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AÉRER, verbe trans.

AÉRER, verbe trans.
I.− Emploi trans.
A.− Faire circuler de l'air dans ou sur un objet.
1. Renouveler l'air d'un espace clos en y faisant entrer l'air du dehors, ventiler. Aérer une pièce, une chambre :
1. Les dispositions de la façade de [la] basilique [de Sainte-Agnès, à Rome], sont fort simples : un fronton indique l'inclinaison du toit supérieur, qui est aéré par un oculus ouvert au milieu du tympan. A. Lenoir, Architecture monastique,t. 1, 1856, p. 115.
2. C'était une grande salle dont on n'ouvrait les croisées que rarement, et seulement pour l'aérer. Le jour du dehors courait en filets minces le long des fentes des contrevents. P. Reider, Mademoiselle Vallantin,1862, p. 111.
3. ... J'ai passé cette fin de journée à m'aigrir Par le spectacle vain et la psychologie Douloureuse des fleurs pâles qui vont mourir. Triste vase : hôpital, froide alcôve de verre Qu'un peu de vent, par la fenêtre ouverte, aère Mais qui les fait mourir plus vite, en spasmes doux, Les pauvres fleurs, dans l'eau vaine, qui sont phtisiques, Répandant, comme en de brusques accès de toux, Leurs corolles sur les tapis mélancoliques. G. Rodenbach, Le Règne du silence,1891, p. 10.
4. Selon leur âge, il distribue leur besogne aux nourrices qui soignent les larves et les nymphes, aux dames d'honneur qui pourvoient à l'entretien de la reine et ne la perdent pas de vue, aux ventileuses qui du battement de leurs ailes aèrent, rafraîchissent ou réchauffent la ruche, et hâtent l'évaporation du miel trop chargé d'eau, aux architectes, aux maçons, aux cirières, ... M. Maeterlinck, La Vie des abeilles,1901, p. 29.
P. anal. :
5. C'était l'heure de la sieste. La ville dormait, déserte et silencieuse, bercée par le mistral, soufflant en grands coups d'éventails, aérant, vivifiant l'été chaud de Provence, ... A. Daudet, Numa Roumestan,1881, p. 67.
6. Démétrios allongea la jambe droite afin d'abaisser son genou qui se fatiguait un peu. Puis il fit lever la jeune femme, se leva lui-même, secoua son vêtement pour aérer les plis, et dit doucement : « Non... adieu. » P. Louys, Aphrodite,1896, p. 199.
7. Au reste celui qui veut faire l'insouciant sait bien hausser les épaules, ce qui, à bien regarder, aère les poumons et calme le cœur, dans tous les sens du mot. Alain, Propos,1923, p. 530.
Emploi abs. :
8. Les fenêtres, chose incroyable, s'ouvraient, et l'air de la révolution recevait le droit d'aérer. J. Giraudoux, Siegfried et le Limousin,1922, p. 241.
9. Chez lui, où il a construit une sorte d'entrepôt, tout cela s'empile tas par tas ou pend accroché aux poutrelles, attendant l'écoulement, et lorsque, la porte ouverte pour aérer, le soleil pénètre dans la pièce, on voit ces choses mortes ou fanées se ranimer : fourrure qui chatoie ou tissu qui rayonne comme aux flancs de la femme ou de la bête, cristaux de tartre étincelants sous le rayon, comme des pierreries. J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 2, 1923, p. 220.
2. Ouvrir, exposer à l'air. Aérer un lit :
10. C'était l'heure attendue, l'heure du pansement, qui seule amenait un peu de calme, aérait les lits, délassait les corps raidis à la longue dans la même position. É. Zola, La Débâcle,1892, p. 501.
11. Ils ne mettent que du gros linge rude. Ça les gratte comme du papier de verre, et la saleté ne peut pas rester noire. Ils couchent quarante ans sur la même « couette » sans en changer, sans même en aérer la plume. J. Renard, Journal,1903, p. 855.
12. ... commencé en mars pour enfouir et tuer l'herbe, et le mettre en contact avec les agents atmosphériques; refait en juillet, ouvert aux effluves de l'astre pour emmagasiner de la flamme; achevé en septembre-octobre où les fumures sont mêlées à l'arène pulvérisée, au milieu de l'activité inouïe des infiniments petits, ainsi qu'on plie, replie, aère et garnit une couche humaine; il s'y est peu à peu désagrégé, incorporé, il y a préludé aux transformations merveilleuses qui le convertissent de mois en mois en fruit de vie... J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 2, 1928, p. 249.
P. anal. [En parlant d'un être vivant] ,,Faire prendre l'air, promener. Aérer un convalescent.`` (Ac. t. 1 1932) :
13. Ainsi le paysan, l'été, abrite son cheval de la piqûre irritante des mouches, en lui voilant la face d'un frais et mouvant feuillage. Lorsqu'il revient du travail, s'il est en sueur, son maître, au lieu de l'enfermer aussitôt, doucement le promène pour l'aérer, le bien sécher. J. Michelet, Sur les chemins de l'Europe,1874, pp. 250-251.
Rem. paradigm. et syntagm. a) Comme il s'agit le plus souvent de renouveler l'air vicié d'un endroit clos, aérer est associé au verbe ouvrir (ex. 2, 8), et davantage encore au part. ouvert, qualificatif des subst. indiquant les moyens de aérer : oculus ouvert (ex. 1), fenêtre ouverte (ex. 3), porte ouverte (ex. 9). b) L'obj., habituellement exprimé, désigne le lieu fermé dont on change l'air : salle (ex. 2), ruche (ex. 4), ou la literie, couramment exposée à l'air : lits (ex. 10), couche (ex. 12), plume [de la « couette »] (ex. 11). Le suj., gén. un animé, peut aussi être un inanimé qui est alors, le plus souvent, source d'un mouvement d'air : mistral (ex. 5), vent (ex. 3), air de la révolution (ex. 8). Il se rencontre volontiers en assoc. avec des verbes explicitant les sensations bénéfiques de son action : aérer/vivifier (ex. 5), aérer/ délasser (ex. 10), aérer/rafraîchir ou réchauffer (ex. 4), aérer/calmer (ex. 7).
3. Emplois techn.
a) CHIM. Faire absorber de l'air à une substance :
14. Les eaux ferrugineuses peuvent être beaucoup améliorées en les aérant fortement par passage sur des lits de gros graviers. Boullanger, Malterie, brasserie,1934, p. 32.
b) HORTIC. Changer l'air (des serres), exposer à l'air (la terre ou les plantes), espacer (les plantes) :
15. Aérer. C'est ainsi qu'on désigne toute opération qui a pour résultat de faire arriver l'air extérieur là où on juge sa présence nécessaire. Aérer une serre, des chassis, etc., c'est y établir un courant d'air. E.-A. Carrière, Encyclopédie horticole,1862, p. 9.
16. ... [il] respecta les fleurs, laissa se nouer les fruits, en choisit un sur chaque bras, supprima les autres, et, dès qu'ils eurent la grosseur d'une noix, il glissa sous leur écorce une planchette pour les empêcher de pourrir au contact du crottin. Il les bassinait, les aérait, enlevait avec son mouchoir la brume des cloches, − et, si des nuages paraissaient, il apportait vivement des paillassons. G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet,t. 1, 1880, p. 32.
17. On laboure la vigne en rejetant la terre au milieu du sillon, on la déchausse pied par pied. On aère ainsi la souche, on détruit son système radiculaire à fleur de sol, on la force à chercher en dessous, dans la masse remuée par la charrue défonceuse et plus outre, les couches vierges où tout est substance. J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 1, 1921, p. 110.
c) MAR. Faire circuler l'air dans les parties intérieures d'un bâtiment :
18. Je redoublai de soins pour conserver la santé des équipages pendant cette crise, produite par un passage trop subit du froid au chaud et à l'humide; je fis distribuer, chaque jour, du café au déjeûner; j'ordonnai de sécher et aérer le dessous des ponts; ... Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 3, 1797, p. 173.
19. Les caillebottis et les panneaux avaient été enlevés, afin d'aérer et de sanifier la cale, ... E. Sue, Atar Gull,1831, p. 6.
20. Sur les navires, on emploie pour aérer les entreponts, des appareils connus sous le nom de manches à vent, ... L. Ser, Traité de physique industrielle,t. 2, 1890, p. 683.
Rem. ,,On utilise le mot ventiler, de préférence à aérer, quand l'air frais est envoyé avec force dans les locaux à aérer; on emploie aérer pour les couchages, pour tout ce qu'on monte sur le pont pour être mis à l'air, sans utilisation de moyens mécaniques.`` (Le Clère 1960).
B.− Ouvrir, pratiquer des espaces vides dans un lieu ou dans un objet compact pour permettre la circulation de l'air, de la lumière ou des personnes :
21. Et les bois eux-mêmes, aménagés, aérés de larges clairières, semblaient déborder de plus de sève... É. Zola, Fécondité,1899, p. 604.
22. Ces larges artères, en trouant les quartiers tassés du vieux Paris, vont découvrir et aérer [au xixes.] d'antiques monuments, tout surpris d'être ainsi dénudés. L. Hourticq, Hist. générale de l'art,La France, 1914, p. 385.
23. À trois mois de là, on sonna à ma porte. C'était mademoiselle de Plémeur, dégouttante de pluie, dans mon Neuilly lointain. Au salon, son chapeau enlevé, et secouant la tête avec un geste de petite fille, pour aérer, alléger ses cheveux bretons, inaccessibles à la raie, elle me dit sans préambule : − J'ai tout laissé choir. H. de Montherlant, Les Olympiques,1924, p. 282.
24. ... les nervures et les longs fûts de pierre s'élançaient de toutes parts pour soulever, aérer, bercer l'immense vaisseau; ... É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 60.
Rem. Aérer est dans ce sens très proche de verbes contenant une idée d'allégement, de dégagement : découvrir/aérer (ex. 22), soulever/aérer (ex. 24), alléger/aérer (ex. 23), idée qui se retrouve dans le compl. de larges clairières (ex. 21), ou le suj. larges artères (ex. 22) qui expriment le moyen empl. pour l'aération.
Emploi techn., PEINT. Espacer les toiles sur un panneau :
25. Aérer un panneau dans une exposition : mettre un certain espace entre les toiles. Hugues, Expressions d'atelier.
C.− Emplois fig.
1. Renouveler la vie, l'esprit, le cœur, etc. (en l'ouvrant à d'autres préoccupations) :
26. Je me dis : vis dans les sages. Toujours l'honnête homme ouvrit La fenêtre des vieux âges Pour aérer son esprit. Et je m'en vais sur la cime Dont Platon sait le chemin. V. Hugo, Les Chansons des rues et des bois,1865, pp. 100-101.
27. Mais cette atmosphère n'enveloppe que ceux qui ont eu soin d'aérer assez souvent leur vie en entr'ouvrant parfois les portes de l'autre monde. C'est près de ces portes que l'on voit. C'est près de ces portes que l'on aime. M. Maeterlinck, Le Trésor des humbles,1896, p. 244.
28. Mais de temps en temps je parvenais, en faisant passer tel ou tel courant d'idées au travers de mon chagrin, à renouveler, à aérer un peu l'atmosphère viciée de mon cœur. M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Fugitive, 1922, p. 448.
29. Par contre, rien n'assied un jugement comme de le dresser sur de fortes racines de la terre au zénith, rien n'assure le bon sens, n'abaisse la prétention, n'aère l'intelligence, n'élargit le geste, ne décourage la médiocrité, comme de camper sa vie en plein univers et de toujours maintenir sous « le ciel étoilé au-dessus de nos têtes » les perspectives familières de la vie quotidienne. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 120.
30. La liberté est ainsi à la fois la respiration de la conscience et l'oxygène vital qui aère et ventile cette conscience, déblayant autour d'elle une latitude permanente d'agir, d'entreprendre, d'espérer. V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 218.
En partic. Assainir un débat difficile (par un changement de sujet, une plaisanterie, etc.) :
31. − « Tiens », fit-il, s'adressant de nouveau à Jacques, « je veux aussi écrire mes mémoires, pourquoi pas? j'en ai eu, moi, des joies familiales! j'en ai, des souvenirs d'enfance! de quoi en prêter à ceux qui n'en ont pas! » D'autres groupes, attirés par les éclats de voix, se rapprochaient : les galéjades du Tribun avaient le mérite d'aérer, de temps à autre, l'atmosphère de ces discussions en vase clos. R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 43.
32. Elle (une initiative) aère l'atmosphère dramatique et la rend plus respirable. Colette, La Jumelle noire,1938, p. 53.
Rem. Syntagme fréq. : aérer l'atmosphère.
2. Clarifier les idées ou leur présentation (en les distinguant mieux, en ne gardant que l'essentiel, etc.) :
33. Il faut que monsieur le juge, en rentrant, trouve sur son bureau la belle lettre où je m'en vais lui signifier mon départ. Mais avant de l'écrire, je sens un immense besoin d'aérer un peu mes pensées... A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 934.
34. ... notre correspondant veut-il bien me permettre de détendre, d'aérer un peu ce beau raccourci [d'exposé]? H. Bremond, La Poésie pure,1926, p. 139.
Rem. L'obj. est gén. une entité abstr. : esprit (ex. 26), vie (ex. 27), cœur (ex. 28), intelligence (ex. 29), conscience (ex. 30), pensées (ex. 33).
II.− Emploi pronom.
A.− Emploi passif. [Ce qui s'aère est un nom de chose]
1. Laisser s'aérer. Laisser l'air libre passer dessus, laisser à l'air libre :
35. ... les arbres doivent être abattus le premier vendredi de la lune d'août. La fibre s'en trouve plus serrée, et toute trempée de flamme à l'abri des vers. Les pièces abattues, des bouviers, clients ordinaires payés en nature, sont priés. On choisit un jour de beau temps et on gagne le chantier. On charge des arbres sur des essieux de char découplés, et on démarre. À domicile on les empile. On les laisse s'aérer tout l'automne, achever de se durcir aux premiers grands gels, et, chose curieuse, prendre une certaine température, devenir moins froids afin de pouvoir les travailler. J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 1, 1921, p. 215.
36. Il ne reste donc à MmeMaillecottin que deux lits dont elle ait à s'occuper. Elle y passe beaucoup de temps, laisse la literie s'aérer longuement à la fenêtre, ... J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 61.
2. S'ouvrir à l'air libre, devenir plus léger :
37. Le lecteur d'un poème l'illustre forcément. Il boit à la source. Ce soir, sa voix a un autre son, la chevelure qu'il aime s'aère ou s'alourdit. Elle contourne le morne puits d'hier ou s'enfonce dans l'oreiller, comme un chardon. P. Éluard, Donner à voir,1939, p. 76.
38. Le moteur ronflait régulièrement, d'un bruit doux, endormi, précautionneux, comme enveloppé d'ouate. Une brume livide roulait par instants sur les haies. Puis de nouveau la nuit touffue, matelassée, des campagnes, s'aérait, battait comme un manteau qu'on délace, et la route le rejetait à l'horizon de mer. Il continuait sa marche, docile à cette vitesse monotone, à ce mouvement feutré. J. Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 186.
B.− Emploi réfl. [Le suj. est un nom de pers.] Prendre l'air, aller à la promenade :
39. Bonsoir, je vais m'aérer. Pierre allait enfiler le pont; il revint sur ses pas, à l'appel que lui adressait de son ombrelle une des deux jeunes femmes assises dans l'élégante victoria qui s'arrêtait contre le trottoir. E.-M. de Vogüé, Les Morts qui parlent,1899, pp. 300-301.
40. Ah! tenez, j'ai besoin de m'aérer. Penché sur la portière il toucha du bout de sa canne l'épaule du cocher et fit arrêter la voiture. A. Gide, Les Caves du Vatican,1914, p. 864.
41. Aérons-nous. Gagnons le large! « Bernard! Bernard, cette verte jeunesse... » comme dit Bossuet; assied-la sur ce banc, Bernard. Qu'il fait beau ce matin! il y a des jours où le soleil vraiment a l'air de caresser la terre. A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 977.
Au fig. :
42. Depuis trois jours j'emballe mes livres avec un enthousiasme de vandale. À mesure que se vident les rayons de ma bibliothèque je sens s'aérer mon cerveau. A. Gide, Journal,1906, p. 199.
43. Il monte de cet art entier des odeurs de rut et de carnage. S'il passe en Chine, il s'aère, sans doute, et sa sensualité s'épure. É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 254.
44. Petit à petit, notre famille, le clan Pasquier, sans relâcher son étreinte, s'aérait, se déployait. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Vue de la terre promise, 1934, p. 104.
45. Ah! (soupir de soulagement). C'est le premier recul, le garrot se desserre, le ciel se détend et s'aère. A. Camus, L'État de siège,1948, p. 280.
Rem. Paradigmes : s'aérer est empl. en assoc. avec des verbes qui en cernent le sens : se vider (ex. 42), s'épurer (ex. 43), se déployer (ex. 44), se détendre (ex. 45), et en oppos. avec s'alourdir (ex. 37).
Stylistique − Terme bien vivant au sens propre dans la lang. commune. Au sens fig. son emploi est plus littér. Les accept. techn. restent peu nombreuses, se limitant à la chim., à l'hortic., à la mar., et au domaine des arts (cf. supra I B 2). Gén. dépourvu de valeur spéc. dans son emploi propre, ce mot peut prendre une nuance méliorative quand il est associé à des verbes indiquant une action bénéfique (ex. 4, 5, 9, 10). En revanche, au fig. aérer est souvent pourvu d'une coloration appréc. puisqu'il s'agit d'améliorer l'aspect, la présentation de qqc. (notamment dans le domaine littér.). Dans ce même sens, il se prête fréquemment à un emploi imagé : ouvrir la fenêtre des vieux âges pour aérer son esprit (ex. 26), aérer assez souvent leur vie en entr'ouvrant parfois les portes de l'autre monde (ex. 27). Emploi plais. du terme dans la lang. arg. p. ex. chez Céline : 46. Si j'avais fini de tapiner, que c'était une journée perdue, je m'aérais franchement les godasses... Je fumais le mince mégot... Je me renseignais un petit peu auprès des autres potes, les autres pilonneurs de l'endroit, toujours pleins de rencards et de faux condés... L.-F. Céline, Mort à crédit, 1936, p. 358.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [aeʀe], j'aère [ʒaε:ʀ]. Passy 1914 transcrit : aε ˑre ou aeˑre (avec [ε] ou [e] mi-longs). Enq. : /ae2 ʀ/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés. Aer- : aérage, aérateur, aération, aéreux, aérhydrique, aéricole, aéride, aéridé(s), aérien, aériennement, aérifère, aérification, aérifié, aériforme, aérique, aériser, aérite, aérium, aérivore. 3. Forme graph. : j'aère, j'aérerai. Cf. abréger.
Étymol. ET HIST. − 1398 « renouveler l'air (dans un espace clos) », Ord., VIII, 309 ds Gdf. Compl. : Chartres basses et non aerees. [Cf. en outre 1360-70, a. fr. airier (le corps de soi) « prendre l'air », Li Romans de Bauduin de Sebourc, XXIII, 977, éd. Bocca ds T.-L. : Adès gaite Gaufroi pour savoir s'il ira Airier le corps de lui, ou s'il s'eslongera]. Dér. sav. du lat. aer « air » [airier, dér. de air].
STAT. − Fréq. abs. litt. : 90.
BBG. − Baudr. Chasses 1834. − Bél. 1957. − Caput 1969. − Le Clère 1960. − Littré-Robin 1865. − Nysten 1814-20. − Prév. 1755. − Voyenne 1967. − Will. 1831.

AÉRÉ, ÉE, part. passé et adj.

AÉRÉ, ÉE, part. passé et adj.
I.− Part. passé de aérer* :
1. ... les fonctionnaires sommeillant sur les dossiers poussiéreux dans les locaux par extraordinaire aérés, portes et fenêtres ouvertes pour établir un courant d'air, ... B. Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 304.
II.− Adjectif
A.− [S'applique à un lieu clos] Où l'air entre, circule et se renouvelle facilement. P. ext. Où la lumière pénètre. Anton. confiné (cf. aérer I A 1) :
2. ... l'heure de visiter le collège était arrivée; M. M., qui voulut bien m'y conduire, m'y laissa, en me rappelant qu'il m'attendait à dîner. Le local réunit tous les avantages qu'exige sa destination : il est vaste, commode et bien aéré; ... V. de Jouy, L'Hermite de la chaussée d'Antin,t. 4, 1813, p. 29.
3. Les bergeries, les écuries, les vacheries, les laiteries, les granges se rebâtirent sur le modèle de mes constructions et de celles de M. Gravier, qui sont vastes, bien aérées, par conséquent salubres. H. de Balzac, Le Médecin de campagne,1833, pp. 46-47.
4. Ainsi on dit d'une manière générale qu'il faut ventiler beaucoup; hé bien! des faits prouvent que dans des salles mal aérées des malades amputés guérissent mieux que dans des salles bien aérées. Il peut se faire en effet que dans un air peu renouvelé l'individu s'abaisse peu à peu comme un oiseau sous cloche et qu'il résiste mieux à la cause morbifique qui l'épuise. C. Bernard, Principes de médecine expérimentale,1878, pp. 164-165.
5. La rue commerçante à l'intérieur de l'édifice est mal aérée... (Le Corbusier). Combat,19-20 janv. 1952, p. 8, col. 1.
Rem. Assoc. fréq. : bien aéré (ex. 2, 3, 4); anton. mal aéré (ex. 4); vaste/aéré (ex. 2, 3).
Par métaph. [En parlant d'un espace pris au fig.] :
6. Un secret inexpliqué tient souvent en vous une place plus noble et plus aérée que son explication. C'est l'ampoule d'air chez les poissons. Nous nous dirigeons avec sûreté dans la vie en vertu de nos ignorances et non de nos révélations. J. Giraudoux, Intermezzo,1933, III, 4, p. 188.
7. Jacques aussi, depuis quatre ans, avait plus ou moins cédé à ses « entraînements »; mais jamais sans remords. À son insu, dans un coin peut-être mal aéré de sa conscience, subsistait quelque chose de cette distinction puérile entre le « pur » et l'« impur », qu'il faisait si souvent, jadis, au cours de ses discussions avec Daniel. R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 271.
8. On peut encore opposer un milieu stimulant, qui lutte contre les torpeurs où s'engourdit la sensibilité, à un milieu déprimant, qui détend le ressort vital; un milieu aéré, qui donne à l'initiative et à la liberté l'espace de vie nécessaire et un milieu étouffant qui les comprime, parfois sous les meilleures intentions. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 111.
P. ext., CHIM. [Appliqué gén. à l'eau, s'emploie aussi pour qualifier une substance, ou tout autre liquide] Imprégné d'air (cf. aérer I A 3 a) :
9. [Un] procédé [de préparation] de l'oxyde de fer (...) repose sur la décomposition spontanée, au moyen de l'eau aérée, du sulfate de protoxyde de fer. A. Brongniart, Traité des arts céramiques,t. 2, 1844, p. 518.
10. Si les plantes peuvent s'assimiler les éléments de l'air, ce sont celles qui vivent dans l'air ou dans l'eau. Les placer dans de l'air sec ou dans de l'eau distillée, aérée. Croîtront-elles en ayant le soin de tamiser l'air? C. Bernard, Cahier de notes,1860, p. 94.
[En parlant d'une chose placée dans l'espace] Ouvert et exposé à l'air libre :
11. Je gagnai la zone sud avec l'intention de me renseigner sur la résistance. Mais une fois rendu, et renseigné, j'hésitai. L'entreprise me paraissait un peu folle et, pour tout dire, romantique. Je crois surtout que l'action souterraine ne convenait ni à mon tempérament, ni à mon goût des sommets aérés. A. Camus, La Chute,1956, p. 1537.
Par métaph. :
12. Le nom de Mllede Préfailles fut prononcé comme il devait l'être. − Alors tu vois de qui il s'agit, et c'est bien. Ses confidences ainsi aérées et toute son âme ouverte, ce fut désormais très facile. Un flot large coula, d'un cœur repris par tous les enivrements du passé. J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 460.
B.− [En parlant de choses concr.] Où l'on a pratiqué (var. : où se trouvent naturellement) des espaces vides favorisant la circulation de l'air (le cas échéant, la pénétration ou la diffusion de la lumière) :
13. Les prairies semées de coucous et de violettes, à son humble et impérieux avis, sont aussi douces à ceux qui s'étendent l'un sur l'autre qu'à ceux qui s'étendent l'un près de l'autre, soit qu'ils lisent, soit qu'ils soufflent sur la sphère aérée du pissenlit, soit qu'ils pensent au repas du soir ou à la république. J. Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu,1935, II, 12, p. 177.
14. Nous dînons en face d'un jardin à l'italienne assez beau mais insuffisamment aéré; le feuillage trop luxuriant estompe le dessin des allées, la forêt vierge, ici comme dans le vrai sud, tendant toujours à reprendre ses droits et bousculant l'architecture des jardins : ... J. Green, Journal,1940, p. 7.
C.− Emplois fig. (cf. aussi supra A et B, emplois métaph.)
1. [En parlant de la vie de l'esprit] Ouvert à ce qui libère de l'oppression, accueillant à ce qui vient du dehors :
15. Sa vie intérieure est (...) trouble, équivoque, jamais aérée, malsaine. S'il prend des libertés avec la doctrine, il affecte un respect scrupuleux du précepte moral. G. Bernanos, L'Imposture,1927, p. 315.
16. Le nouveau professeur, M. Bougaud, juste sorti de l'École normale, annonçait son dessein d'insister sur ce qu'il appelait la partie idées de l'histoire littéraire, le libéralisme universitaire devant ouvrir à toutes un cœur aéré, des bras pleins d'accueil. J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 1, 1933, p. 84.
2. [En parlant d'idées, et plus gén. d'activités ou d'œuvres de l'esprit] Clarifié et simplifié par l'intelligence, allégé par l'élimination de ce qui est accessoire :
17. Voici, au début d'une pièce de Swelinck (...) une construction qui (...) est plus plaisante, nette, aérée... J. Combarieu, La Musique,1910, p. 76.
18. Vous avez fait plus de quarante articles pour décrire, prédire ce que nous constatons. Aujourd'hui (on rencontre vos pas sur tous les sentiers de guerre où nous nous engageons), je me figure que vous n'en avez jamais écrit de plus mouvementé, souple, aéré, persuasif que celui que vous me faites l'honneur de me consacrer. M. Barrès, Mes cahiers,t. 10, janv.-avr. 1914, p. 301.
19. C'est trop dense; tout le système y passe; une malade s'accommoderait mieux de réflexions plus légères, plus aérées. La mère Agnès vient de prendre ses grades, mais enfin il paraît bien qu'elle ne récite pas une leçon. L'assimilation est achevée. Voici plus alerte et plus simple. Elle écrit à Robert d'Andilly, ... H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,t. 4, 1920, p. 201.
20. Il diffère du paragraphe d'Adolphe plus resserré, plus profond encore, mais moins immédiatement poétique dans l'acception aérée du terme. Ch. Du Bos, Journal,nov. 1926, p. 134.
3. P. ext. [En parlant de choses faites, de paroles dites par l'homme] Léger ou libre comme l'air :
21. Il s'agissait cette fois de la réelle bouillabaisse de mer, aérée, légère... L. Daudet, La Mésentente,1911, p. 194.
22. La prière du matin, récitée, ainsi que jadis, entre la cuisine et la chambre à coucher, était hâtive, légère, aérée et comme mousseuse, à goût de chocolat et de départ. J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 1, 1933, p. 63.
23. La jeunesse d'Allan a été entourée certainement d'une prodigalité de luxe, de ce luxe aéré, capricieux, un peu irréel, qui doit s'accommoder de continuels déplacements, d'une vie de voyages, de palaces, de stations thermales élégantes, de relations aussi inconsistantes que brillantes avec des acteurs, des écrivains, des virtuoses − une atmosphère de cour de jeune prince romantique dont le manque d'assise réelle ne dut pas être perceptible tout de suite à Allan. J. Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 49.
Rem. 1. Dans ces emplois, aéré est fréquemment associé à léger, dont il est un synon. expr. 2. Le sens y demeure souvent, de propos délibéré, très vague et ne se détermine tant soit peu que dans le cont. des énoncés (cf. en partic. l'ex. 21).
Stylistique − Aéré se prête facilement à des emplois en hypallage, c.-à-d. à des constr. où, par fig. visant un certain effet, il est grammaticalement rapporté à un autre mot que celui auquel il se rapporte pour le sens : 24. Je disais à Myrtil, qui m'accompagnait dans les champs : « Combien de ce matin charmant, de cette brume et de cette lumière, de cette fraîcheur aérée, de cette pulsation de ton être, la sensation te donnerait plus de délices encore, si tu savais t'y donner tout entier... » A. Gide, Les Nourritures terrestres, 1897, p. 189. 25. De la vision et de l'exécution ferme, pure, un peu figée du xviesiècle, on est passé à la fluidité vivante du xviiesiècle, et surtout on est passé à Rubens, car nul plus que lui n'a contribué à son apparition. Ce sang qui court, cette palpitation charnelle, cette irrégularité sourde qui mine la forme et libère la flexibilité de la chair, la légèreté aérée de la chevelure, la souple mollesse du bonnet de fourrure, le mouvement aérien des nuages, cet éclat radieux de la couleur, cette intensité, cette chaleur, sont la présence même du grand Anversois. R. Huyghe, Dialogue avec le visible, 1955, p. 262. (Dans l'ex. 24, cette fraîcheur aérée : la fraîcheur de ce matin aéré; dans l'ex. 25, la légèreté aérée de la chevelure : la légèreté de la chevelure aérée). Ailleurs il s'agit de raccourcis ell. : 26. Un vaste ciel aéré de lumière et de vapeur [dans la Reddition de Breda par Velasquez], richement peint en pleine pâte d'outremer, fond son azur avec les lointains bleuâtres... T. Gautier, Guide de l'amateur au Musée du Louvre, 1872, p. 275. Ces emplois, lorsqu'ils tournent au procédé, sont caractéristiques du style précieux ou maniéré; ils sont en partie affaire de mode (cf. aussi les ex. 21, 22, 23, 24, et supra rem. 2).
Prononc. ET ORTH. − Sur la 1resyllabe qui s'est prononcée [ε], cf. E. Molard (Le Mauvais langage corrigé, 1810, p. 15) : ,,Qui est en plein air. Il se dit particulièrement d'un bâtiment : cette maison est bien airée; dites, aérée, en mettant un accent aigu sur les deux premiers e. Ce qui a donné lieu à la corruption de ce mot, c'est qu'on l'a fait dériver du mot air, au lieu que les grammairiens veulent qu'on le prononce comme aer, mot latin qui signifie la même chose``; cf. aussi R. de Gourmont (Esthétique de la langue française, 1899, p. 152) : ,,Airé : bien meilleur que aéré. Il faudrait oser s'en servir``. Enq. : /aeʀe1/.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 127.

Quelques définitions tirées au hasard dans le dictionnaire : 

·le trésor de la langue française, un dictionnaire français·