à volonté, la permission d'aller faire un tour sur le quai, de loin en loin. Et il rit; mais ce ne serait pas un couvent alors! ou ce serait un couvent de dominicains, avec les dîners en ville et le flirt de la prédication en moins! J.-K. Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 199.
9. Les femmes! la règle est formelle, si elles mettent seulement le bout du pied dans la clôture d'une abbaye, elles sont frappées d'excommunication, ipso facto, par ce fait seul... J.-K. Huysmans, L'Oblat,t. 1, 1903, p. 125.
10. ... Bernard Tumaspacher, comte d'Armagnac, en expiation d'un meurtre politique, bâtit, à Saint-Mont, une abbaye et s'y fit moine bénédictin. J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 2, 1928, p. 271.
C.− P. ext. Le monastère envisagé du point de vue de la part de ses revenus constituant un bénéfice ecclésiastique donné à un abbé séculier ou commendataire :
11. Tant que notre pays était resté sous la domination des ducs, les droits de Son Altesse, ceux des seigneurs, abbayes, prieurés, couvents d'hommes et de femmes, suffisaient déjà pour nous accabler; ... Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 1, 1870, p. 13.
12. L'abbaye de Jouarre était due comme un fief aux grands services que sa famille avait rendus à l'État. E. Renan, Drames philosophiques,L'Abbesse de Jouarre, 1886, p. 627.
13. M. Pierrefitte croit que Chapelain qui a eu pendant quatre années un bénéfice (l'abbaye d'Erlange, près de Darney) et qui était intéressé est venu dans le pays. M. Barrès, Mes Cahiers,t. 5, 1906, p. 199.
D.− Emplois arg. (gén. comme base de syntagme)
1. Maison de tolérance :
14. abbaye des s'offre-à-tous, s. f. [= Maison publique] (...). Cette expression, qui sort du Romancero, est toujours employée par le peuple. A. Delvau, Dict. de la langue verte,Argots parisiens comparés, 1866, p. 2.
15. Abbaye de s'offre à tous. Maison de tolérance du temps jadis. L. Rigaud, Dict. du jargon parisien,L'Argot ancien et moderne, 1878, p. 2.
2. Refuge de voleurs, de vagabonds :
16. Abbaye. Réduit, briqueterie ou four à chaux dans lequel les voleurs et les vagabonds se réfugient la nuit. Les Buttes-Chaumont étaient jadis une grande Abbaye. France1907.
3. Prison :
17. Prison (...) abbaye de sots bougres. Dict. d'argot, ou la Langue des voleurs dévoilée, 1847, p. 229.
4. Guillotine :
18. Abbaye de monte à regret. Potence, guillotine. Raban et Marco Saint-Hilaire, Mémoires d'un forçat, ou Vidocq dévoilé,t. 4, 1828-1829, p. 307.
19. Il a fait changer ma peine; au lieu d'aller à l'abbaye de monte-à-regret, j'en ai eu pour quinze années de vie. E. Sue, Les Mystères de Paris,1844, p. 23.
20. Les voleurs appellent encore l'échafaud Abbaye de Saint Pierre, la guillotine étant autrefois placée sur cinq pierres, devant la Roquette. France1907.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abei]. Grég. 1923, Barbeau-Rhode 1930 et Harrap's 1963, notent [ε] ouvert. Par ailleurs, Passy 1914, Grég. 1923, Barbeau-Rhode 1930 et Harrap's 1962 transcrivent le mot avec yod : [abeji]. Pour Kamm. 1964, p. 126, l'y gr. dans abbaye ,,se décompose en deux i dont le premier altère la voyelle précédente, le second gardant sa valeur propre (...). En pratique, se développe un léger yod avant le deuxième, i.`` Cf. aussi Mart. Comment prononce 1913, p. 189-190, et Rouss.-Lacl. 1927, p. 152-153. D'apr. Nyrop Phonét. 1963, § 186, la graph. ay se prononce [ei] ou [eji] dans pays, paysan, abbaye. Enq. : /abei/. 2. Dér. et composés : cf. abbé. 3. Hist. − Le mot apparaît sous sa forme actuelle dès le xives. (cf. ex. T.-L.) et ds les dict. dep. Nicot 1606, sauf Rich. 1680 et 1706 qui note abaïe.
ÉTYMOL. − Corresp. rom. : a.prov. abadia; n.prov. abadie; ital. port. abbadia, abbazìa; roum. abatie. Fin xies. (?) terme relig. « monastère gouverné par un abbé » (Lois de Guillaume, 1 ds Gdf. Compl. : Se ces fust u evesqué u abbeie); ca 1170 « id. » (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. Foerster, 3139 : ... une jornee tot au tor N'avoit chastel, vile ne tor, Ne meison fort ne abeïe, Ospital ne herbergerie) 1165; « id. » (Chrétien de Troyes, La vie de Guillaume d'Angleterre, éd. Wilmotte, 1137 : Puis issi fors de m'abeïe [ : vie]). Du lat. eccl. abbātiā, attesté dep. 651 au sens de « charge, dignité d'abbé », Prou-Vidier, Rec. des ch. de S. Benoît-s-Loire, I, no1 ds Nierm., s.v. : Dum me divina pietas basilicae domni Aniani... abbatiae sublimatum honore ejusdem loci custodem esse instituit; dep. 798 (?) au sens de « monastère placé sous la direction d'un abbé », Concil. Rispac., Conc. II p. 196 ibid. : [veniant] de illa vestra abbatia illos proceres monachos, quantos vobis videtur (attest. de 710 et 720 qualifiées d'interpolation par Nierm.); dep. 825-830, au sens « ensemble des domaines et des autres droits profitables attachés à la fonction d'abbé », Epp. V, p. 290, ibid. : [Abbas] ipsius monasterii monachis portionem de abbatia dedit, ut regulariter viverent. − Dict. d'archéol. chrét. et de liturg., s.v.; Arch. f. lat. Lex., t. II, p. 444. HIST. − Apparu à la fin du xies. (cf. étymol.), le mot abbaye, attribué d'abord aux monastères fondés par St Martin au ives. à Ligugé et à Marmoutiers et par St Honorat au ves. à Lérins, s'est maintenu dans la lang. contemp. pour les 2 accept. A et B. La distinction établie sous l'Anc. Régime entre l'abbaye en règle, soumise à l'autorité d'un relig., et l'abbaye en commende dont un eccl. séculier ou un laïc peut être titulaire figure toujours dans la lang. contemp. par all. au passé et à titre d'arch. de civilisation, par suite de l'abolition de la commende dep. 1789. Il en est de même pour abbaye au sens C. Pour les sens groupés sous D, cf. Esn. et FEW, XXIV : « bordel » dès 1389 (charte fr. cf. Du Cange s.v. abbas et T.-L.) dans l'expr. la grant abbaye (de Toulouse); « refuge de voleurs » cf. abbaye ruffante « four chaud à pain » public 1596 (Esn.); « potence » 1628 (Esn.); monte à rebours (d'apr. la manière de monter sur la potence) 1836 (Esn.).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 937. Fréq. rel. litt. : xixes : a) 2 088, b) 1 151; xxes. : a) 1 759, b) 527.
BBG. − Barr. 1967. − Bouillet 1859. − Chabat 1875-76. − Dainv. 1964. − Lep. 1948. − Marcel 1938. − Théol. cath. 1909.

Quelques définitions tirées au hasard dans le dictionnaire : 

·le trésor de la langue française, un dictionnaire français·