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SEN, subst. masc.

SEN, subst. masc.
Unité monétaire divisionnaire du Japon et de divers pays d'Extrême-Orient comme le Cambodge, l'Indonésie. Le yen (au Japon), la roupie (en Indonésie) valent 100 sens. (Dict. xxes.).
Prononc.: [sεn]. Homon. cène, saine, scène. Plur. sens. Étymol. et Hist. 1878 (Lar. 19eSuppl., p. 1001b, s.v. Japon). Mot japonais. Att. en angl. dès 1802 sous la forme seni et en 1875 sous la forme sen (NED).

SENS1, subst. masc.

SENS1, subst. masc.
I. − [Faculté, capacité]
A. − Dans le domaine physique, de la sensibilité, des sensations
1. Au sing. ou au plur. Faculté d'éprouver des sensations; système récepteur d'une catégorie spécifique de sensations. Les cinq sens; sens externes, internes; sens délicats; organes des sens; erreur des sens; acuité, finesse des sens; sentir par tous les sens; objets perçus par les sens. La mauvaise odeur, pour vous, c'est du chinois. Le sens olfactif est atrophié chez l'homme moderne (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1439):
1. Lorsque, du pont du navire où je suis embarqué, mes yeux voient fuir les arbres et les maisons du rivage, c'est une illusion des sens, une apparence fausse et dont je reconnais immédiatement la fausseté, parce que j'ai des motifs d'être sûr de l'immobilité du rivage. Au contraire, mes sens ne me trompent pas lorsqu'ils me portent à croire au mouvement du passager qui se promène près de moi sur le pont: ce mouvement a bien toute la réalité extérieure que je suis porté à lui attribuer, sur le témoignage de mes sens... Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 7.
Sens chromatique. ,,Faculté de distinguer les différentes couleurs, grâce à la sensibilité rétinienne`` (Méd. Biol. t. 3 1972).
Sens kinesthésique. Sens permettant d'apprécier les mouvements et les postures du corps. L'ataxie procède surtout de l'atteinte (...) du sens kinesthésique (Aviragnet, Weill-Hallé, Marie dsNouv. Traité Méd.fasc. 21928, p. 699).
Sens musculaire. Sensibilité profonde du muscle jouant un rôle important dans le tonus musculaire. Le sens musculaire est aujourd'hui incontestable et généralement incontesté; c'est lui qui nous permet de régler nos divers mouvements, et, par la conscience qu'il nous donne du degré de contraction musculaire, de modérer ou d'augmenter l'énergie de cette contraction selon le but à atteindre (Tscheuschner, Prévis. temps, 1919, p. 5).
Locutions
OCCULT., PARAPSYCHOL. (Avoir un) sixième sens. Aptitude à percevoir des messages occultes. Mesmer a connu l'existence chez l'homme d'un « sixième sens », comme il nomme déjà la faculté de connaissance paranormale (Amadou, Parapsychol., 1954, p. 93).La vibration du cerveau de l'autre, perçue dans la télépathie par mon propre cerveau, n'est qu'une des innombrables réalités du monde perceptibles à notre sixième sens (Amadou, Parapsychol., 1954, p. 246).
P. ext. Aptitude à percevoir ce que d'autres ne perçoivent pas, à avoir des pressentiments, à deviner quelque chose. Dans la vie de toutes les femmes, il est un moment où elles comprennent leur destinée (...) ce n'est pas toujours un homme choisi par quelque regard involontaire et furtif qui réveille leur sixième sens endormi (Balzac, Curé vill., 1839, p. 17).Une espèce d'horreur sacrée dénonçait comme un grouillement de vies obscures. Tandis que Mouchette, une fois de plus, se sentait entraînée malgré sa volonté et sa raison, c'était cette horreur même qui vivait et pensait pour elle. Car, à la frontière du monde invisible, l'angoisse est un sixième sens, et douleur et perception ne font qu'un (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 205).
Reprendre (l'usage de) ses sens. Revenir à soi, reprendre connaissance (après un évanouissement). Il ne fut sans doute qu'assommé. Il ne tardera pas à reprendre ses sens (Audiberti, Mal court, 1947, i, p. 148).
P. ext. Reprendre ses esprits (après une émotion violente). Il allait devant lui, marchant sous une poussée de fureur, sous un souffle d'exaltation, l'esprit emporté par son idée fixe. Tout à coup, il se trouva devant la gare. Un train partait. Il monta dedans. Durant la route, sa colère s'apaisa, il reprit ses sens (Maupass., Contes et nouv., t. 2, M. Parent, 1886, p. 625).
Tomber sous les sens (rare), tomber sous le sens. Être directement perçu par les sens. L'ordre des faits physiques et des réalités qui tombent sous les sens (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 45).Le langage comporte − comme les grammaires l'enseignent, et les dictionnaires, ne fût-ce que par leur aspect, le confirment − d'une part des signes qui tombent sous le sens: soit bruit, son, image écrite ou tactile. De l'autre, des idées, associées à ces signes en telle sorte que le signe, sitôt apparu, les évoque (Paulhan, Fleurs Tarbes, 1941, p. 71).
Au fig. Aller de soi, s'imposer comme une évidence. Je l'aimais! C'est évident! Ça tombait sous les sens (Laforgue, Moral. légend., 1887, p. 49).Lui, du moins, avait des moyens d'expression à lui, bons ou mauvais, mais à lui, il avait son langage, son point de vue, sa sensibilité... Il n'allait pas à pieds joints sauter dans la manière de Matisse, qui a une raison d'être quand on a parcouru le chemin de Matisse, quand elle est un aboutissement... Cela tombe sous le sens, voyons! (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 196).
Spécialement
RELIG., au sing. coll., vx. Sensibilité corporelle, individu sensible. Peine du sens. Peine du feu (en enfer). (Dict. xixeet xxes.).
PHILOS. [Chez Aristote] Sens commun. Sens central, faculté mettant en commun et coordonnant les données de tous les sens en les rapportant à un même objet et permettant ainsi la perception de celui-ci. Synon. sensorium.Toute sensation s'accomplit (...) par une communication de l'objet au cerveau (...). La partie antérieure du viscère cérébral est la source commune de la sensibilité. Là réside ce sens commun, où toutes les impressions reçues par les organes se ramènent et se comparent (Ozanam, Philos. Dante, 1838, p. 133).Il n'existe pas de sensorium, ou sens commun, autre que la conscience elle-même, et la conscience n'a pas d'autre siége, dans la sensation, que le lieu où elle la rapporte (Renouvier, Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p. viii).
2. Au plur. Impulsion, besoin organique dont la satisfaction est source de plaisir pour l'individu. Sens blasés, usés; plaisir des sens; transport des sens; échauffer, exciter les sens. Il s'installa dans le village, il y passa cinq jours dans une joie perpétuelle. Il était comme un homme qui sort d'un long jeûne, et qui dévore. De tous ses sens affamés, il mangeait la splendide lumière (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1443).Les mots avaient une qualité nouvelle: ils flattaient mes sens; émotion ignorée, sorte de frisson dans mon cerveau (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 34).
En partic. Instinct sexuel, besoin de satisfaire l'instinct sexuel. Éveil des sens; calme, fièvre, fureur des sens; félicité, ivresse, plaisir des sens; insatisfaction des sens; avoir les sens troublés par qqc. ou qqn. Son corsage ouvert découvrait trop sa poitrine maigre. Il reconnut alors ce qu'il s'était caché, la désillusion de ses sens. Il n'en feignait pas moins de grandes ardeurs (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 220):
2. ... il la voulait. − Oui, je vous veux, répétait-il, en tapant son poing sur son genou d'un martèlement continu. Vous entendez bien, je vous veux... Il n'y a rien à dire à ça, je pense? Gervaise, peu à peu, s'attendrissait. Une lâcheté du cœur et des sens la prenait, au milieu de ce désir brutal dont elle se sentait enveloppée. Zola, Assommoir, 1877, p. 420.
Commerce des sens. Relations sexuelles, amour physique. (Dict. xixeet xxes.).
P. ext., littér. Plaisirs, jouissances physiques. Chez elles [les courtisanes], le corps a usé l'âme, les sens ont brûlé le cœur, la débauche a cuirassé les sentiments (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 126).
B. − Dans le domaine intellectuel, du jugement, de la compréhension, de la raison
1.
a) Vx ou littér. Faculté de bien juger, de comprendre les choses et d'apprécier les situations avec discernement. Un homme de grand sens; observations pleines de sens; avoir trop de sens pour + inf. Ce n'était point le caractère de Mathilde qui faisait rêver Julien les jours précédents. Il avait assez de sens pour comprendre qu'il ne connaissait point ce caractère. Tout ce qu'il en voyait pouvait n'être qu'une apparence (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 317).Les lettres de ce prince (...) étaient pleines de sens, montraient du jugement et des connaissances militaires (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 199).
Locutions
Être hors de sens. N'avoir plus toute sa raison. − Viva monsignor le Douc! cria l'Italien éperdu, viva le Douc! et se jetant à deux genoux comme hors de sens, il saisit frénétiquement le pied de Son Altesse, au bord de la portière ouverte, et lui baisait ses escarpins (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 11).Et c'est aussi votre opinion que je suis un dément? Vous pensez qu'il faut qu'un homme soit hors de sens pour vouloir marier son fils à une prostituée (...)? (Aymé, Clérambard, 1950, iv, 11, p. 249).
Perdre le sens. Perdre l'usage du jugement, perdre la raison. De temps en temps elle me demandait: « Est-ce que je suis grise? − Non, pas encore ». Et elle buvait de nouveau. Elle le fut bientôt. Non pas grise à perdre le sens, mais grise à dire la vérité, à ce qu'il me sembla (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Cri d'al., 1886, p. 1061).Pour la quatrième ou cinquième fois elle perdait le sens et sa raison fondait dans la joie comme une étoile dans le ciel du matin (Jouve, Paulina, 1925, p. 128).
[Par confusion avec de sang froid] Rare, vx. De sens froid. Avec calme, sans passion, sereinement. Dans les pays où les hommes rassemblent plusieurs femmes, pour le plaisir d'un seul, et les tiennent dans une entière dépendance, la facilité de comparer et de juger de sens froid doit décider leur choix en faveur de la beauté naturelle (Laclos, Éduc. femmes, 1803, p. 467).
De sens rassis. Au jugement calme. Les gens sérieux, de sens rassis, qui ne buvaient pas de vin, qui ne fréquentaient pas la société des danseuses (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 33).Sa malheureuse passion pour Mathilde (...) avait pu faire, un moment, d'un homme, jusqu'à ce jour, sobre et de sens rassis, un alcoolique (G. Leroux, Parfum, 1908, p. 31).
b) Bon sens
α) PHILOS., vx. Raison. Le philistin qui parlerait ainsi prouverait simplement qu'il a du bon sens et qu'il préfère à tout la raison (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 18).Descartes (...) a mis au commencement de son célèbre Discours une parole plus souvent citée que comprise: « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. » Mais il a éclairé plus directement cette idée en disant en ses Méditations que le Jugement est affaire de volonté et non point d'entendement, venant ainsi à nommer générosité ce que l'on veut communément appeler intelligence (Alain, Propos, 1921, p. 204).
β) Capacité de bien juger, de prendre une décision, sans à priori, raisonnablement (à propos de choses qui ne relèvent pas du raisonnement scientifique, d'une méthodologie ou d'une théorie). Grand, robuste bon sens; un peu de bon sens. Tôt ou tard la conscience se réveille, et le bon sens du peuple fait justice, en un jour, des raisonnements du sophiste (Quinet, All. et Ital., 1836, p. 117).Certains chefs militaires (...) ont mené leurs hommes au massacre (...). Le simple bon sens eût dû les retenir de lancer cette attaque sans préparation d'artillerie, et qu'on savait devoir demeurer vaine (Gide, Journal, 1943, p. 242).
[P. oppos. à l'égarement, la folie, l'emportement inconsidéré] Capacité de juger normalement, sainement; jugement sain, normal. Avoir tout son bon sens; être dans son bon sens. M. de Forbin a eu le cerveau imbécile pendant plusieurs jours; il a déraisonné, puis le bon sens lui est peu à peu revenu (Delécluze, Journal, 1828, p. 486).− Ma parole, elle est à lier, s'écria Cadignan, stupéfait. Tu n'as pas un grain de bon sens, Mouchette, avec tes phrases de roman (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 82).
[En fonction de déterm.]
[Qualifie une pers.] Qui a du bon sens, sensé. Le spectacle de plusieurs religions finit par inspirer aux hommes de bon sens, une égale indifférence pour ces croyances également impuissantes contre les vices ou les passions des hommes (Condorcet, Esq. tabl. hist., 1794, p. 108).Dans un marché, tout homme de bon sens considère ses intérêts; il accepte ou refuse les articles, nous avions accepté parce que les autres nous avaient donné des avantages (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 132).
[Qualifie une chose] Qui manifeste, recèle du bon sens. On écoute avec patience; on ne se choque pas quand le parleur n'a aucune facilité: qu'il bredouille, qu'il ânonne, qu'il cherche ses mots, on trouve qu'il a fait a fine speech s'il a dit quelques phrases de bon sens (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 99).
Locutions
En dépit du bon sens. Contrairement à ce qu'exigerait la raison. P. ext. Sans soin; sans application; n'importe comment. Se nourrir en dépit du bon sens; travailler en dépit du bon sens. Ces textes sont déplorables, rédigés avec platitude ou en dépit du bon sens (Barrès, Cahiers, t. 5, 1907, p. 316).
Gros bon sens. Bon sens rudimentaire, sans finesse. Il leur fallait rencontrer un homme qui eût plus de probité que d'ambition, plus de gros bon sens que de capacité (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 36).Je connaissais Adam, le mauvais sujet de la grande classe; sept ans bientôt (...); l'apparence d'un hercule pas méchant, un peu narquois, doué de cette intelligence ronde qu'on appelle un gros bon sens (Frapié, Maternelle, 1904, p. 73).
Cela, ça n'a pas de bon sens. C'est insensé, déraisonnable, absurde. Ça n'a pas de bon sens ce qu'on fait là, dit la voix précipitée du père Barca. Si on reste là... on va... devenir fous (Malraux, Espoir, 1937, p. 481).
(Être) hors du bon sens. N'avoir plus toute sa raison, n'avoir plus la capacité de juger raisonnablement, normalement (v. supra I B 1 a être hors de sens). Que signifie tout cela, à la fin? Voulez-vous me le dire?... Un grillage de poulailler s'en va en morceaux, et vous ne voulez pas le faire réparer!... Vous voilà hors du bon sens, mon ami! (Châteaubriant, Lourdines, 1911, p. 133).
Il y a du bon sens, il n'y a pas de bon sens (à + inf.).Mais, ma divine, lui disais-je, il n'y a pas le moindre bon sens à sangloter ainsi. Tu es toujours ma princesse, ma seule et unique palatine (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 366).Malheureux, dit le maire, y a-t-il du bon sens à manier un blessé pareil! (Bernanos, Crime, 1935, p. 754).
c) Sens commun
α) Manière de juger, d'agir commune à tous les hommes raisonnables. Synon. raison.Mon pauvre fils, tu n'avais pas déjà beaucoup de sens commun, je suis désolé de te voir tombé dans un milieu qui va achever de te détraquer (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 573).Le sens commun, en matière de langage, dispose d'un instinct qui ne le trompe guère; (...) il perçoit exactement, bien avant grammairiens et linguistes, les plus menues variations d'un sens (Paulhan, Fleurs Tarbes, 1941, p. 78).
Rappeler qqn au sens commun. Rappeler quelqu'un à la raison. Que n'était-il à Pampelune pour rappeler son père Ignace au sens commun, à la théologie des « honnêtes gens »; pour lui démontrer que la place d'un brillant officier n'est pas dans la grotte de Manrèse? (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 314).
Ne pas avoir le sens commun
[En parlant d'une pers.] Être déraisonnable, irrationnel. Elle n'a pas le sens commun, elle a une tête à la diable, mais elle est admirable (Chênedollé, Journal, 1807, p. 19).
[En parlant d'une chose] Être déraisonnable, insensé, absurde. − Barnavaux, dis-je, vos histoires n'ont pas le sens commun. − J'ai le sens commun, moi, répondit Barnavaux têtu (Mille, Barnavaux, 1908, p. 198).
Cela, ça n'a pas le sens commun. C'est déraisonnable, absurde, insensé. Être amoureux de la petite Sûzel, la fille de ton propre fermier, une enfant, une véritable enfant, qui n'est ni de ton rang, ni de ta condition, et dont tu pourrais être le père, c'est trop fort! C'est tout à fait contre nature, ça n'a pas même le sens commun (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 98).
β) Ensemble des jugements, des opinions donnés comme ne pouvant être raisonnablement remis en question. Le sens commun n'émet guère que de basses sottises. L'on sait, depuis Flaubert et Bloy, qu'il n'est idée ni phrase « reçue » où la bêtise ne coudoie la méchanceté, où la grandeur ne se voie immolée à la sottise et les martyrs aux bourreaux (Paulhan, Fleurs Tarbes, 1941, p. 44).Comment (...) cet événement singulier et éphémère qu'est l'apparition d'une image poétique singulière, peut-il réagir − sans aucune préparation − sur d'autres âmes, dans d'autres cœurs, et cela, malgré tous les barrages du sens commun, toutes les sages pensées, heureuses de leur immobilité? (Bachelard, Poét. espace, 1957, p. 3).
2. [Constr. avec un compl. prép. de ou un adj. désignant un ordre de choses ou des valeurs] Faculté de connaître, de comprendre, d'apprécier de façon intuitive et immédiate (un ordre de choses, des valeurs). Sens des affaires, des hiérarchies, des nuances, des réalités, des responsabilités; sens de l'efficacité, de l'équilibre, de la mesure, de l'orientation; sens du réel; sens de la propriété; sens du beau, du comique, de l'humour, du ridicule; sens artistique, critique, littéraire, philosophique; sens national, politique. Cavalier hors de pair (...); possédant le sens inné du cheval, ce je ne sais quoi qui fait deviner l'humeur d'un animal, comment se servir de lui et jusqu'où (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 179):
3. Tel est l'équilibre qui se réalise en Gœthe: au sens de l'infini, qui menacerait de l'entraîner à la dissolution mystique dans le Tout, s'ajoute le sens du particulier, de la limitation, qui est proprement le sens esthétique. À l'univers, comme à la position de l'homme dans le cosmos, s'applique la loi de l'œuvre d'art, qui est bien de saisir l'éternité, mais dans l'instant, de percevoir l'infini, mais dans l'objet. Béguin, Âme romant., 1939, p. 59.
Rem. On relève également dans cet empl. sens constr. avec un compl. prép. pour: Ce sens inné pour le cérémonial que manifestent les Napolitains à chaque occasion (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 132).
Sens interne ou sens intime (vieilli). Conscience, faculté grâce à laquelle l'homme a la connaissance immédiate de ses états psychiques. Les sens externes sont ce que Locke appelle tout simplement les sens; et les sens internes sont ce que Locke appelle la conscience ou la réflexion (Cousin, Philos. écoss., 1857, p. 38).L'homme-microcosme a commencé par être un organisme parfait, doué d'un seul moyen de perception, que l'on nomme le sens interne ou sens universel. Ce sens connaissait l'univers par analogie, selon la doctrine occultiste: l'homme, étant encore semblable à la nature harmonieuse, n'avait qu'à se plonger dans la contemplation de soi-même pour atteindre à la réalité dont il était le pur reflet (Béguin, Âme romant., 1939, p. 74).
Sens moral. Conscience morale, sentiment immédiat du bien et du mal. Tu as un manque de sens moral vraiment stupéfiant! Enfin, tu me proposes de rester avec toi, avec toi qui, aux yeux du monde, es l'ancienne maîtresse de mon gendre (Tr. Bernard, M. Codomat, 1907, iii, 3, p. 185).Ces Boches! (...) Ils font la guerre comme des brutes! (...) massacrer d'innocentes populations civiles, ça dépasse tout, c'est monstrueux! Il faut qu'ils aient perdu tout sens moral, tout sentiment d'humanité! (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 872).
Sens pratique, sens utilitaire. Faculté de discerner ce qui est utile, profitable. Aussi voulut-il s'expliquer, en garçon de sens pratique qui est convaincu d'avoir de bonnes raisons (Zola, Débâcle, 1892, p. 525).
3.
a) [Constr. avec à ou dans] Manière de juger, de comprendre (d'une personne); sentiment, opinion. N'est-ce pas La Rochefoucauld qui disait que l'esprit est souvent la dupe du cœur? Il va sans dire que je n'osai le faire remarquer à Jacques aussitôt, connaissant son humeur et le tenant pour un de ceux que la discussion ne fait qu'obstiner dans son sens (Gide, Symph. pastor., 1919, p. 916).Je ne puis d'aucune façon me figurer l'inconnu occupé de moi (j'ai dit à supposer: même si c'est vrai, c'est absurde, mais enfin: je ne sais rien), il est à mon sens impie d'y songer (G. Bataille, Exp. int., 1943, p. 209).
Abonder dans le sens de qqn. Exprimer sans réserve, parfois avec excès, la même opinion que quelqu'un. Elle ne voyait aucune différence entre le jeu de Georges et celui de Christophe (...). Christophe n'y contredisait pas; malicieusement, il abondait dans le sens de la jeune fille (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1573).
Parler dans le sens de qqn. Exprimer la même opinion, le même avis que quelqu'un. J'eus beau épuiser mes arguments, ainsi que plusieurs autres membres de la société qui parlèrent dans mon sens, nous ne pûmes pas convertir le vitaliste (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 204).
b) [Constr. avec dans ou en] Manière de voir; point de vue particulier. Dans, en un certain sens. Pour la nourriture, qu'il enchaîna, c'est rien que de la conserve, j'en bouffe depuis un an moi... J'en suis pas mort!... Dans un sens c'est bien commode, mais ça ne tient pas au corps (Céline, Voyage, 1932, p. 206):
4. − (...) je n'ai pas, moi, envie de partir. J'ai mes raisons. Il ajouta après un silence: − Vous ne me demandez pas quelles sont mes raisons? − Je suppose dit Rambert, que cela ne me regarde pas. − Dans un sens, cela ne vous regarde pas, en effet. Mais dans un autre... Enfin, la seule chose évidente, c'est que je me sens bien mieux ici depuis que nous avons la peste avec nous. Camus, Peste, 1947, p. 1332.
II. − [Propriété d'un objet de pensée ou d'un signe]
A. − [Signification]
1. Idée, signification représentée par un signe ou un ensemble de signes; représentation intelligible évoquée ou manifestée par un signe ou une chose considérée comme un signe. On pourrait prendre dans un sens métaphorique le vulgaire proverbe, Tout chemin mène à Rome, et l'appliquer au monde moral; tout mène à la récompense ou au châtiment (Baudel., Paradis artif., 1860, p. 348).La mariée me regardait (...) et je ne pouvais me tromper sur le sens de ce regard, c'était un regard de mépris (Jouve, Scène capit., 1935, p. 195).
SYNT. Sens apparent, caché, ésotérique, général, littéral, philosophique; sens injurieux; sens d'une allégorie, d'un discours, d'une expression, d'une leçon, d'un mythe, d'un oracle, d'une phrase, d'une prophétie, d'un texte; sens d'un rite, d'un geste, d'un sourire; lieu chargé de sens; avoir plus d'un sens; attribuer un sens à des paroles; donner un sens à qqc.; interpréter dans le bon, le mauvais sens; pénétrer le sens d'un texte.
En partic. [Constr. avec une nég., ou empl. dans un cont. nég.] Signification assignable. Propos dépourvus de sens; rêves dénués de sens. Que me font des phrases stéréotypées qui n'ont pas de sens pour moi, semblables aux formules de l'alchimiste et du magicien qui opèrent d'elles-mêmes (Renan, Avenir sc., 1890, p. 474).Pourquoi le mot de liberté me paraît-il, soudain, vide de sens? (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 248).
GRAMM. Sens actif. V. actif I C 10.Sens passif. V. passif C 1 a.
2. En partic. Signification d'un élément signifiant d'une langue (ou d'un langage). Le style de Mallarmé doit précisément son obscurité, parfois réelle, à l'absence quasi totale de clichés, de ces petites phrases ou locutions ou mots accouplés que tout le monde comprend dans un sens abstrait, c'est-à-dire unique (Gourmont, Esthét. lang. fr., 1899, p. 304):
5. Quand je fixe un objet dans la pénombre et que je dis: « C'est une brosse », il n'y a pas dans mon esprit un concept de la brosse, sous lequel je subsumerais l'objet et qui d'autre part se trouverait lié par une association fréquente avec le mot de « brosse », mais le mot porte le sens, et, en l'imposant à l'objet, j'ai conscience d'atteindre l'objet. Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 207.
SYNT. Sens ambigu, clair, étroit, large, précis, restreint, strict, vague; sens concret; sens courant, usuel; sens dérivé, original, primitif; sens fort, plein d'un mot; sens favorable, défavorable, péjoratif; sens usé, vieilli, vieux; sens figuré (v. ce mot A 2 b), métaphorique; sens propre (v. ce mot I A d γ); altération, changement, évolution, extension de sens; filiation, classification des sens; mots de sens opposés; mot qui a plusieurs sens; chercher le sens d'un mot; prendre un mot dans un sens; dans tous les sens d'un mot, d'un terme; sens d'un symbole chimique, mathématique.
Au sens + adj. Dans l'acception, la signification (déterminée par l'adj.) du terme. Au sens pascalien, racinien, mathématique, politique, philosophique du terme; au bon, au mauvais sens du terme. Il n'y eut pas de la part de Swann, quand il épousa Odette, renoncement aux ambitions mondaines, car de ces ambitions-là depuis longtemps Odette l'avait, au sens spirituel du mot, détaché (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 470):
6. Le Cogito me fait l'effet d'un appel sonné par Descartes à ses puissances égotistes. Il le répète et le reprend en plusieurs endroits de son œuvre, comme le thème de son Moi, le réveil sonné à l'orgueil et au courage de l'esprit. C'est en quoi réside le charme, − au sens magique de ce terme, − de cette formule tant commentée, quand il suffirait, je crois, de la ressentir. Valéry, Variété IV, 1938, p. 229.
Faux sens. Erreur sur la signification d'un mot dans un texte. Je produisais des thèmes et des versions bien éloignés de cette exactitude, de cette élégance et de cette concision. Tout ce qui sortait de ma plume abondait en solécismes et en barbarismes, en faux sens et en contre-sens (France, Vie fleur, 1922, p. 360).
Mot à double sens. Mot ayant une signification ambiguë sur laquelle le locuteur joue de façon à ce que les deux acceptions soient possibles dans le contexte. Est-il saoul ou ne l'est-il pas, ce président Desmazes, dont l'entrée est toujours avec, à la bouche, un mot à double sens cochon et qui a tout le long de la soirée la démarche titubante et le sourire salivant d'un pochard? (Goncourt, Journal, 1894, p. 672).Je n'avais pas l'intention de m'éterniser dans cet échange de sourires et de mots à double sens que les adolescents prodiguent aux adolescentes (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 246).
LING., SÉMIOL. Effet de sens. Signification spécifique déterminée par le contexte et la situation. À chaque unité significative minima, correspond, dans la langue, un et un seul sens, et cela, malgré l'infinité de significations (ou effets de sens) qu'il peut avoir en fait dans le discours, et dont chacune représente un point de vue partiel, une visée particulière sur le sens (Ducrot-Tod.1972, p. 160).
Rem. Pour les valeurs de chaque terme dans l'oppos. sens/signification, v. signification.
B. − [Fondement, justification]
1. Idée, suite d'idées, raisonnement auquel un objet de pensée se rapporte et se trouve ainsi justifié, fondé dans son existence. Distinction, question qui a un sens. Tout ce qui n'est pas pensée est le pur néant; puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées; dire qu'il y a autre chose que la pensée, c'est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens (H. Poincaré, Valeur sc., 1905, p. 276).Dire que les Français sont des lâches n'a pas plus de sens que de dire que les ouvriers ne rêvent que de devenir des petits bourgeois (comme dit ma sœur). C'est vrai et c'est faux: la question est mal posée (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 67).
Cela n'a pas de sens (de + inf.). Cela n'a pas de raison d'être. On ne pouvait même pas se demander d'où ça sortait, tout ça, ni comment il se faisait qu'il existât un monde, plutôt que rien. Ça n'avait pas de sens, le monde était partout présent, devant, derrière. Il n'y avait rien eu avant lui. Rien (Sartre, Nausée, 1938, p. 171).
2. Manière de comprendre une chose, signification qu'a une chose pour une personne et qui constitue sa justification. Sens des choses, de l'univers, du travail; donner, trouver un sens à l'existence, à ses actes. Tout le précipitait à l'action politique: l'espoir d'un monde différent, la possibilité de manger quoique misérablement (...), la satisfaction de ses haines, de sa pensée, de son caractère. Elle donnait un sens à sa solitude (Malraux, Cond. hum., 1933, p. 227).Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p. 256).
Prononc. et Orth.: [sɑ ̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Littré, DG [sɑ ̃]; dep. Passy 1914 [sɑ ̃:s]. Restauration de la cons. finale sous l'infl. de la graph. notamment dans les monosyllabes pour des besoins de clarté, v. G. Straka ds Trav. Ling. Litt. Strasbourg t. 19 n o1 1981, pp. 237-244. Selon Mart. Comment prononce 1913, p. 308, bon sen(s) ou contresen(s) ont longtemps résisté; à cause de l's entravé par la cons. qui suit, sen(s) commun se dit encore mais serait ,,déjà néanmoins fort atteint``; on dit sen(s) dessus dessous, sen(s) devant derrière car ils sont ,,sans rapport avec sens``. Barbeau-Rodhe 1930: sens commun, bon sens [sɑ ̃kɔmœ ̃], [bɔ ̃sɑ ̃] mais contresens, non-sens [kɔ ̃tʀ əsɑ ̃(:s)], [nɔ ̃sɑ ̃(:s)]. Fouché Prononc. 1959, p. 479, [sɑ ̃] uniquement dans sens dessus dessous et sens devant derrière. Étymol. et Hist. I. A. 1. Ca 1100 « faculté de bien juger », « entendement », « raison » (Roland, éd. J. Bédier, 1724); d'où α) id. perdre le sens (ibid., 305); ca 1165 estre fors del sens (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 11631); 1306 estre hors du sens (Joinville, Vie de Saint-Louis, éd. N. L. Corbett, p. 126); 1538 être en son sens (Est.); β) 1661, 3 avr. tomber sous le sens (Bossuet, 2esermon, Dimanche de la Passion, Préambule, éd. Abbé J. Lebarq, p. 26); γ) ca 1480 le sens raisonnable (Mystère du Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 42259); ca 1270 sens rassis, v. rasseoir; 1615 sens froid (E. Pasquier, Les Recherches de la France, p. 423 ds IGLF); δ) 1761 sens moral (J.-B. Robinet, De la nature, p. 189); 1771 sens intime (Trév.); 1831 sens pratique (Michelet, Hist. romaine, t. 1, p. 32); 2. 1119 « manière de comprendre, de juger », « avis, opinion » (Philippe de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 574); 1688 en un sens (La Bruyère, De l'homme, éd. M. G. Servois, t. 2, p. 3). B. 1. Ca 1150 boin sens « capacité de juger avec justesse dans les questions de la vie courante » (Conte de Floire et Blancheflor, éd. J.-L. Leclanche, 229); ca 1393 le bon sens naturel « jugement sain et normal » (Ménagier de Paris, I, 2, éd. G. Brereton et J. Ferrier, p. 11); ca 1480 parler d'un bon sens rassis (Mystère du Viel Testament, 29977); 1668 estre dans son bon sens (Molière, Amphitryon, I, 2); 1674 au mépris du bon sens (Boileau, Art poétique, chant I, 81); 1719 c'est bon sens de... (La Motte, Fables, 168); 1721 homme de bon sens (Voltaire, Tancrède, p. 26); 2. 1637 « raison » (Descartes, Méthode, éd. F. Alquié, t. 1, p. 568). C. 1. 1534 sens commun « intelligence commune » (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder, p. 186); 2. 1561 id. « fonction de l'esprit par laquelle nous avons conscience de nos sensations » (A. Paré, De l'Anatomie de la teste, fol. 27 ds Œuvres, éd. J.-Fr. Malgaigne, t. 2, p. 657); 3. 1690 id. « ensemble des opinions et des jugements qui s'imposent à la conviction » (Fur.); 1718 tomber sous le sens commun (Ac.); 1727 parler de sens commun (Marivaux, L'Indigent philosophe, 317). II. 1. 1119 « chacune des fonctions par lesquelles l'homme et les animaux peuvent éprouver les diverses catégories de sensation » (Philippe de Thaon, op. cit., 910); spéc. 1458 la peine de sens (Arnoul Greban, Mystère de la Passion, éd. O. Jodogne, 2151); 1667 reprendre ses sens (Racine, Andromaque, V, 5); a) 1174-76 les cinc sens (Guernes de Pont-Sainte-Maxence, Saint Thomas, éd. E. Walberg, 5868); 1393 les .v. sens temporelz (Ménagier de Paris, I, III, 117, p. 45); xves. les .v. sens corporelz (ibid., var. du ms. de Bruxelles); 1579 les sens organiques (Larivey, Laquais, V, 2, vers 89 ds IGLF); b) 1686 le sixième sens (Fontenelle, Mondes, 3esoir ds Littré: on a dit qu'il pourrait bien nous manquer un sixième sens naturel, qui nous apprendrait beaucoup de choses que nous ignorons); 1762 id. « sens commun » (J.-J. Rousseau, Émile, II, éd. de la Pléiade, t. 4, p. 417); 1684 « conscience » (Id., Confessions, XI, t. 2, p. 547); c) 1751 sens interne du beau (Encyclop. t. 2, p. 547); 2. subst. plur. 1636 « concupiscence, sensualité » (Monet); 1669 plaisir des sens (Pascal, Pensées, éd. L. Lafuma, p. 534); 1680 mortifier ses sens (Rich., s.v. mortifier). III. 1. 1119 « signification d'un mot » (Philippe de Thaon, op. cit., 558); 1636 double sens (Monet); 1690 sens propre, sens figuré (Fur.); 2. a) 1316-28 « ensemble d'idées que représente un ensemble de signes » (Ovide moralisé, IX, 2531, éd. C. de Boer, t. 3, p. 282); b) 1585 sens allegoric (N. du Fail, Contes d'Eutrapel, II, 119 ds IGLF). Empr. au lat.sensus (dér. du supin de sentire, v. sentir) « perception, sensation, manière de sentir, de penser, de concevoir, idée; signification d'un mot ». A absorbé l'a. fr. sen qui subsiste dans assener* et forcené*, forcener*. Bbg. Bahners (K.). Zum bon sens bei Boileau. Die Neueren Sprachen. 1969, t. 68, pp. 350-353. − Berlan (F.). À propos de sens dans les dict. des 17eet 18es. Colloque du Groupe d'ét. en hist. de la lang. fr. Limoges, 1984, pp. 143-148. − Brucker (Ch.). Dat. nouv. Fr. mod. 1973, t. 41, p. 293. − Gier (A.). Das Verwandschaftsverhältnis von afr. sens und sen. Rom. Jahrb. 1977, t. 28, pp. 54-72. − Koenig (D.). Sen/sens et savoir et leur synon. dans qq. rom. courtois du 12eet du début du 13es. Berne-Francfort, 1973, 202 p. − Martin (R.). Inférence, antonymie et paraphrase. Paris, 1976, pp. 16-21. − Quem. DDL t. 9, 15, 19, 23, 24. − Sckommodau (H.). Zur Geschichte von le bon sens. In: [Mél. Rohlfs (G.)]. Tübingen, 1968, pp. 73-88.

SENS2, subst. masc.

SENS2, subst. masc.
I.
A. −
1. [En parlant d'un mouvement ou d'un mobile qui se déplace] Orientation, direction. Sens d'un cours d'eau, du courant; aller dans un sens, dans le même sens; inverser un sens; ouvrir, tourner, visser dans le bon, le mauvais sens; dans les deux sens; en sens contraire. Je tournoyais sur moi-même comme une barque que le courant hale dans un sens et que le vent sollicite dans le sens opposé (Duhamel, Confess. min., 1920, p. 91).Je venais de traverser ce carrefour dont j'oublie ou ignore le nom, là, devant une église. Tout à coup, alors qu'elle est peut-être encore à dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, très pauvrement vêtue, qui, elle aussi, me voit ou m'a vu (Breton, Nadja, 1928, p. 58).
P. métaph. ou au fig. Le mouvement du bal agit sur elle et sur moi en sens contraire: elle devint parfaitement libre et presque joyeuse; quant à moi, je devins plus sombre à mesure que je la voyais plus gaie (Fromentin, Dominique, 1863, p. 175).
− Dans le domaine de la circulation.Plus les routes sont larges plus les accidents y sont nombreux, à moins que les deux sens de circulation ne soient nettement séparés, c'est-à-dire qu'il n'y ait en fait que deux chaussées, réservées chacune à un sens de circulation (J. Thomas, Route, 1951, p. 312).
Sens interdit. Sens dans lequel la circulation n'est pas autorisée; p. méton., voie dans laquelle la circulation est interdite dans un sens. Panneau de sens interdit. Eh bien, répondit automatiquement Trouscaillon, voilà. Faut d'abord prendre à gauche, et puis ensuite à droite (...). Naturellement, dans tout ça, y aura des sens interdits (Queneau, Zazie, 1959, p. 146).
Sens giratoire*.
Sens obligatoire. Sens dans lequel la circulation doit obligatoirement se faire. (Dict. xxes.).
Voie à sens unique ou, p. ell. du déterminé, sens unique. Voie où la circulation des véhicules s'effectue obligatoirement dans le même sens. On y accède par une venelle dont on a fait, depuis six mois, un « sens unique », parce que deux voitures ne pourraient y passer de front (Duhamelds Lar. Lang. fr.).
2. Spécialement
a) ÉLECTR. Sens du courant. Sens dans lequel circulent des charges positives (sens inverse de celui dans lequel circulent les électrons). Un double courant, l'un d'électricité positive, l'autre d'électricité négative, partant en sens opposés des points où l'action électromotrice a lieu, et allant se réunir dans la partie du circuit opposée à ces points (A.-M. Ampèreds Ann. chim. et phys., t. 15, 1820, p. 64).Ampère tira des principes qui restent importants: Premier principe: les actions d'un courant sont inversées quand on inverse le sens de ce courant (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 212).
b) MATHÉMATIQUES
α) Mode de parcours sur une droite ou sur une courbe x'x, soit de x' vers x, soit de x vers x'. Sens d'un vecteur; sens négatif, sens positif d'une droite orientée (Uv.-Chapman 1956).
β) Mouvement de rotation autour d'un axe. Sens d'une rotation. Il supposait l'attraction, l'invariabilité des lois de la mécanique, et s'assignait pour seule tâche d'expliquer le sens de rotation des planètes et de leurs satellites, le peu d'excentricité des orbes, et la faiblesse des inclinaisons (Valéry, Variété[I], 1924, p. 135).
Sens à gauche, sens positif, sens direct, sens trigonométrique. Mouvement de rotation de droite à gauche autour d'un axe. Orientons le plan, c'est-à-dire choisissons un sens positif de rotation, par exemple celui de la flèche (Roux, Miellou, Géom., 1946, p. 16).Le soleil tourne (...) sur lui-même dans le sens direct (Danjon, Cosmogr., 1948, p. 249).
Sens à droite, sens négatif ou rétrograde. Mouvement de rotation de gauche à droite autour d'un axe. Synon. sens des aiguilles d'une montre (v. montre2).Dans le mouvement diurne, il y a renversement du sens de rotation: si la terre tourne dans le sens direct, les étoiles semblent tourner dans le sens rétrograde (pour le même « observateur ») (Kourganoff, Astron. fondam., 1961, p. 5).
c) MÉCAN. Sens d'une force. Direction dans laquelle une force s'exerce. Si (...) l'une des deux sommes l'emporte sur l'autre, le levier tendra à tourner dans le sens des forces qui auront donné la plus grande somme (Poisson, Mécan., t. 1, 1811, p. 179).Le principe d'équilibre obtenu par des forces agissant en sens opposés (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 3).
B. −
1.
a) Ordre dans lequel se succèdent les éléments d'un processus, d'un raisonnement. La nature humaine se soucie peu de la contradiction. Dans le même temps que les mœurs devenaient plus libres, l'intelligence le devenait moins; elle demandait à la religion de la remettre au licou. Et ce double mouvement en sens inverse s'effectuait, avec un magnifique illogisme, dans les mêmes âmes (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1570):
1. Dans toutes les révolutions que présente l'histoire, les peuples ont passé de la haine d'un souverain cruel et tyrannique, à la haine de l'autorité pour la limiter; dans la révolution de la France, la marche a été en sens contraire, le peuple satisfait du monarque, auquel il ne pouvait rien reprocher, a commencé par attaquer le pouvoir souverain dont il n'abusait pas... Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p. 1686.
b) Succession ordonnée et irréversible (des différents états d'une chose en évolution, d'une chose qui correspond à une finalité). Le sens du progrès, de la science. L'acte bon est celui qui va dans le sens de l'histoire, l'acte mauvais celui qui s'y oppose: le progrès de l'humanité, voilà donc la norme suprême qui permet de juger de la valeur morale de l'action (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 20).Si l'on cherche à dégager le sens de l'évolution générale des Vertébrés, on constate qu'il y a deux sortes d'évolution; l'une progressive, l'autre régressive; l'une qui agit par addition, l'autre par soustraction d'organes (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 522).
2. Au fig. Dans le, dans un sens. Dans la direction dans laquelle s'exerce une action, dans un but déterminé, selon une certaine modalité. Agir, parler dans le même sens que qqn; forcer qqn à agir dans un sens; intervenir dans un sens. Le capitalisme pousse le prolétariat à la révolte parce que, dans la vie journalière, les patrons usent de leur force dans un sens contraire au désir de leurs ouvriers (Sorel, Réflex. violence, 1908, p. 119).L'attitude de plus en plus nette de Vichy dans le sens de la collaboration avec l'Allemagne a dû, semble-t-il, détruire enfin toute illusion en ce qui concerne l'efficacité d'une opposition de Vichy à la pénétration allemande en Afrique (De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p. 376).
Rem. La signif. de sens est ici très proche de la signif. de sens1(v. ce mot I B 3 a: abonder, parler dans le sens de qqn).
II.
A. −
1. Orientation, direction d'une droite dans un plan ou d'un plan dans un volume. Sens de la largeur, de la diagonale. « Aidez-moi à plier mon châle, » me dit-elle (...). La longue étoffe chamarrée était entre nous, pliée dans le sens de sa longueur, et ne formait déjà plus qu'une bande étroite dont chacun de nous tenait une extrémité (Fromentin, Dominique, 1863, p. 268).Mon ignorance était telle que je me suis longtemps représenté le sexe féminin, non pas dans le sens vertical, mais dans le sens horizontal, comme la bouche (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 243).
En partic. Direction, orientation privilégiée d'une matière. Sens d'un tissu; sens du poil; sens du bois. Observer, en repassant, le sens des fils, et ne pas faire glisser le fer dans le biais du tissu, qu'il faut travailler dans le sens de la chaîne (Lar. mén.1926, p. 1046).[Un cheval] sursauta quand on lui posa seulement la main vers l'attache de la cuisse, où les poils changent de sens comme la limaille de fer sous l'action d'un aimant (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 416).
En tous sens, dans tous les sens. Dans toutes les directions, dans n'importe quelle direction. De leurs vols brisés les hirondelles rayèrent l'azur en tous sens (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 271).C'est la châtelaine de Wambescourt, Mmede Néréis, qui s'efforce de sourire, et ne réussit qu'une grimace compliquée tandis que sa pauvre tête folle s'agite en tous sens, cherche en l'air un invisible appui (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1356).
P. ext. Partout. Elle se trouvait sur l'emplacement même de la batterie. C'était effroyable, le sol bouleversé comme par un tremblement de terre, des débris traînant partout, des morts renversés en tous sens, dans d'atroces postures, les bras tordus, les jambes repliées, la tête déjetée, hurlant de leur bouche aux dents blanches, grande ouverte (Zola, Débâcle, 1892, p. 429).
2. Côté d'un objet considéré en fonction de son orientation, de sa position dans l'espace. Objet, tableau placé dans le bon, le mauvais sens; changer le sens de qqc.; examiner un objet dans tous les sens. La caisse du char (...) était flanquée de deux grands carquois posés diagonalement en sens contraire, dont l'un renfermait des javelines et l'autre des flèches (Gautier, Rom. momie, 1858, p. 222).Je voulais justement vous montrer un article que j'ai découpé à votre intention (...). Tenez, lisez-le. Didace Beauchemin prit le papier et le retourna en tous sens. Le curé Lebrun se mordit la lèvre. Il avait oublié que son paroissien ne savait pas lire (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 277).
B. − Locutions
1. Sens dessus dessous. Dans une position telle que ce qui devrait être dessus ou en haut soit dessous ou en bas. Mettre une caisse, un meuble sens dessus dessous. Toute la flottille fut halée sur la dune où, après les avoir démâtées, l'on retournait les barques sens dessus dessous et l'on relevait la terre contre les bords (Queffélec, Recteur, 1944, p. 126):
2. Le puzzle de l'amour avec tous ses morceaux Tous ses morceaux choisis choisis par Picasso Un amant sa maîtresse et ses jambes à son cou Et les yeux sur les fesses les mains un peu partout Les pieds levés au ciel et les seins sens dessus dessous Les deux corps enlacés échangés caressés Prévert, Paroles, 1946, p. 289.
P. méton. Dans un grand désordre. Il aura mis la maison sens dessus dessous (Bernanos, Joie, 1929, p. 672).Alexis pensait maintenant à la boîte de petits pois qu'Henriette avait dans une valise (...). Alexis s'en fut fouiller dans les valises, mit tout sens dessus dessous et revint avec la boîte (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 254).
Au fig.
[En parlant d'une collectivité, d'un groupe de pers.] Dans un état d'agitation, de trouble social ou politique extrême. Vaut-il pas mieux arranger la chose que risquer de mettre les gens sens dessus dessous, de bouleverser ma commune? Une commune aussi tranquille (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1399).Les femmes Gourvennec, par leurs histoires, avaient excité toute la gent féminine − une histoire d'amour, une histoire de jalousie, une histoire de religion; une seule histoire eût suffi à mettre les esprits sens dessus dessous, et elles racontaient trois histoires! (Queffélec, Recteur, 1944, p. 57).
[En parlant d'une pers.] Dans un grand désarroi, dans un trouble psychologique extrême. Synon. retourné.Un instant, il dut s'appuyer contre le mur, il défaillait, et il ne vit pas, il n'entendit pas Estelle qui, toute sens dessus dessous, les mains tendues, prête à le secourir, le rejoignait (Châteaubriant, Lourdines, 1911, p. 164).I faut pas se mettre la tête sens dessus dessous; il n'y a pas de quoi s'affoler, mademoiselle Céleste (Bernanos, Crime, 1935, p. 729).
2. Sens devant derrière. Dans une position telle que ce qui devrait se trouver devant se trouve derrière et inversement. (Dict. xixeet xxes.).
Prononc. et Orth. V. sens1. Étymol. et Hist. A. 1. 1160 « côté d'un objet considéré en fonction de son orientation » (Eneas, éd. J. Salverda de Grave, 7560); 1690 « direction privilégiée d'une chose » (Fur.); 2. ca 1165 « orientation selon laquelle s'effectue un mouvement » (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 790); 1933 sens unique (Morand, Londres, p. 29); 3. 1782 « direction dans laquelle s'exerce une action » (L. Mercier, Tableau de Paris, t. 2, p. 289: agissent aujourd'hui presque dans le même sens); 1783 abonder dans le sens de qqn (L. Carmontelle, Le Bal de province, p. 93); 4. 1891 math. (F. Klein, Le Programme d'Erlangen trad. M. Padé, rééd. ds coll. « Discours de la Méthode », Paris, Gauthier-Villars, 1974, p. 6); 1905 sens rétrograde (H. Poincaré, Valeur sc., p. 181). B. Loc. adv. 1. 1559 sans dessus dessoubs (Amyot, Fabius Maximus, éd. L. Clément, p. 68); 1562 sans-dessus-dessoubs (Ronsard, Discours a la royne, éd. P. Laumonier, t. 11, p. 29); 1611 s'en dessus dessoubs (Cotgr., s.v. dessus); 1611 sens dessous dessus (ibid., s.v. sens); 1613 fig. sans dessus dessous « dans un grand état de trouble » (Régnier, Sat., 14, éd. G. Raibaud, p. 189); 1656 mettre qqn sens dessus dessous (Th. Corneille, Le Géolier de soi-même, V, 7); 2. 1534 sens davant et sens darriere (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder, p. 86); 1611 s'en (or sens) devant derriere (Cotgr., s.v. devant); id. sens devant, et sens derriere (ibid., s.v. sens). Croisement de l'a. fr. sen « chemin, direction » repris au germ. sinn (v. assener) et de sens1(le lat. class. sensus ne possédait pas la notion de direction). Les loc. adv. sous B, sont prob. dues à des altér. graph. d'apr. sens de sen, lui-même altér. de cen, contraction de ce en (cf. sen dessus dessouz, mil. xves., Charles d'Orléans, Rondeaux, 98, éd. Champion, p. 404; c'en dessus dessoubz, 1511, Gringore, Farce à la suite du Jeu du Prince des Sots, éd. D'Héricault et Montaiglon, t. 1, p. 281). En a. fr. et m. fr., on rencontre les formes ce devant derriere (1268, Claris et Laris, 11802 ds T.-L., s.v. devant), ce dessus dessoubs (1342, Jehan Bruyant, Pauvreté et Richesse, 30b, ibid., s.v. desus).
STAT.Sens1 et 2. Fréq. abs. littér.: 30 734. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 37 086, b) 31 801; xxes.: a) 38 252, b) 59 024.

SENTIR, verbe trans.

SENTIR, verbe trans.
I. − [Le suj. désigne un être vivant doué de sensibilité] Percevoir, éprouver une sensation, une impression.
A. − [Par l'intermédiaire des sens (excepté la vue et l'ouïe)]
1. Percevoir, éprouver une sensation physique qui renseigne sur l'état de l'organisme ou sur le milieu extérieur. Une saveur âcre qu'elle sentait dans sa bouche la réveilla (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 170).Je sentais la caresse légère de ses doigts sur mon cou (Gracq, Syrtes, 1951, p. 154).
SYNT. Sentir la faim, la fatigue, la soif; sentir une démangeaison, une douleur; sentir la sueur sur son front, les battements de son cœur, des larmes prêtes à jaillir; sentir la chaleur du sable, du soleil; sentir le froid de l'eau glacée, de la bise; sentir une main qui agrippe; sentir un objet dans sa poche; sentir un goût d'ail, d'oignon dans un plat.
[Suivi d'une inf.] Sentir ses forces faiblir, ses genoux fléchir, sa voix trembler, le froid tomber. Cela commença par le bruit aigre d'une croisée qui roulait lentement sur ses gonds, et à travers laquelle je sentis poindre l'air pénétrant des brumes humides de septembre (Nodier, Fée Miettes, 1831, p. 121).Il (...) sentit grincer le sable sous ses semelles (Bernanos, Joie, 1929, p. 717).
[Suivi d'une complét.] Elle sentit qu'elle avait très froid (Maupass., Une Vie, 1883, p. 249).Je sentis que je rougissais (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 41).
Absol. Quand tu dis (...): « Je me brûle », tu ne fais (...) que sentir. Sentir, cette chose que tout le monde connaît par expérience, et que personne, jusqu'à cette année 1805, n'a pu décrire (Stendhal, Corresp., t. 1, 1805, p. 139).
Empl. pronom., littér. Nuit de juin! Dix-sept ans! − On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête... On divague; on se sent aux lèvres un baiser Qui palpite là, comme une petite bête (Rimbaud, Poés., 1871, p. 71).
Empl. subst. masc. Le sentir. La faculté de sentir. On a fini par croire que tout se réduisait à la sensation; qu'il suffisait de transformer la sensation produite par un corps en une autre sensation pour avoir l'explication des facultés intellectuelles. Néanmoins le sentir n'explique pas tout: il n'explique pas (...) les sentiments moraux. (...) la preuve, c'est qu'on trouve ce phénomène chez tous les êtres qui sont du domaine de la zoologie (Broussais, Phrénol., 1836, p. 69).
Empl. factitif. Se faire sentir.Se manifester, devenir sensible. La douleur, la faim, la soif se fait sentir; action, nécessité qui se fait sentir. Le découragement commençait à se faire sentir dans toutes les sphères de l'armée et même au grand quartier général (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 319).
En partic. [Le suj. désigne un agent atmosphérique] Le froid se fait sentir. La bonne chaleur du soleil (...) avait commencé à se faire sentir dès le mois de mars (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 14).Malgré l'approche du mauvais temps dont les premiers effets se faisaient déjà violemment sentir au débouquer, matelots et marchands faisaient cercle autour de l'unique mât (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 11).
Locutions
Ne pas/ne plus sentir ses bras, ses jambes, ses pieds. Ne pas ne plus les percevoir, comme s'ils étaient devenus insensibles (à cause d'une grande fatigue, d'un grand froid). J'arrête Luce au passage et la force à s'asseoir une minute: − Tu n'en es pas fatiguée, de ce métier-là? − Tais-toi! Je danserais pendant huit jours! Je ne sens pas mes jambes (Colette, Cl. école, 1900, p. 315).
Plus rarement, à la forme affirm. Sentir ses bras, ses jambes. Y percevoir des douleurs ou des courbatures provoquées par un excès de fatigue. D'un balancement de sa fourche, elle prenait l'herbe, la jetait dans le vent (...). − Ah! ma petite, dit Palmyre, de sa voix dolente, on voit bien que tu es jeune... Demain, tu sentiras tes bras (Zola, Terre, 1887, p. 134).
Sentir la main qui vous démange. V. démanger B.
Ne pas sentir sa force*.
P. anal.
Sentir son cheval. Percevoir les mouvements et réactions de son cheval et savoir en tirer habilement parti. Le cavalier doit être plus qu'un technicien: le compagnon de sa monture. Il doit la sentir, la comprendre, se comporter en psychologue (Jeux et sports, 1967, p. 1604).
MAR. [Le suj. désigne un navire]
Sentir sa barre. Obéir instantanément à l'action du gouvernail (d'apr. Gruss 1978).
Sentir le fond. Manœuvrer avec peu d'eau sous la quille et abattre d'un bord ou de l'autre de façon imprévisible (d'apr. Merrien 1958).
2. En partic.
a) Percevoir par l'odorat. Sentir un parfum de fleur, l'odeur d'un mets, une odeur désagréable; ne rien sentir (parce que l'on est enrhumé). Carmen, en chemise, se glissait à côté de lui. Il sentit le parfum fort de ses épaules rondes (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 359).Je connais toutes les pierres du chemin et je me dirigerais, s'il le fallait, aux odeurs, comme mon père sait le faire, depuis qu'il est aveugle. Tenez, en longeant ce mur, nous allons sentir les lilas. C'est une senteur délicieuse (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 100).
Absol. En émoussant peu à peu ces impressions qui retiennent d'abord toute l'attention de l'enfant, l'habitude lui permet de saisir les attributs particuliers des corps; elle lui apprend ainsi insensiblement à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher, en le faisant successivement descendre, dans chaque sensation, des notions confuses de l'ensemble aux idées précises des détails (Bichat, Rech. physiol. vie et mort, 1822, p. 65).
Empl. pronom. à sens passif. La camériste faisait remarquer à M. le Conseiller Vénérable l'affreuse odeur qui se sentait dans tout l'étage (Jouve, Scène capit., 1935, p. 150).
Loc. fig., fam. Ne pas pouvoir sentir (qqc., qqn). Éprouver (pour quelque chose, quelqu'un) une grande aversion, une grande antipathie. Synon. détester, haïr, ne pas pouvoir supporter (qqc., qqn) (v. supporter1), ne pas pouvoir souffrir* (qqn) (fam.).Je demande: C'est-y des tableaux vivants?... Parlez donc français − dit Madame Garabis agacée − allons! Reprenez (...) Elle peut pas sentir ma façon de parler. Docilement je reprends: Est-ce des tableaux vivants? (Gyp,Souv. pte fille,1928,p. 167).− (...) quand elle va revenir des toilettes, offrez-lui un verre pendant que nous allons voir les figures de cire. − Ah! non pas moi! dit Lewis. − Mais il lui faut un homme pour s'occuper d'elle. Elle ne connaît pas Bert et elle ne peut pas sentir Willie. − Mais moi je ne peux pas sentir Évelyne, dit Lewis (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 521).
Empl. pronom. réciproque. Ne pas pouvoir se sentir. [Maman] avait été la belle-mère de mon oncle et ils ne pouvaient pas se sentir. Je ne sais pas s'ils étaient formellement brouillés, ou s'ils évitaient simplement de se rencontrer (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 236).Il est des peuples que tout désigne pour une guerre, leur peau, leur langue et leur odeur, ils se jalousent, ils se haïssent, ils ne peuvent pas se sentir (Giraudoux, Guerre Troie, 1935, ii, 13, p. 185).
P. anal. [Le suj. désigne un animal et plus partic. un chien] Percevoir une piste grâce au flair. On ne conçoit pas, mais on voit, on ne peut qu'admirer comment le chien sent souvent après plusieurs heures l'empreinte légère du pied d'un lièvre (La Hêtraie, Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 149).Absol. Dès qu'il pleut trop ou qu'il fait trop sec, que mon chien ne sent plus, que je tire mal, et que les perdrix deviennent inabordables, je me crois en état de légitime défense (Renard, Hist. nat., 1896, p. 264).
[Le suj. désigne un cheval] Sentir l'écurie*.
b) Chercher à percevoir l'odeur de quelque chose. Synon. flairer, humer, renifler (fam.), respirer.Sentir un flacon de parfum, un bouquet de fleurs; sentir le bouquet d'un vin. Un moment, elle a tiré l'œillet de sa poitrine, l'a longuement senti de ses narines ouvertes, puis me l'a passé presque comme une chose qu'elle aurait laissée et m'a dit: « Sentez, j'adore cette odeur (...) » (Goncourt, Journal, 1864, p. 70).Pense que chaque soir, il y a une femme qui pense à toi, une femme qui voudrait s'étendre contre toi, sentir l'odeur de tes cheveux et s'endormir dans ta chaleur (Pagnol, Fanny, 1932, iii, 10, p. 207).
B. − [Par l'intermédiaire de l'intellect]
1. Avoir, prendre conscience de. Je fus d'abord très touché de cette vue, et ce fut un remords qu'il me donna de n'avoir pas assez senti ce que vaut un père (Vigny, Serv. et grand. milit., 1835, p. 178).Il s'était mis, pour ne plus sentir la misère de son existence, à travailler éperdument (Larbaud, F. Marquez, 1911, p. 47).
[Suivi d'une inf.] Tâchez d'atteindre à cette idée sublime, que le véritable bonheur de l'homme ne se trouve que dans le bonheur de ses semblables; dites en vous-mêmes, et dans le secret d'un cœur calme et pur: Je sens avoir besoin du bonheur des autres (Saint-Martin, Homme désir, 1790, p. 95).
[Suivi d'une interr. indir.] J'ai été bien content de t'avoir vue hier; je sens combien ta société a de charmes pour moi (Napoléon Ier, Lettres Joséph., 1810, p. 196).
Constr. factitive. Faire sentir (qqc.) à (qqn).Faire comprendre (quelque chose) à (quelqu'un) de manière plus ou moins directe. Aussitôt rentrés, Amélie trouva le moyen de me faire sentir qu'elle désapprouvait l'emploi de ma journée (Gide, Symph. pastor., 1919, p. 897).Chaque fois que vous citiez les Offices, le Prado, les Thermes, j'étais sûr que ce n'était qu'une occasion de me faire sentir que j'ignorais les voyages, Florence, Madrid, Rome (Nizan, Conspir., 1938, p. 228).
En partic. Faire comprendre à quelqu'un les points importants d'un exposé, d'un ouvrage en les lui expliquant bien. M. d'Arlincourt (...) venait demander à Michaud d'en parler [de son dernier ouvrage] de manière à faire sentir au public tout ce qu'il y avait de profond, de délicat dans cette conception (Delacroix, Journal, 1854, p. 190).On sait le rôle important que jouent dans les astres ces « pressions de Maxwell-Bartoli ». J'espère avoir pu faire sentir au lecteur, par cette brève analyse, l'intuition profonde et l'extrême souplesse d'esprit de Maxwell (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 240).
Loc. Sentir la moutarde lui monter au nez. V. moutarde ex. 2.
2. Percevoir par l'intuition. Synon. deviner, pressentir, subodorer.
a) [Le compl. désigne un fait, une impression, un sentiment] Sentir une trahison. Cette confiance insensée, on la sentait chez tous les hommes (...) elle était dans l'air (...). Était-ce le canon qui sonnait sans relâche (...), qui enfonçait en nous cette certitude de vaincre? (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 181).C'est bien la femme qu'il te faut. Elle te rendra heureux. Tu sais, entre elles, les femmes sentent ça (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 251).
[Suivi d'une complét.] Mon exil était plus sérieux et plus lointain qu'il n'avait d'abord paru; chacun sentait que la vie pour moi s'apprêtait à vraiment changer (Gracq, Syrtes, 1951, p. 11).
Locutions
Sentir bien (qqc.). En éprouver la certitude. Pluvinage est peut-être le seul d'entre eux qui adhère pleinement à son action, mais c'est une adhésion qui ne peut que mal finir, parce qu'il ne se soucie au fond que de vengeance et croit à son destin sans retour d'ironie sur lui-même. Tout cela est terriblement provisoire, et ils le sentent bien (Nizan, Conspir., 1938, p. 24.
[Suivi d'une complét.] Comment ai-je pu lui résister, se disait-il; si elle allait ne plus m'aimer! (...) Le soir, il sentit bien qu'il fallait absolument paraître aux Bouffes dans la loge de Mmede Fervaques (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 422).
Sentir la mort (pop.). La veuve Dentu se trouva là juste à point, venue soudain ainsi que le prêtre, comme s'ils avaient « senti la mort », selon le mot des domestiques (Maupass., Une Vie, 1883, p. 164).
Sentir venir qqc. (de mauvais). Félix ne le sait que trop bien, et sent le châtiment venir (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 192):
1. L'Intransigeant, qui fut longtemps (...) le seul grand journal du soir de Paris, avait été détrôné par Paris-Soir dès 1933. Sentant venir le danger, son directeur Léon Bailby avait organisé le journal de Rochefort, modernisé son imprimerie, agrandi ses bureaux. Coston, A.B.C. journ., 1952, p. 47.
Sentir le vent tourner, que le vent va tourner. Pressentir, deviner un changement de situation. Il sut s'arrêter dès qu'il sentit que le vent allait tourner, et que mieux valait demeurer l'auteur du Barbier et de Guillaume Tell qu'ajouter au catalogue de ses œuvres quelques numéros qui l'auraient alourdi sans augmenter sa gloire (Dumesnil, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 123).
b) [Le compl. désigne une pers.] − Madame, est-il vrai que vous passiez l'hiver ici, comme l'été? Vous devez vous y trouver terriblement seule! Ses yeux bruns m'examinent deux secondes. Elle a vite fait de sentir un allié. − Oui, seule (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 111).Je pensai moi aussi à m'éloigner, mais je sentais les deux jeunes gens si gênés, si anxieux, l'un en face de l'autre, que je jugeai prudent de ne pas le faire (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p. 266).
[Suivi d'une inf.] Au fond cette petite guerre sourde et venimeuse l'affligeait beaucoup; il sentait Tarascon lui glisser dans la main (A. Daudet, Tartarin de T., 1872, p. 40).
En partic. [Le compl. désigne un artiste, un écrivain] Le comprendre en profondeur, être sensible à son art, à sa manière d'écrire. Sur d'autres sujets voisins de Racine, il [La Harpe] est incomplet; il sent peu Molière (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 5, 1851, p. 119).Je me suis élevé contre leur ami R... qui n'aime pas Cimarosa, qui ne le sent pas, à ce qu'il dit avec une certaine satisfaction de lui-même (Delacroix, Journal, 1853, p. 72).
c) [Le compl. désigne Dieu] Percevoir par la foi, l'intuition mystique. L'âme ne peut se mouvoir, s'éveiller, ouvrir les yeux, sans sentir Dieu. On sent Dieu avec l'âme, comme on sent l'air avec le corps. Oserai-je le dire? On connaît Dieu facilement, pourvu qu'on ne se contraigne pas à le définir (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 98).
Empl. pronom. à sens passif. L'abbé Renaud la rassurait. − Dieu se sent, lui disait-il, et ne se prouve pas. Laissons ce cœur s'ouvrir (Feuillet, Sibylle, 1863, p. 339).
3. Éprouver, par la voie de la sensibilité artistique, une émotion, un sentiment d'ordre esthétique. Synon. apprécier, goûter1.Sentir la beauté d'un paysage, d'un tableau, d'une poésie, d'une œuvre musicale; sentir la poésie des vieilles pierres. Le soir, dans le trio de Mozart, pour alto, piano et clarinette, j'ai senti délicieusement quelques passages, et le reste m'a paru monotone (Delacroix, Journal, 1853, p. 24):
2. Il faut avouer que l'Esthétique est une grande et même une irrésistible tentation. Presque tous les êtres qui sentent vivement les arts font un peu plus que de les sentir; ils ne peuvent échapper au besoin d'approfondir leur jouissance. Valéry, Variété III, 1936, p. 139.
Absol. D'autres artistes sentent vivement mais n'ont point de raisonnement abstrait, et comme les précédents, leur communion avec le monde est peu profonde (Gilles de La Tourette, L. de Vinci, 1932, p. 120).
C. − [Par l'intermédiaire de l'affectivité]
1. Littér. Ressentir, éprouver un sentiment, un besoin. Sentir de l'allégresse, de l'inquiétude, de la peine, du plaisir, une grande détresse. Cette femme parut charmée de ce que je lui disais; encouragé par là, je sentis de la joie, de l'amour, de la tendresse (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 228).Il reconnut qu'il avait peur. Il entra deux fois dans des cafés pleins de monde. Lui aussi, comme Cottard, sentait un besoin de chaleur humaine (Camus, Peste, 1947, p. 1262).
Sentir + [subst. désignant un sentiment] pour qqn.Sentir de l'amour pour qqn. Oui, je sentis pour cette fille une tendresse inexprimable (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 60).Harbert sentait pour l'ingénieur une vive et respectueuse amitié (Verne, Île myst., 1874, p. 175).
Ne rien sentir pour qqn. Ne ressentir aucun sentiment pour quelqu'un, ne pas l'aimer. Ils étaient restés seuls; la conversation languissait évidemment. Non! Julien ne sent rien pour moi, se disait Mathilde vraiment malheureuse (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 320).
2. Vieilli. Ressentir, éprouver les suites, le contrecoup d'un événement. Le général Meunier, commandant la place de Cassel, fut blessé d'un éclat d'obus, dont il mourut quelques jours après. Toute la garnison sentit ce coup (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 112).
II. − [Le suj. désigne qqn ou qqc.]
A. − Exhaler, répandre (une odeur).
1.
a) [Le compl. est un subst.] Sentir l'ail, le crottin, la cuisine, le jasmin, le poisson, la poussière, la rose. Je suis descendu, plié en deux, dans notre guitoune, petite cave basse, sentant le moisi et l'humidité (Barbusse, Feu, 1916, p. 18).Je trouvai ma mère très calme: − Tu sens l'eau-de-vie, me dit-elle. D'où viens-tu? (France, Vie fleur, 1922, p. 306).
P. iron., fam. Ça ne sent pas la rose! (Ds Lar. Lang. fr.) Ça sent mauvais. (Ds Lar. Lang. fr.).
P. métaph. Quand on lit à l'ombre d'un chêne les poèmes de Ronsard qui sentent le buis et le laurier, il semble que des apparitions furtives de hanches et de seins nus animent le lit des eaux paisibles (Faure, Hist. art, 1914, p. 496).
b) [Suivi d'un adj. empl. adverbialement] Ces fleurs sentent bon; ce fromage sent fort. Il m'annonça qu'il ne se lavait plus, et que c'était pour cela que ça sentait si mauvais dans la pièce (Gide, Si le grain, 1924, p. 476).Tante Aline les retournait [les souliers] dans tous les sens, en les astiquant avec une crème qui sentait très fort (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 47).
Au fig., pop., fam. Sentir mauvais, ne pas sentir bon. Prendre une mauvaise tournure. Synon. tourner mal, se gâter.Je ne sais quel mic-mac il y a chez eux, dit la vieille fille, mais ça ne sent pas bon (...) Ce Florent (...) qu'est-ce que vous en pensez, vous autres? (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 677).Au commencement, c'était varié, amusant, pittoresque, cette bataille insoluble entre mon règlement et les passagers. Mais ça commence à sentir mauvais. Ça dure. Ça s'éternise (Audiberti, Quoat, 1946, 2etabl., p. 79).
Fam. [Suivi d'un compl. redoublé par l'adj.] Ça sent bon la rose, les fleurs. − Patron, je vous apporte mon lapin sauté. − Oh! oh! ça sent bon l'ail, dit Lecouvreur (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 147).
P. métaph. Si maladroites soient-elles [des peintures], le charme de leurs formules c'est d'être spontanées, variées, sincères, de sentir bon la vie (Dorival, Peintres XXes., 1957, p. 19).
c) Absol. Cette viande, ce poisson commence à sentir. Ce qu'elle doit avoir chaud! Il caressa un peu la fourrure et un parfum tiède et lourd s'en dégagea. C'est donc ça qui sentait, tout à l'heure. Il caressait la fourrure à rebrousse-poil et il était content (Sartre, Sursis, 1945, p. 193).
En partic. [Le suj. désigne un cadavre] Lorsqu'il s'approcha, il reconnut que vraiment Forestier commençait à sentir; et il éloigna son fauteuil, car il n'aurait pu supporter longtemps cette odeur de pourriture (Maupass., Bel-Ami, 1885, p. 194).
Sentir de + compl. désignant une partie du corps.Sentir des pieds, de la bouche. Depuis quèq' temps je r'marque (...) que tu sens fort des pieds! (Courteline, Train 8 h 47, 1888, p. 94).
2. Loc. fig. et fam.
Sentir le brûlé*, l'encre*, le fagot*, l'huile*, la lampe*, le roussi*, le sapin*.
Vieilli
Sentir la corde, l'échelle, le gibet, la lime, la mort, la potence. Être suspect, mériter la mort. (Dict. xixeet xxes.).
Sentir son fruit. Répandre une odeur sui generis. Dans l'air chaud, une puanteur fade montait de tout ce linge sale remué. − Oh! là là, ça gazouille! dit Clémence, en se bouchant le nez. − Pardi! si c'était propre, on ne nous le donnerait pas, expliqua tranquillement Gervaise. Ça sent son fruit, quoi! (Zola, Assommoir, 1877, p. 505).
Proverbe. La caque* sent toujours le hareng.
B. − Révéler par l'odeur, le goût, la saveur de. Plat qui sent le brûlé; poisson qui sent la vase; vin qui sent le bouchon, l'aigre. J'accepte, pour plaire à Claudine, des bribes de chocolat grillé, qui sent un peu la fumée, beaucoup la praline (Colette, Cl. s'en va, 1903, p. 40).Là, peut-être, quelque vieille femme, à l'angle d'une rue noire, serrait-elle encore contre sa poitrine un pot fumant de ces châtaignes bouillies qui sentent l'anis (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 286).
C. − Au fig. Présenter, révéler les caractères de.
1. [Le compl. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Sentir le blasphème, la manigance, la ruse. Elle s'écrie: « On ne sait pas ce qu'on a dit sur moi, sur ma maison. On a dit que ça sentait la Cour d'Assises! » (Goncourt, Journal, 1865, p. 187).Vêtu en traditionnel Gugusse d'hippodrome, tout, en Jarry, sentait l'apprêt (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1170).Sentir le terroir*.
En partic. [Le suj. et le compl. désignent un facteur climatique ou saisonnier] Dans les petites rues solitaires (...), des digitales roses que personne n'avait semées égayaient les murs gris; il y avait du vrai soleil, et tout sentait le printemps (Loti, Mon frère Yves, 1883, p. 53).Un petit vent sec les saisit. Un de ces vents froids d'été, qui sentent déjà l'automne (Maupass., Une Vie, 1883, p. 59).
2. [Le compl. désigne une pers.] Sentir l'espion. Son visage respirait une certaine audace, un je ne sais quoi de belliqueux qui sentait bien plus le gentilhomme que le dévot (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 373).Une délicatesse rusée, qui sentait l'homme de loi (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 98).
Vieilli. [Le compl. est précédé d'un poss.] Sentir son pédant. Monsieur de l'Estorade (...) n'a pas un nom assez européen pour qu'on s'intéressât au chevalier de l'Estorade, dont le nom sentait singulièrement son aventurier (Balzac, Mém. jeunes mariées, 1842, p. 176).Démétrius voulait éblouir ses hôtes (...) son luxe barbare, ses chasses héroïques sentent fort son parvenu (Mérimée, Faux Démétrius, 1853, p. 237).
III. − Empl. pronom.
A. − [Le suj. désigne un être vivant doué de sensibilité]
1. Empl. pronom. réfl. dir.
a) Vieilli, absol. Avoir conscience de soi, de ses forces, de ses capacités. Ça me flatte, vois-tu, que tu aies reconnu sur ma figure que je n'étais pas une femme à laisser un enfant sur le pavé. On n'est pas riche, mais on se sent (Malot, R. Kalbris, 1869, p. 199).Un jour, − je chaussais alors des culottes fendues au derrière, par prudence, − mon père me dit: − Si tu te sentais, nous irions jusqu'à notre vigne des Oulettes? (Arène, Veine argile, 1896, p. 257).
Se sentir de + inf.Se sentir la force, le courage de. − Hep, fait Maurras doucement. Ils s'arrêtent. Le pas clair de Gagou sonne devant eux. − Il va là-haut. − Ça semble. − Tu te sens d'y aller, la nuit? − À deux, oui; seul, j'aimerais mieux retourner (Giono, Colline, 1929, p. 92).
[Le suj. désigne un/une adolescent(e)] Commencer à se sentir. ,,Commencer à éprouver les premières impressions de la puberté`` (Ac. 1835, 1878).
À la forme nég.
Ne plus se sentir. Ne plus avoir conscience de son corps. On a craint pour moi une fièvre cérébrale (...) Mon corps était bien au lit sous l'apparence du sommeil, mais mon âme galopait dans je ne sais quelle planète. Pour parler tout simplement, je n'y étais plus et je ne me sentais plus (Sand, Corresp., t. 1, 1830, p. 107).
Ne pas se sentir de/ne plus se sentir de + subst. Perdre le contrôle de soi sous l'effet d'une émotion forte. Le père Landriani (...) ne se sent pas de joie de voir sous ses ordres un del Dongo (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 175).Quand Kobus entendait la petite Sûzel soupirer tout bas: − Oh! que c'est beau! Cela lui donnait une ardeur [pour jouer du clavecin], mais une ardeur vraiment incroyable; il ne se sentait plus de bonheur (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 96).
Fam., mod. Ne plus se sentir. Perdre la tête, être fou, perdre le contrôle de soi.
b) Avoir conscience de l'état physique ou moral dans lequel on se trouve.
[Suivi d'un adj. attribut] Se sentir complexé, coupable, fier, fiévreux, gai, heureux, impuissant, joyeux, libre, moite, triste; se sentir capable de. Mon vieux, je me sens réellement malade (Bernanos, Crime, 1935, p. 821):
3. La culture, c'est pouvoir comprendre beaucoup de choses dans tous les domaines, dans le travail, dans la politique. La culture permet de ne pas se sentir inférieur; c'est se mettre en valeur pour tout ce que l'on sait. B. Schwartz, Pour éduc. perman., 1969, p. 75.
Se sentir bien, se sentir mieux, ne pas se sentir bien, se sentir mal. Avoir conscience de se trouver dans de bonnes ou mauvaises conditions physiques ou morales. César: Bonjour, petite... Tu te sens mieux? Fanny: Mais oui, je me sens très bien (Pagnol, Fanny, 1932, i, 1ertabl., 4, p. 18).
[Suivi d'un compl.] Se sentir à l'aise, à bout de forces; se sentir maître de soi, en sécurité, dans son droit, dans l'obligation de; se sentir en faute, sans défense. Lorsqu'il se trouvait assis devant la cheminée en compagnie de femme et enfant, il se sentait un homme content et plein de bons sentiments (Beer1939, p. 80).
[Suivi d'une inf.] Se sentir étouffer, mourir, revivre, rougir. Qu'allait-il répondre à son père? Il se sentit défaillir (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 665).
Loc. pop. Ne plus se sentir pisser*. P. ell. Je pouvais plus te tenir, plus t'approcher, tu ne te sentais plus. Tu étais devenu d'une suffisance insupportable (Le Monde, 22 juin 1988, p. 48, col. 5).
2. Empl. pronom. réfl. indir. Reconnaître, percevoir en soi une disposition, une inclination d'ordre physique, intellectuel, moral. Se sentir du dégoût, de la volonté, du zèle; se sentir le courage de, le désir de; se sentir une faim de loup. Mon père... Ah!... je me sens une angoisse! (Châteaubriant, Lourdines, 1911, p. 146).L'eau du lavoir continue de ruisseler sur les visages, les cous et les mains. Elle efface le souvenir de l'effort et de la peine. Et ces hommes qui se croyaient épuisés en arrivant se sentent une force nouvelle (Bordeaux, Fort de Vaux, 1916, p. 109).
Loc. Ne pas se sentir le cœur à, de. Ne pas avoir le désir, le courage à, de. Je ne me sens pas le cœur d'épouser quelque douairière, contemporaine du roi Charlemagne (Banville, Gringoire, 1866, 5, p. 40).
3. Empl. pronom. réciproque, pop. Se sentir les coudes. S'appuyer mutuellement, se soutenir. Synon. se serrer les coudes (v. coude).Une seconde d'hésitation devant la terre bouleversée, la plaine nue: on attendait de voir sortir quelques copains pour se sentir les coudes, puis un dernier regard derrière soi... Et sans un cri, tragique, silencieuse, la compagnie disloquée s'élança (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 285).
B. − [Le suj. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Empl. pronom. à sens passif
1. Être perceptible. On entend communément par intermittence une suspension subite et momentanée du pouls, pendant laquelle l'artère affaissée ne se sent plus sous le doigt (Laennec, Auscult., t. 2, 1819, p. 233).Le bonheur se sent en soi ainsi qu'un fruit qui est plein de sa saveur (Saint-Exup., Citad., 1944, p. 593).
2. Loc. Cela/ça se sent
a) Cela se devine, cela n'a pas besoin d'être démontré, prouvé. Il n'avait pas l'occasion, aux Sables, de voir souvent de pareils spectacles et il en restait chaviré. Cela se sentait à sa façon de dire là-bas (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 89).Nous poussions rarement plus avant nos commentaires; il détestait s'appesantir. Souvent, si je lui demandais un éclaircissement, il souriait et me citait Cocteau: « C'est comme les accidents de chemin de fer: ça se sent, ça ne s'explique pas » (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 201).
b) Fam. Cela est perceptible, appréciable. Une couverture en plus, ça se sent en hiver. − En mars, reprit-il, c'est étonnant, de pouvoir ainsi rester dehors, comme en été. − Oh! dit-elle, dès que le soleil monte ça se sent bien (Zola, Bête hum., 1890, p. 109).
C. − Vieilli, littér. Se sentir de
1. [Le suj. désigne une pers.]
a) Continuer à éprouver les effets d'un mal physique. Synon. ressentir (v. ce mot II A).Il a eu une fièvre quarte dont il se sent encore (Ac.1835, 1878).Il se sentira longtemps de cette blessure (Ac.1835, 1878).
b) Éprouver l'influence de, subir les suites, le contrecoup de. Synon. ressentir (v. ce mot II A).Il a fait une grande perte au jeu, il s'en sentira longtemps (Ac.1835, 1878).Un cœur noble se sent de sa noble origine (Delille, Énéide, t. 2, 1804, p. 3).
2. [Le suj. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Subir les conséquences de. Mon travail de ce soir se sentira de ma mélancolie (Desmoulinsds Vx Cordelier, 1793-94, p. 147).Les pauvres dieux de marbre (...) se sentent de leur long séjour dans la terre humide (Taine, Voy. Ital., t. 1, 1866, p. 133).
Prononc. et Orth.: [sɑ ̃ti:ʀ], (il) sent [sɑ ̃]. Att. ds Ac. de p. 1694. Étymol. et Hist. I. Trans. et intrans. A. 1. Ca 1100 « percevoir, saisir quelque chose par intuition » (Roland, éd. J. Bédier, 1952: Oliviers sent que a mort est feruz); 2. a) déb. xiies. « connaître, saisir, comprendre en faisant usage de la raison, du jugement » (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 72); b) 1774-76 « penser, juger, être d'avis » (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, 846 ds T.-L.); ca 1470 faire sentir « faire connaître, faire comprendre » (Chastellain ds Dochez d'apr. FEW t. 12, p. 471a); cf. 1580 je lui ferai sentir que c'est temerité (R. Garnier, Antigone, IV, 2302 ds Les Tragédies, éd. W. Foerster, t. III, p. 80); 3. 1555 « prendre conscience de quelque chose d'une façon plus ou moins claire ou explicite » (Ronsard, Odes, XVIII, 9 ds Œuvres compl., éd. P. Laumonier, t. 7, p. 102); 1690 se faire sentir « se manifester de façon sensible, apparente » (Fur.); 4. a) 1694 « avoir l'appréciation de ce qui est beau dans une œuvre » (Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 3, p. 1068); b) 1769 senti part. passé adj. « rendu, exprimé avec vérité » raccourci mal senti (Diderot, Salon de 1769 ds Œuvres compl., éd. J. Assézat, t. 11, p. 391). B. 1. a) 1121-34 « percevoir par l'odorat » (Philippe de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 406); 1530 « humer » (Palsgr., p. 722); d'où 1671 fig. sentir qqn de loin (Th. Corn., Comt. d'Orgueil, IV, 8 ds Littré); 1788 ne pas pouvoir sentir qqn (Fér.); 1819 ils ne peuvent pas se sentir (Boiste); b) ca 1135 « recevoir une impression par le moyen des sens » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 1670); 2. a) 1135 « subir quelque chose, en supporter les effets » (Wace, Vie Ste Marguerite, 338 ds T.-L.); b) ca 1220 faire sentir « faire éprouver » fist ... sentir son pooir et sa force (Jean Renart, Lai Ombre, éd. F. Lecoy, 122-123). C. 1. a) 1160 « éprouver un sentiment, ressentir » (Enéas, 1828 ds T.-L.); 1662 absol. « réagir de manière affective » (Pascal, Pensées, éd. L. Lafuma, n o44, p. 504); b) 1672 ne rien sentir pour qqn (Th. Corn., Ariane, I, 1 ds Littré); 2. fin xiie-déb. xiiies. « ressentir un fait qui touche ou heurte la sensibilité » (Chastelain de Couci, Chansons, éd. A. Lerond, XI, 12); 1689 sentir de + inf. « éprouver du déplaisir, de la peine de » (Sévigné, op. cit., p. 582). II. Trans. et intrans. A. 1225-50 « exhaler, répandre l'odeur de » (Venus, 186c ds T.-L.); 1530 sentir bon (Palsgr., p. 722); 1656 fig. sentir le bâton (Molière, Dépit amoureux, III, 3); 1594 sentir le fagot (Satyre Menippée, 87 [Charpentier] ds Quem. DDL t. 15, s.v. fagot). B. 1. 1450 sentir ... son lieu sauvaige « avoir le caractère du lieu d'où l'on vient » (Mist. vieux Testament, éd. J. de Rothschild, 11660); 2. 1635 « avoir le goût, la saveur de » (Monet). C. 1527 « avoir le caractère, les manières, l'air de quelqu'un, de quelque chose » (d'apr. FEW t. 12, p. 469a); 1558 avec un poss. (B. des Périers, Nouv. récréations et joyeux devis, éd. K. Kasprzyk, p. 165). III. Pronom. A. 1. Ca 1100 « avoir conscience de son propre état » quant se sent abatut (Roland, 2083); 2. 1580 « percevoir en soi la présence d'une inclination, d'un état physique, affectif ou moral » se sentant encore quelque reste de vie (Montaigne, Essais, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, II, III, p. 356); 3. 1662 « avoir conscience de soi, de son existence, de ses possibilités » (Molière, École des femmes, V, 4, 1504); 1668 ne pas se sentir de (La Fontaine, Fables, I, 2, 10 ds Œuvres, éd. H. Régnier, t. 1, p. 63). B. Déb. xiies. « se ressentir de quelque chose » del freid ... me sente (St Brendan, 1396). C. 1. 1637 « (d'une chose) être éprouvé, perçu par les sens » (Descartes, Météores, Discours premier ds Œuvres philos., éd. F. Alquié, t. 1, p. 723); 2. 1662 « être perçu par l'esprit ou appréhendé par la sensibilité, l'intuition » (Pascal, op. cit., n o110, p. 512). Du lat. class. sentīre « percevoir par les sens (les sons, les sensations de plaisir, de douleur, etc.) et par l'intelligence », sens largement maintenu dans toute la Romania: ital. sentire, esp.-cat.-port. sentir (v. FEW t. 11, p. 472a); le sens de « sentir », qui ne semble pas att. en lat. mais bien celui de « goûter, savourer » qui lui est très proche, est très bien représenté en gallo-rom. et se présente aussi bien sous la forme active au sens de « percevoir une odeur » que passive, au sens de « exhaler une odeur », se comportant en cela comme son concurrent fragrare, v. flairer; au sens de « exhaler une odeur » sentir a éliminé l'a. fr. oloir, ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, Troie, 12894 ds T.-L.) du lat. olere « id. », d'où aussi l'esp. oler. Fréq. abs. littér.: 34 192. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 39 547, b) 46 003; xxes.: a) 51 144, b) 56 263. Bbg. Danell (K. J.). Rem. sur la constr. dite causative: faire (laisser, voir, entendre, sentir) + inf. Stockholm, 1979, 123 p. − Gohin 1903, p. 339. − Klein (F.-J.). Lexematische Untersuchungen zum frz. Verbalwort-schatz... Genève, 1981, pp. 186-190. − Lerch (E.). Sentir... Archivum Romanicum. 1941, t. 25, pp. 303-346. − Orr (J.). Words and sounds. Oxford, 1953, pp. 209-214. − Petrei (A.). Zu frz. sentir v. und sensation n. fr. Klagenfurt, 1983, 88 p. − Quem. DDL t. 13, 15, 19, 23, 27, 34.

Quelques définitions tirées au hasard dans le dictionnaire : 

·le trésor de la langue française, un dictionnaire français·