a) [Le compl. d'obj. désigne une somme d'argent]
α) Dépenser (une somme d'argent) dans un but quelconque : 3. Agathe et moi nous voulions employer notre argent de tant de manières différentes, que nous ne savions plus à quel achat nous résoudre.
Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 108.
− Employer + compl. prép. (subst. ou inf.) indiquant le but.Employer (de l'argent) à l'achat, à l'acquisition de qqc., à s'acheter qqc. Employer la dot de sa femme à satisfaire les prodigalités ruineuses de sa maîtresse (Ponson du Terr., Rocambole,t. 1, 1859, p. 412).Olympe employait à des fantaisies l'argent qu'elle tirait des poches de Marthe (Zola, Conquête Plassans,1874, p. 1164).
− Employer + compl. prép. (subst.) précisant la nature de l'acquisition.Employer (de l'argent) en. J'aurais encore mieux aimé que cet argent fût employé en fards et en toilettes (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1409).
β) Utiliser (une somme d'argent) en vue d'un placement productif. Anton. dépenser, gaspiller :4. Ce conseil déterminera positivement la somme à laquelle commencera, pour le tuteur, l'obligation d'employer l'excédant des revenus sur la dépense : cet emploi devra être fait dans le délai de six mois, passé lequel le tuteur devra les intérêts à défaut d'emploi.
Code civil,1804, art. 455, p. 84.
− Employer + compl. prép. indiquant la nature, le domaine d'emploi.Employer des capitaux en actions. Dès que l'un d'eux [un bourgeois] se sentait possesseur d'un petit capital, au lieu de l'employer dans le négoce, il s'en servait aussitôt pour acheter une place (Tocqueville, Anc. Rég. et Révol.,1856, p. 171).
b) [Le compl. d'obj. désigne un terme lex., une forme gramm., une figure de style, etc.] Utiliser (un terme) dans un discours, un écrit. Tout substantif français peut être employé adjectivement (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 33).Ils employaient des expressions et des tournures de phrases que l'on n'entend point au pays de Québec (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 165).Il n'emploie presque jamais les substantifs convenables; il les remplace par deux ou trois mots omnibus (Duhamel, Journal Salav.,1927, p. 74):5. « J'avoue que Taquin le Superbe me plaît infiniment comme rédaction », concluait la princesse. En réalité, le mot de « rédaction » ne convenait nullement pour ce calembour, mais la princesse d'Épinay (...) avait pris à Oriane les expressions « rédigé, rédaction » et les employait sans beaucoup de discernement.
Proust, Le Côté de Guermantes 2,1921, p. 466.
SYNT. Employer une métaphore, une tournure de phrase, un langage noble, bas; employer un temps (du verbe), un mode; employer un mot nouveau, un vilain mot, un mot au figuré; employer un mot pour un autre.
− Employer un mot + compl. déterminatif en appos. ou introd. par de, indiquant le mot employé. J'employe à dessein ce mot d'empire, ce mot d'impérialisme auquel je donne leur signification de conquête et de prééminence (Barrès, Cahiers,t. 12, 1919-20, p. 93).Toi seul n'as pas remarqué qu'elle n'employait jamais le mot femme (Giraudoux, Ondine,1939, III, 1, p. 171).
−
Employer un mot, un terme + compl. déterminatif introd. par de, indiquant la provenance, le domaine habituel d'emploi du mot en question. Le dépit, entre femmes, emploie volontiers les métaphores de la halle et de la grève, fussent-elles duchesses ou grandes coquettes (Gautier, Fracasse,1863,p. 91).− (...) On ne m'a raconté que le thème de votre histoire, le synopsis, comme on dit maintenant... − Vous voyez, vous êtes forcé d'employer des mots de théâtre (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 154).Cf. aussi
apache ex. 5.
♦ P. ext. « Pour arriver. » Même dans ses pensées les plus obscures, elle employait ce mot de succès et d'ambition (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 117).
− Employer + compl. prép. indiquant la destination.Elle employait toujours un langage noble pour les choses les plus simples (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 596).
− Employer un mot au sens de/où, dans le sens + déterminatif. Jamais, en effet, on n'a pu constater un départ plus net entre le « peuple » et les « habiles », au sens où La Bruyère employait ces deux mots (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 339).Elle aussi bien que moi, nous ne pûmes supporter cette gêne (et j'emploie ce mot dans son sens le plus fort) (Gide, Et nunc manet,1951, p. 1129).
− Expr. Pour employer le mot propre, exact, un mot cher à (qqn). Bref, dans l'heure qui a suivi, Antonia, pour employer la formule consacrée, est devenue ma maîtresse (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 206).
− Emploi pronom. passif. Quelle étonnante ambiguïté dans la notion de justice. (...) le même mot s'emploie pour désigner la justice distributive et la justice mutuelle (Alain, Propos,1912, p. 136).
c) [Le compl. désigne un espace de temps]
α) Occuper un certain intervalle de temps. Employer sa journée, ses loisirs, quelques heures. Elle était affectée de quelques millions et ne savait comment employer le plus agréablement son temps (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 119):6. Je pense (...) aux choses du dehors. Elles me distraient, emploient mon temps et usent ma vie sans m'intéresser beaucoup.
Maine de Biran, Journal,1817, p. 4.
− Employer + compl. prép. précisant la nature de l'occupation, introd. par à lorsque l'occupation est une action précise, introd. par en lorsque le sens est assez vague.Employer du temps à faire qqc.; employer du temps en discussions, en promenades, en enfantillages; employer du temps à la conversation. J'ai employé ce temps partie en distractions et partie à la composition d'un morceau de philosophie mystique sur les deux « révélations » (Maine de Biran, Journal,1818, p. 185).Ces huit jours d'amour que tu prétends avoir eus pour moi, je n'en ai pas profité. Je ne les ai employés qu'à ma jalousie (Achard, J. de la Lune,1929, I, 6, p. 11).
− [Le suj. désigne la chose qui fait que qqn occupe du temps à la réaliser] Ces diverses courses, ces occupations minutieuses employèrent plus de deux heures (Balzac, Splend. et mis.,1846, p. 412).
β) Occuper (du temps) utilement, avec profit. Anton. gaspiller.Si j'avais deviné, il y a six ans, ce que je soupçonne maintenant, j'aurais employé mes loisirs d'alors et j'en saurais beaucoup aujourd'hui (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1899, p. 346).Je n'emploie pas encore tout mon temps. Un peu de vertige devant trop d'heures vides (Gide, Journal,1906, p. 199):7. Si j'eusse parlé vers 1795 de mon projet d'écrire, quelque homme sensé m'eût dit : « Écrivez tous les jours pendant deux heures, génie ou non ». Ce mot m'eût fait employer dix ans de ma vie dépensés niaisement à attendre le « génie ».
Stendhal, Vie de Henry Brulard,t. 1, 1836, p. 215.
d) [Le compl. d'obj. désigne une faculté, un pouvoir, un moyen d'action de la pers.] Mettre en œuvre. Il fallait produire, il fallait employer tes dons, faire valoir tes talents (Amiel, Journal,1866, p. 236).Jamais on n'avait encore employé pour elles tant de galanterie (Colette, Cl. école,1900, p. 72).Dans ces moments où sa volonté était employée tout entière, rien ne lui résistait (Maurois, Ariel,1923, p. 321):8. ... elle n'avait pas osé employer la calomnie et le mensonge, armes incertaines qui se retournent parfois contre celui qui les emploie.
H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 178.
SYNT. Employer des moyens, des procédés, un stratagème; employer ses facultés intellectuelles, ses dons, son habileté; employer la force, la ruse, la violence; employer son crédit, son influence en faveur de qqn.
− Employer + compl. prép. précisant le domaine d'emploi.Employer qqc. dans.Quand il employait ainsi toutes ses forces dans une lecture, il perdait en quelque sorte la conscience de sa vie physique (Balzac, L. Lambert,1832, p. 19).Ils employaient toute leur intelligence dans les affaires (France, Île ping.,1908, p. 402).
− Employer + compl. prép. indiquant le but.Employer qqc. à.La citoyenne avait employé son crédit à faire nommer Gamelin à un poste envié (France, Dieux ont soif,1912, p. 104).Employer qqc. pour.Il me fallait employer mille ruses pour éloigner de nous ce démon familier, persécuteur et jaloux (Tharaud, Fête arabe,1912, p. 215).